Le syndrome méditerranéen : un mal méconnu qui implique une attention particulière de la part des professionnels des soins de santé
Phénomène au nom relativement méconnu, tant dans la sphère des personnes étrangères que dans celles des professionnels en contact avec ces dernières, le syndrome méditerranéen n’en est pas moins un fléau qui touche de plein fouet la population migrante. C’est précisément ce syndrome que le réseau IDE (Initiatives pour les Droits des Etrangers Mons-Borinage), dont le CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage) est membre, a choisi d’aborder lors de la rencontre qu’elle organisait à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale. Titre de ce moment d’information et de sensibilisation, organisé cette année sous forme de webinaire pour cause de Covid : « Le syndrome méditerranéen : obstacle à la prise en charge de la santé des migrants ».
Très actif dans les domaines en lien avec les droits des étrangers, le réseau IDE à l’origine du webinaire regroupe une série d’associations soucieuses de mener un travail comprenant trois volets : l’accompagnement social et juridique gratuit des personnes étrangères, la sensibilisation sur les questions de l’accueil et de la promotion d’une société interculturelle, et le travail auprès des instances politiques. C’est précisément dans le volet sensibilisation de son action qu’IDE a ancré sa visioconférence, en braquant ses projecteurs sur la question essentielle de santé que représente le syndrome méditerranéen. Avec deux exposés au programme : l’un plus théorique sur le syndrome méditerranéen lui-même et l’autre plus pratique sur ses implications concrètes en matière de soins.
Une « naturalisation » de symptômes
C’est à la thérapeute transculturelle et coordinatrice de l’Espace Sémaphore (centre de psychologie et de sociologie interculturelle), Barbara Mourin qu’a incombé le rôle de dresser les contours du syndrome méditerranéen. Son exposé sous-titré « Un moyen de contourner l’incompréhension voire le malaise des professionnels de la santé ? » a d’abord défini les différents aspects de la notion de syndrome globalement vu comme « un ensemble de symptômes ou signes en rapport avec un état pathologique donné ». Le syndrome méditerranéen a émergé publiquement au cours de la seconde moitié du 19ème siècle avec l’arrivée des migrations venant du pourtour méditerranéen et l’observation, chez les travailleurs qui la composaient, de troubles diffus détectés sans qu’aucun diagnostic « somatique » ne puisse être clairement posé. Le constat qui en a été tiré a été que ces personnes étaient naturellement moins résistantes à la douleur et rétives au travail, diagnostic élargi par extension aux femmes des mêmes régions considérées comme « exagératrices », voire « simulatrices » face à la douleur.
Les ressortissants de ces régions ont donc été collectivement réduits à cette caractéristique qui renforçait les représentations négatives dont elles étaient déjà victimes. Cette « naturalisation » de symptômes, devenue représentation culturelle, a induit une non remise en question du fonctionnement des institutions et de l’inégalité de traitement de ces patients par le monde médical. Elle a aussi, concomitamment, débouché sur une non prise en charge de la douleur des personnes concernées et de l’origine de leur souffrance.
Les bienfaits de la pratique transculturelle
La question occultée par cette vision a donc longtemps été celle de l’origine de la souffrance diffuse qui s’inscrivait dans le corps des individus concernés. Et c’est sur ce plan que l’apport de l’approche clinique transculturelle s’est révélée précieuse. C’est, en effet, cette dernière qui a mis en lumière que la migration est une expérience de vie éprouvante pour le psychisme, mais aussi vécue à travers le corps, ce qui nécessite une prise en charge des patients dans leur globalité.
Ce pas en avant dans la compréhension du syndrome a amené les praticiens à un questionnement sur leurs représentations. Il s’agissait clairement pour eux de reconnaître et accepter la diversité des expressions de la douleur, sans les naturaliser d’une part, sans les minimiser, ni les mépriser de l’autre. Mais aussi et surtout, il importait pour eux de s’initier à la pratique transculturelle et de s’outiller pour celle-ci. Concrètement, du côté des institutions, il a fallu entamer un processus à la fois courageux et ambitieux : reconnaître et combattre le racisme dans l’accès aux soins, initier un travail d’analyse de ces discriminations et inégalités en matière de soins, et dégager les moyens financiers et humains pour faire disparaître ces discriminations et inégalités.
