Le détectomètre, un outil d’analyse pour permettre aux professionnel.le.s d’évaluer et contrer le risque d’excision
Le chiffre le plus marquant, parmi ceux notamment relayés par le GAMS (Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles), est glacial dans sa brutalité : selon l’étude de prévalence de 2022, la Belgique compte plus de 12.000 filles potentiellement à risque d’être excisées. Pour appuyer leur travail de sensibilisation et d’information autour de cette pratique, les acteurs de l’immigration et de la santé disposent d’un outil original : le détectomètre. Une arme qu’il est utile de remettre sous les projecteurs de l’actualité à l’arrivée des vacances scolaires, période à risque pour les filles qui retournent au pays.
Le détectomètre, outil de prévention réalisé par le GAMS, vise globalement à mieux détecter, évaluer et protéger les filles contre les mutilations génitales féminines (MGF) en Belgique. Cette mission se décline en trois objectifs. Le premier est d’outiller les professionnel.le.s à établir un protocole d’orientation et à identifier les actions à entreprendre pour protéger les filles. Le deuxième est d’outiller les professionnel.le.s à assurer le suivi d’une fille déjà excisée et de ses sœurs risquant de l’être. Enfin, le troisième est d’outiller les professionnel.le.s afin de créer un environnement propice au dialogue avec les parents et l’enfant.
Plus de 35.000 filles et femmes concernées
Une étude de prévalence effectuée par le GAMS Belgique et l’AVIQ (l’Agence wallonne pour un Vie de Qualité), épaulés largement par un consortium d’institutions (CGRA, Fedasil, Médecins du Monde, ONE, etc.), a chiffré à 23.395 le nombre de femmes excisées vivant en Belgique et à 12.064 le nombre de filles mineures, nées de mamans excisées, risquant de subir une mutilation génitale si aucun travail de prévention n’est réalisé. Au total, il s’agit donc d’un total de plus de 35.000 filles et femmes concernées, et ces chiffres semblent en constante augmentation.
La hausse du nombre de femmes touchées s’explique par l’augmentation des arrivées de primo-arrivantes en provenance de Guinée (+30%), de Somalie (+27%) et d’Érythrée (+14%), trois pays où l’excision est massivement pratiquée. Il en va de même pour la hausse du nombre de filles à risque qui est due aux naissances en Belgique de filles nées de mères des mêmes origines, avec des augmentations conséquentes que ce soit pour l’origine guinéenne (+40%), somalienne (+23%) et, dans une moindre mesure, érythréenne (+6%). La population touchée par la problématique est donc une population jeune, avec 12.730 filles sur les 35.459 concernées qui sont âgées de moins de 18 ans.
Au niveau de la répartition géographique en Belgique, l’étude estime qu’environ 16.500 filles et femmes excisées ou à risque vivent en région flamande contre 10.000 à Bruxelles et 8.800 en région wallonne. Sans surprise, du côté wallon, les provinces les plus concernées sont, dans l’ordre, celles de Liège (2903 probablement excisées et 1478 à risque d’être excisées), de Hainaut (1369 et 607) et de Namur (726 et 339), suivies plus loin par celles de Luxembourg (506 et 208) et Brabant wallon (493 et 235) quasiment à égalité. Plus ou moins 1700 femmes excisées accouchent, chaque année, dans une maternité belge et plus de la moitié de ces naissances ont lieu en Flandre.
Objectiver les faits dans un esprit de dialogue
Dans ce contexte, le détectomètre s’inscrit comme un outil destiné aux professionnel.le.s en contact avec les communautés concernées par les mutilations génitales féminines. Il aide à objectiver les faits dans un esprit de dialogue avec les parents, toujours dans l’intérêt supérieur de l’enfant, avec l’intervention éventuelle d’un service de médiation culturelle. Concrètement, l’utilisation du détectomètre comprend trois étapes.
La première de ces étapes est le démarrage du détectomètre. Elle se déclenche dans trois cas de figure : face à une mineure ou à ses parents originaires d’un pays à risque d’excision, face à une mineure dont la mère et/ou la/les sœur(s) est/sont excisée(s), et /ou face à une annonce d’excision. La deuxième étape est celle de la détection et de l’évaluation. Cette étape est celle du diagnostic et établit cinq niveaux de risques.
