La précarité en Brabant wallon : des opérateurs et un projet de Relais social pour endiguer un mal tenace
Dans les représentations solidement ancrées au sein de la population des autres coins du pays, la province du Brabant wallon est généralement vue comme une région plutôt prospère et ses habitants comme plutôt nantis. Malheureusement, certaines réalités locales ne sont pas si roses et, comme partout ailleurs, la précarité y reste bel et bien présente sur le terrain social. C’est ce pan du paysage régional que l’équipe du CRIBW (Centre Régional d’Intégration du Brabant Wallon) a choisi de mettre au centre de ses débats lors d’un numéro de ses Échos du CRI en visioconférence consacré à « La/les précarité(s) en Brabant wallon ». Un phénomène par lequel les personnes étrangères et d’origine étrangère sont, elles aussi, grandement impactées.
Véronique Thibaut est directrice de l’asbl nivelloise L’Ouvre-Boîtes, une maison d’insertion sociale et d’accompagnement qui propose un soutien matériel et moral aux moins nantis. À ce titre, elle est une analyste pointue de la thématique de la précarité, doublée d’une observatrice particulièrement avertie des réalités vécues au quotidien par les personnes qui y sont confrontées en Brabant wallon.
Sur le plan théorique, la pauvreté se définit, selon elle, comme la combinaison de précarités en termes de revenus, de développement humain et d’exclusion sociale. Les conséquences en sont une précarité économique qui engendre un manque ou une absence de satisfaction des besoins primaires, comme se nourrir, se vêtir, se loger, se chauffer et se soigner, avec des impacts sur la vie sociale (l’exclusion sociale), familiale (des relations conflictuelles pouvant mener aux violences intrafamiliales) et éducative (la scolarité et l’éducation des enfants mises à mal), un ensemble d’éléments auxquels s’ajoute celui du sans-abrisme.
Pauvreté, privation matérielle et faible intensité de travail
En Europe, trois facteurs sont pris en considération pour mesurer la précarité : la pauvreté économique, la privation matérielle grave et la très faible intensité de travail. En Belgique, sur le plan économique, un ménage est considéré en situation de pauvreté lorsque son revenu net total se situe en dessous du seuil de pauvreté. Le chiffre de base est actuellement fixé à 1085€ par mois. La privation matérielle grave concerne le fait de ne pas être en mesure d’acquérir des biens ou services essentiels pour vivre, avec un minimum de quatre éléments parmi les suivants : payer un loyer ou des factures courantes, chauffer correctement son domicile, faire face à des dépenses imprévues, consommer de la viande, du poisson ou un équivalent de protéines tous les deux jours, s’offrir une semaine de vacances en dehors du domicile, posséder une voiture personnelle, posséder un lave-linge, posséder un téléviseur couleur et posséder un téléphone. Enfin, une personne en situation de très faible intensité de travail est une personne âgée de 0 à 59 ans vivant dans un ménage au sein duquel les adultes (étudiants exclus) ont travaillé moins d’un cinquième de leur temps pendant l’année de référence.
Statistiquement, on estime que près de 21% de la population belge est tributaire de la pauvreté. En 2020, c’était même un quart des Belges qui n’étaient pas en mesure de faire face à une dépense imprévue, tandis que 2,2% n’avaient toujours pas accès à une connexion Internet par manque de moyens financiers. Et sans surprise, les familles monoparentales étaient nettement plus affectées par la précarité, 28,6% d’entre elles se trouvant en situation de privation matérielle et sociale. La proportion de la population dont le ménage a indiqué avoir des (grandes) difficultés à joindre les deux bouts s’élevait à 16,7%. Enfin, 10,4% de la population estimait avoir vu son revenu global diminuer en 2020 par rapport à l’année précédente et 5,3% s’attendait à voir son revenu global diminuer au cours des douze mois suivants.
71% de Belges
En 2020 toujours, on chiffrait la part de population en situation de pauvreté à 35% à Bruxelles (+3% par rapport à 2019), 25% en région wallonne (chiffre stationnaire par rapport à 2019) et 13% en région flamande (chiffre également stationnaire). Si on prend l’exemple du Brabant wallon avec une ville comme Nivelles, sur les 18229 (soit 63%) des 29000 habitants en âge de travailler, 4815 (soit 27%) sont inactifs et, parmi ces derniers, 11% perçoivent le revenu d’intégration sociale, tandis que 10,7% sont demandeurs d’emploi. Le reste de cette frange des inactifs sont des personnes victimes d’un handicap, des personnes percevant des indemnités d’invalidité, des personnes sans aucune ressource mais ne vivant pas à la rue, et des SDF. Véronique Thibaut tient cependant à préciser que toutes les personnes dites actives ne sont pas pour autant des personnes qui ne connaissent pas la pauvreté. Il existe des travailleurs à très bas revenus (par exemple, dans le secteur des titres services), des travailleurs en situation de surendettement, des familles monoparentales, etc.