Un racisme à trois niveaux
Défini comme ensemble de « violences symboliques du monde médical envers des populations migrantes, qui prennent source dans les stéréotypes culturels à dimension raciste, entraînant une défaillance de la prise en charge médicale de ces populations », le syndrome méditerranéen nécessite des réactions concrètes au sein du monde médical. C’est la deuxième intervenante du webinaire, Estelle Di Zenzo, infirmière sage-femme, qui en a dressé les contours et les orientations.
Pour cette dernière, il importe d’abord de cerner les différentes formes de discrimination dans les soins de santé. Selon elle, il convient de distinguer la discrimination directe (une différence de traitement fondée de façon manifeste sur un critère prohibé) et la discrimination indirecte qui regroupe les dispositions, mesures ou pratiques apparemment neutres mais qui affectent une proportion significativement élevée du groupe particulier visé. Parmi celles-ci prend place la discrimination systémique qui regroupe l’ensemble des processus, visibles ou non, qui produisent et reproduisent l’assignation de groupes sociaux à certaines positions de la structure sociale.
L’idée de base est que l’espace clinique n’est pas neutre. Les rapports sociaux existant par ailleurs dans la société peuvent conduire à la discrimination, mais aussi à des formes de racisme à trois niveaux : dans les rapports entre l’institution et son personnel, dans les rapports entre les professionnels, et dans les rapports entre les professionnels et les patients. Chez le patient, cet état de fait entraîne une perte de confiance à la fois en soi et en l’institution. Une étude européenne a établi la preuve que les représentations ont un effet sur la répartition des soins et des services, avec notamment l’émergence de rapports de domination de type raciste dont la présence a été encore davantage mise en lumière après l’éclatement de la crise sanitaire Covid-19.
Des inégalités aux multiples formes
Les inégalités dans les soins de santé revêtent une multitude de formes. Il y a notamment les violences verbales (dénigrement, propos infantilisants, attitude paternaliste, etc.), le déni et la relativisation des propos du patient, le déni et la mauvaise prise en charge de la douleur du patient, l’absence d’information et de recherche du consentement, l’absence d’accompagnement ou de bienveillance, l’absence de respect de l’intimité et de la pudeur, etc. Toutes ces manifestations mettent en exergue la nécessité de mettre en place des mesures favorisant une prise en charge plus égalitaire en matière de soins de santé. Cinq recommandations prioritaires ont été évoquées dans un livre blanc, parmi lesquelles plusieurs comportent un volet attentif aux populations migrantes.
La première de ces recommandations est de simplifier le système d’accès aux soins de santé et de le rendre plus inclusif pour les personnes évoluant en dehors du cadre de l’assurance soins de santé. Parmi les groupes cibles épinglés figurent, entre autres, les demandeurs de l’aide médicale urgente auprès d’un CPAS, ainsi que les demandeurs d’asile résidant dans un logement privé. Les quatre autres recommandations sont la généralisation du tiers payant, l’investissement dans la prévention et la promotion de la santé, la mise en place dans chaque grande ville d’une ligne intermédiaire de soins primaires destinée aux populations vulnérables, et la création de nouveaux métiers dans le secteur ambulatoire, parmi lesquels celui de médiateur interculturel.
La notion essentielle de bientraitance
Aux yeux d’Estelle Di Zenzo, la notion essentielle à prendre en considération est celle de la bientraitance. Celle-ci implique, de la part des professionnels, une reconsidération de leurs a priori et représentations, et une neutralité vis-à-vis des valeurs religieuses et morales. Il s’agit donc notamment de considérer les demandes spécifiques des personnes, liées à leur origine, leur religion, tout autant qu’à leur âge, leur orientation sexuelle, etc. Pour ce faire, il importe de former le personnel d’aide et de soin aux compétences interculturelles. L’acquisition de celles-ci doit favoriser la qualité de la prise en charge des patients migrants ou d’origine étrangère, en limitant le risque d’inégalités en la matière. L’idée est notamment d’intégrer des formations aux compétences transculturelles dans le cursus de formation du personnel infirmier, médical et de l’ensemble des professions médicales.
Dans un autre registre, il s’agit aussi de lutter contre l’ethnostratification de certaines fonctions des secteurs de l’aide sociale et des soins de santé. Notamment, celles d’aide familiale, aide-soignante, aide-ménagère, occupées majoritairement par des femmes d’origine étrangère. Ces fonctions ont pour point commun de se situer au cœur de rapports sociaux défavorables et de ne pas être reconnues, additionnant de la sorte les formes de domination et de discrimination. Il est dès lors capital de lutter contre les discriminations subies par les travailleuses de ces secteurs et de revaloriser leur travail.
Dominique Watrin