Le premier de ces niveaux est celui du risque faible. Dans ce cas, il n’y a pas de voyage prévu pour les filles, et les parents sont éventuellement engagés dans une association de lutte contre l’excision ou ont signés un engagement à ce que les filles ne soient pas excisées. Si aucune de ces situations n’est rencontrée, ou s’il y a un changement de situation familiale (décès, remariage, signe de maltraitance) ou un changement de statut administratif (acquisition de la nationalité belge), il faut passer au niveau 2. Ce deuxième niveau est celui du risque possible. Il s’agit, à ce stade, d’évaluer la position du conjoint et des membres de la famille pro-excision, et/ou la pression familiale, communautaire ou sociale pour exciser.
Si la fille voyage ou si une excision est annoncée, il s’agit de passer au niveau 3, celui du risque imminent. Celle-ci comporte trois points. Le premier des points est l’annonce de l’excision. Il faut collecter des informations sur cette annonce de l’excision (qui, comment, quand, où), sur d’autres éléments à risque (présence d’une exciseuse dans la famille) et sur la pression de la famille pour exciser en Belgique ou à l’étranger (qui, comment, quand…). Le deuxième point concerne le voyage imminent éventuel (protection des filles sur place, notamment contre un risque d’excision par les autres membres de la famille). Le troisième point porte sur le non-retour d’un voyage, lorsque la fille ne revient pas d’un voyage sans explication des parents.
Le niveau 4 de risque est celui de la suspicion d’excision. Il s’agit d’analyser différents symptômes. Pour les 0-3ans, en cas d’observation de pertes de sang, plaies, douleurs, changement d’attitude, lors du changement des langes de l’enfant. Pour les moins de 18 ans, difficultés pour uriner, douleurs, changement d’attitude, etc. Le cinquième et dernier niveau est celui du constat de l’excision sur une fille. Il intervient lorsque les parents, l’un d’eux ou une tierce personne signalent le fait.
L’étape de la protection
Après les deux premières étapes, celle du démarrage du détectomètre, puis celle de la détection et de l’évaluation, intervient la troisième et dernière étape, celle de la protection. Celle-ci fait correspondre une série de mesures à chacun des niveaux de risque. Au niveau 1, le risque faible, le document propose quatre pistes : consigner les éléments dans le dossier médical et social de la fille, sensibiliser les parents, demander aux parents d’une enfant réfugiée de signer la déclaration sur l’honneur du CGRA de ne pas exciser l’enfant, et planifier une réunion annuelle de suivi avec les parents. Au niveau 2, le risque possible, il est suggéré d’ajouter trois autres actions à celles du niveau 1 : faire signer aux parents la déclaration sur l’honneur concernant les MGF, proposer de faire examiner la fille par un.e médecin spécialisé.e, et planifier une réunion de suivi de la fille avec ses parents et les services proches d’elle comme le centre PMS.
Au niveau 3, celui du risque imminent, en cas d’annonce d’excision, il est conseillé de contacter les services proches de l’enfant, d’organiser une réunion multidisciplinaire avec les services spécialisés, de saisir ensuite le service d’aide à la jeunesse (SAJ) et/ou le/la magistrat.e de référence, et de faire procéder à un examen médical de la fille par un.e médecin spécialisé.e. En cas de départ imminent vers le pays d’origine, si les parents ne collaborent pas, il convient d’ajouter une démarche qui est celle de saisir le parquet ou le juge qui peuvent, par exemple, ordonner la saisie du passeport de la fille ou lui interdire de quitter le territoire. Enfin, en cas de non-retour de la fille après un voyage, il est recommandé de contacter un service juridique spécialisé.
Au niveau 4, celui de la suspicion d’excision, il convient de dialoguer avec la famille, de faire procéder à un examen médical de la fille par un.e médecin formé.e et d’agir en fonction du résultat de cet examen. Enfin, au niveau 5, celui d’une excision constatée, il est demandé de procéder aux soins (physiques et psychologiques) adéquats, de dialoguer avec la famille en présence d’un.e médiateur/rice interculturel.le, de rappeler l’interdiction pénale d’exciser et les conséquences du non-respect de cette interdiction, d’expliquer les effets néfastes de l’excision sur la santé, et de prendre contact avec un service juridique pour examiner la piste d’une plainte éventuelle sur base de l’interdiction pénale.
Dominique Watrin
Le détectomètre peut être consulté et téléchargé via le lien suivant :
https://www.strategiesconcertees-mgf.be/wp-content/uploads/2023_DE%CC%81TECTOME%CC%80TRE_FR.pdf
L’étude sur la prévalence peut être consultée et téléchargée via le lien suivant :
https://gams.be/wp-content/uploads/2022/06/Rapport-MGF-2020-GAMS.pdf