Acteur direct de cette lutte contre la précarité, l’asbl L’Ouvre-Boîtes cerne au quotidien la nature de cette situation. En 2021, l’association a ainsi répondu à des demandes émanant de familles, relatives (par ordre de priorité) à une précarité économique (176 familles, soit 421 personnes), à une précarité familiale et éducative (39 familles au total, soit 61 enfants), sans oublier l’abri de jour (27 personnes à partir du 1er août), le phénomène d’exclusion sociale (26 personnes) et la précarité psychologique.
En termes démographiques et sociologiques, le contingent de personnes prises en charge comprenait environ la moitié de nouveaux bénéficiaires (51%) et la moitié de bénéficiaires déjà inscrits dans la démarche (49%). L’état civil des chefs de ménage affichait 32% d’isolé(e)s, 28% de marié(e)s et cohabitant(e)s, 19% de séparé(e)s et divorcé(e)s, 10% de veuf(ve)s et 11% de statuts non définis. Enfin, sur le plan de la nationalité des chefs de ménage, l’aide concernait 71% de Belges, 12% de ressortissants de l’Union européenne et 17% de ressortissants hors Union européenne.
Un Relais social pour mettre en réseau
Sociologue spécialisée en intervention sociale, chargée de la mise en place du Relais social en Brabant wallon, Maëlle Dewaele a, elle aussi, un regard de terrain sur la précarité en Brabant wallon. Mais d’abord, qu’est-ce qu’un relais social ? Il s’agit d’un organisme subventionné par la Région wallonne, dont le principal objectif est la mise en réseau d’opérateurs publics et privés œuvrant dans la lutte contre la grande précarité. Ce Relais social est donc à la fois un réseau et une équipe. Ses partenaires, tant publics que privés, appartiennent à des secteurs très variés : l’action sociale (CPAS), les villes et communes (PCS), le secteur du logement (APL, AIS, etc.), l’hébergement (maisons d’accueil), l’insertion sociale, l’accueil de jour, la santé (hôpitaux, maisons médicales), la santé mentale, l’aide alimentaire, l’aide à la jeunesse, etc. Plus d’une quarantaine de partenaires de tous ces secteurs ont à ce jour signé la charte du Relais social. Les six missions d’un Relais social sont la coordination, l’interpellation, l’information, la formation, l’observatoire et le financement de projets.
En Brabant wallon, la création d’un Relais social répond à plusieurs besoins à travers autant de missions. Le premier est celui de constituer un opérateur central qui porte des projets de réseau, qui défend les points de vue du réseau et qui renforce la communication au sein du réseau, tout en permettant une prise en compte des problématiques rencontrées dans la province. Le deuxième est celui de permettre une prise en charge digne et humaine des personnes sur leur territoire. Le troisième est de développer des approches intersectorielles (jeunesse, santé, toxicomanie, etc.). Le quatrième est de répondre à l’urgence avec des projets d’insertion, tout en outillant les professionnels dans leur prise en charge de ce public. Le cinquième est de prendre la grande précarité à la racine afin d’éviter une augmentation accrue du phénomène. Enfin, le sixième et dernier qui n’est pas le moindre, est de mutualiser les ressources des acteurs de terrain (tant publics qu’associatifs) afin de rationaliser l’offre et la prise en charge.
Les préoccupations et le plan d’action afférent concernent une multitude de pistes. En premier lieu prend place l’hébergement d’urgence en Brabant wallon, thématique travaillée en priorité en 2022. Viennent dans la foulée l’accès au logement digne et durable, l’accompagnement des publics (consommation, santé, etc.), l’accueil bas seuil (c’est-à-dire sans condition d’accès), la santé mentale et l’aide alimentaire (avec notamment la question de savoir comment articuler les initiatives de terrain et soutenir les opérateurs). Un projet de longue haleine qui risque donc de mobiliser de nombreuses forces vives de la région sur le long terme…
Dominique Watrin