Le Pacte européen sur la migration et l’asile : un maximum de garanties pour les États membres, un minimum pour les demandeurs d’asile
Le 14 mai dernier, un peu à la surprise générale, le Conseil de l’Union européenne a adopté son pacte sur la migration et l’asile. Officiellement, il s’agissait d’adopter « une série d’actes législatifs visant à réformer le cadre juridique de l’UE en matière de gestion de la migration et de l’asile ». C’est cet événement que le CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage) a choisi d’évoquer dans une nouvelle session de son « cycle de réflexions et d’actions ». Dans ce deuxième numéro de cette série de visioconférences qui s’emploie à « changer notre regard sur les migrations et démêler le vrai du faux sur certaines idées reçues », Manuela De Koster du service « étude et politique » du CIRÉ (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers) a été invitée à aborder la question intitulée « Le pacte UE sur l’asile et la migration : quelles conséquences sur les droits fondamentaux ? »
L’idée qui présidait à l’élaboration du texte sur la table de l’Union européenne depuis 2020 était de viser trois objectifs de réforme du pacte de la migration et l’asile. Le premier était d’alléger la charge pesant sur les pays de l’UE dans lesquels la plupart des migrants arrivent. La deuxième était d’offrir un cadre plus juste et plus efficace pour l’enregistrement et le traitement des demandes d’asile. Le troisième et dernier était de contribuer à réduire les mouvements secondaires. Dans les faits, ce texte établissait un ensemble de règles amenées à contribuer à gérer les arrivées de manière ordonnée, établir des procédures efficaces et uniformes, et assurer un partage équitable de la charge entre les États membres.
Les origines du Pacte
Selon les dires de Manuela De Koster, le Conseil européen plus conservateur a globalement imposé au Parlement sa vision sur la réforme du système d’asile et de migration de l’UE. La genèse de l’adoption de ce texte remonte aux années 2015-2016 et à ce qu’on a appelé la « crise migratoire » marquée par une augmentation soudaine des arrivées de demandeur.euse.s de protection. Ces années ont été traversées par différents phénomènes : une non-application du règlement de Dublin par certains États membres qui a entraîné des mouvements secondaires, une approche « hotspot » en Italie et en Grèce qui a provoqué un encampement aux frontières, une relocalisation entre États membres avec un quota prévu non mis en œuvre, une déclaration UE-Turquie en vue d’une externalisation des frontières et, enfin, un contrôle renforcé des frontières extérieures.
Durant la période 2016-2018, une proposition de réforme du système européen commun d’asile par la Commission européenne a émergé. Cette proposition globale incluait une proposition de réforme du règlement de Dublin (incluant une solidarité obligatoire, un quota par État membre, une relocalisation en cas de système surchargé), une proposition d’un règlement « procédures d’asile », une proposition d’un règlement « qualification » reprenant des critères pour définir qui peut être reconnu réfugié.e ou bénéficiaire de protection subsidiaire, et une proposition de révision de la directive « d’accueil ». Le résultat a été un accord politique sur la réforme de la directive « accueil » et un règlement « qualification ».
Entre 2020 et 2023, la nouvelle Commission, fruit des élections de 2019, a pris place et la relance du « Pacte », marquée par des négociations difficiles, a donné lieu à une proposition de cinq textes législatifs : un règlement Filtrage, un règlement Gestion asile et migration (révision de Dublin), un règlement Procédure d’asile commune, un règlement Crise et force majeure (incluant le concept de « l’instrumentalisation » en 2021) et le règlement Eurodac (la base de données européenne des empreintes digitales des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière enregistrés dans les États membres de l’UE et les pays associés).
L’année 2023 a été marquée, en juin, par une position commune du Conseil de l’UE (gouvernement des États membres) et, en décembre, par un accord politique entre le Conseil de l’UE et le Parlement européen, avec un arbitrage en faveur du Conseil. Enfin, 2024 a été l’année de l’adoption en plénière, en avril, du pacte par le Parlement européen, et de l’adoption formelle en mai, du Conseil de l’UE, avant les élections européennes en juin et, durant la suite de l’année, elle verra la préparation du plan de mise en œuvre de la Commission et des plans d’action des États membres.
Trois types de procédure
D’après Manuela De Koster, les caractéristiques des textes du Pacte sont qu’ils créent un système entier, qu’ils sont en lien les uns avec les autres (renvois), qu’ils établissent des procédures successives, qu’ils complexifient le système d’asile et qu’ils organisent des règles et des exceptions. Leurs objectifs sont au nombre de quatre : harmoniser (adoption de règlements qui ont des effets directs en droit, remplaçant les directives qui doivent être transposées dans le droit national), contrôler les frontières et éviter les mouvements secondaires, lier la gestion de la migration avec la protection internationale, et rendre les retours plus efficaces.
Le contenu du Pacte prévoit d’abord un enregistrement et un tri à la frontière. Ceci comprend un enregistrement Eurodac (prise d’empreintes digitales et images faciales à partir de six ans), un filtrage comprenant un examen sur quatre volets (santé, identité, sécurité et vulnérabilité), avec un formulaire « debriefing » transmis aux autorités responsables nécessitant un délai de 7 jours à la frontière, et une action juridique de non-entrée à la frontière extérieure et dans les zones frontalières intérieures, c’est-à-dire les « zones de transit » telles que les gares et les aéroports, selon le principe que les personnes ayant demandé l’asile à ces frontières ne sont pas officiellement entrées sur le territoire de l’État membre concerné, malgré leur présence physique sur le sol de l’UE.
Trois possibilités se présentent à cette étape. D’abord, une procédure d’asile « normale » sur le territoire (délai de six mois). Ensuite, une procédure d’asile accélérée (un délai de douze semaines, avec vérification de différents éléments comme la sûreté du pays d’origine, le risque pour la sécurité et l’ordre public, la transmission de fausses informations ou l’irrecevabilité de la demande). Enfin, une procédure de retour à la frontière, avec un délai de douze semaines, s’il n’y a pas de demande de protection et si la décision est négative.
Un autre volet du Pacte est la solidarité à la carte (révision du système Dublin), selon deux principes. D’abord, le premier pays d’entrée est le pays responsable pour le traitement de la demande de protection et de l’accueil. Ensuite, en cas d’État membre subissant une « pression migratoire », un mécanisme de solidarité obligatoire et flexible est activé, avec relocalisation, contribution financière à un autre État membre ou un pays tiers, et un renforcement des capacités d’un autre État membre (en personnel ou matériel). Il existe, en outre, des dérogations en temps de « crise et force majeure », ainsi qu’un principe d’externalisation.
Une menace sur le respect des droits fondamentaux
Pour Manuela De Koster, plusieurs critiques peuvent être formulées à propos de ce Pacte, particulièrement au niveau de ses impacts sur les droits fondamentaux. La détention automatique et arbitraire aux frontières (avec quel accès à une assistance juridique ?), la restriction du droit d’asile et le non-respect du principe de non-refoulement, le non-respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, le non-respect de la protection des données personnelles des personnes migrantes, la prise en compte très limitée des vulnérabilités, l’absence d’accès à d’autres titres de séjour (protection ou retour)… Au final, il y a donc peu de garanties prévues pour le contrôle des droits fondamentaux.
Dominique Watrin