Les centres régionaux d’intégration et la SeTIS wallon en appellent à une régularisation des migrants invités à épauler notre horticulture en panne de main-d’œuvre
À situation exceptionnelle, problématiques exceptionnelles. On pourrait croire cette affirmation, mais, derrière des situations de crise sans précédent, apparaît parfois un problème de fond qui ne leur doit rien. C’est le cas de la pénurie de main-d’œuvre saisonnière chargée de la récolte des fruits et légumes dans les exploitations belges qui les cultivent. En plein cœur de la pandémie de coronavirus qui n’en semble, hélas, pas encore arrivée à son épilogue, loin s’en faut, les huit centres régionaux d’intégration de La Wallonie, auxquels s’est joint le SeTIS wallon, service d’interprétariat en milieu social, ont pris l’initiative de rédiger une carte blanche sur la question.
Selon les chiffres généralement admis, elles et ils sont environ 56.000 saisonniers étrangers, soit approximativement 90% des travailleurs du secteur, venant principalement d’Europe de l’Est (Pologne, Roumanie, Bulgarie, etc.) pour récolter les fruits et légumes issus de notre agriculture. On songe bien évidemment aux fleurons reconnus comme les fraises de Wépion, mais le phénomène concerne de nombreuses productions comme les asperges, les pommes, les poires et bien d‘autres qui suivent les circuits locaux et de grande distribution pour aboutir dans nos assiettes.
Des « régularisables temporaires »
Crise du covid-19 oblige, le système présidant à l’organisation de la récolte de tous ces produits de la terre a été profondément chamboulé, dans la même temps où la nature, elle, poursuivait son cycle immuable ancré dans la succession des saisons. Face à la pandémie et au drame sanitaire inédit que celle-ci a engendré, le kern, c’est-à-dire le Conseil des ministres restreint composé de la Première ministre et de ses vice-Premiers ministres, a adopté des mesures socioéconomiques parmi lesquelles l’une a trait à la thématique des saisonniers. En l’occurrence, cette mesure ouvre aux demandeurs d’asile l’accès au marché du travail, à condition qu’ils aient introduit leur demande d’asile devant le CRGA, le Commissariat général aux Réfugiés et aux Apatrides.
À travers ce revirement, le gouvernement offre à ces migrants l’opportunité de travailler pendant la durée de la procédure qu’ils auront ouverte, y compris au cours de la période couvrant, si c’est le cas, leur recours devant le Conseil du Contentieux des Étrangers. Il faut être lucide, cette décision répond davantage à un impératif économique qu’à une considération humanitaire indépendante de la crise sanitaire. Très concrètement, elle s’inscrit dans l’urgence provoquée par la fermeture des frontières consécutive à la pandémie, fermeture qui empêche, jusqu’à nouvel ordre, le retour sur notre territoire des saisonniers qui y déferlent, chaque année, pour procéder aux récoltes. Bloqués dans leur pays d’origine, ces travailleurs ne peuvent apporter leurs bras à notre horticulture et c’est uniquement la perspective de ce manque que le kern tente ainsi de pallier.
Derrière cette mesure en apparence bienveillante qui ne relève que du pragmatisme économique, se cache donc, au bout du compte, pas mal de cynisme économique. La plus aiguë des considérations est la volte-face qui fait des demandeurs d’asile des travailleurs devenus soudains fréquentables et, pire même, des sortes de « régularisables temporaires ».
Pour un retour à un État social
En s’inspirant de l’histoire, et notamment du jeu de dupes qui, en 1946, a vu l’État belge échanger de la main-d’œuvre italienne destinée à nos mines contre… des sacs de charbon, les signataires de la carte blanche posent la question de savoir si nos décideurs n’ont pas, au final, inventé la citoyenneté intérimaire. Autrement dit, ils tiennent à attirer l’attention sur cette brusque tolérance dictée par la situation et à mettre la pression sur nos dirigeants politiques pour qu’ils envisagent de régulariser définitivement ces travailleurs au destin plus que précaire, une fois les récoltes terminées. Pourquoi ? Pour leur soutien à l’effort collectif et à l’intérêt public, tout simplement.
Dans leur appel, les Centres régionaux et le SeTIS wallon soulignent combien les sans-papiers, comme les SDF, sont abandonnés à leur sort, plaidant pour un retour à un État social, porté par des valeurs de solidarité et d’égalité. Et de rappeler que, pendant que la Belgique, comme la France, envoient les migrants aux champs, le Portugal les régularise pour les protéger du coronavirus. Une tout autre vision et une leçon à méditer…
Dominique Watrin
Le texte complet de la carte blanche est disponible via les centres régionaux d’intégration de La Wallonie et leurs sites Internet respectifs.