Les mineurs étrangers non accompagnés, maillon fragile d’une migration invisible pour laquelle les solutions d’aide sont insuffisantes
La question des mineurs étrangers non accompagnés (connus, dans le jargon courant, sous l’acronyme de MENA) est une des plus épineuses auxquelles les intervenants institutionnels et associatifs du secteur sont confrontés. C’est précisément sur cette thématique douloureuse que s’est penché un colloque co-organisé par plusieurs partenaires confrontés à ce public si particulier, parmi lesquels les trois centres régionaux d’intégration du Hainaut, le CIMB (Mons), le CeRAIC (La Louvière) et le CRIC (Charleroi). Au programme de ce rendez-vous intitulé « MENAgez-nous de nos souffrances, nous ne sommes en rien une MENAce… », des interventions de professionnels du milieu et des ateliers de réflexions croisées pour aborder des volets aussi variés de la question que le trauma de l’exil (la santé mentale), les défis de l’accompagnement des jeunes non DPI (demandeurs de protection internationale) et en transit, et les perspectives pour les post MENA.
RHESEAU, opérateur central de ce colloque, est le Réseau Hainuyer pour l’Epanouissement et la Santé mentale des Enfants, Adolescents et Usagers assimilés. Il vise à mettre en œuvre la nouvelle politique de santé mentale pour enfants et adolescents sur la province du Hainaut. Pour les MENA, l’axe de préoccupation et d’intervention est double : il y a, d’une part, l’accompagnement psychosocial et, d’autre part, l’accompagnement socio-juridique.
Les intervenant(e)s du colloque l’ont signalé, en exploitant chacun un point de vue à la fois différent et complémentaire : ces deux aspects du suivi du public MENA sont étroitement liés. Pour Anne-Laure Lecardinal, psychologue au centre d’accueil résidentiel pour MENA El Paso de Gembloux, cinq parcours types amènent les MENA à effectuer le grand saut vers nos contrées : les jeunes investis d’un mandat économique, les jeunes porteurs d’un mandat familial, les jeunes en errance, les jeunes issus de la traite des êtres humains et les jeunes porteurs d’un idéal.
Une image abîmée de l’adulte
Le constat de la psychologue, confirmé par les autres intervenants du jour, est que ces jeunes sont porteurs d’une image abîmée de l’adulte. Leur contact avec les adultes s’est établi avec des individus défaillants et, régulièrement, violents. Ils se sont bâtis dans une société défaillante (guerre, mariage forcé, etc.), très souvent abandonnés à leur sort, sans prise en charge. Leur représentation de la société est donc, assez logiquement, qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Leur lien avec leur famille d’origine est concomitamment celui d’un soutien et d’une source de tension. La famille n’est, la plupart du temps, pas au courant qu’il y a des lenteurs administratives dans notre pays, qu’on ne peut pas travailler à 15 ans, etc., ce qui provoque des incompréhensions avec les proches restés au pays.
Le premier axe de travail mené avec le jeune MENA est, par conséquent, une construction de la relation à l’adulte à travers la connexion individuelle qu’il a avec chaque adulte, comme le travailleur social qui l’accompagne. Et le deuxième axe de travail qui va de pair est de donner envie à ce jeune de devenir un adulte (sur lequel on peut compter), alors que la plupart des MENA ont tendance à se construire des petites communautés avec les autres MENA. Une étude a démontré que 52% des MENA développent des troubles psychologiques et psychiatriques au sein desquels on retrouve des troubles de stress post-traumatique (PTSD en abrégé) et des troubles de l’attachement.
Le PTSD désigne le traumatisme que l’organisme ne peut plus supporter et se caractérise notamment par des flashbacks, des cauchemars, une hypervigilance, une réactivité exacerbée, un comportement autodestructeur, une perte d’intérêt pour certaines activités, etc. Le trouble de l’attachement qui prend racine avant l’âge de six ans concerne, lui, le jeune qui n’a connu aucune figure d’attachement pendant la petite enfance. Il se caractérise notamment par un attachement fusionnel qui, s’il est confronté à une prise de distance ou à un recadrage, se mue en distance excessive, voire en rejet, comme s’il n’existait pas de stade intermédiaire entre fusion et rupture.
Un accueil ni adapté, ni suffisant
Pour Ysaline Janssen, psychologue au Service de Santé Mentale de Montignies-sur-Sambre, la préoccupation première avec les MENA est de leur offrir un espace pour parler d’autre chose que de leurs problèmes. Malheureusement, selon elle, après deux ou trois entretiens, ces jeunes ne reviennent plus. Vu cet écueil, l’équipe du service essaie de créer des groupes avec lesquels organiser des activités et d’élaborer certaines choses. La quête de ces jeunes est celle de leur identité et d’un cadre sécurisant, loin de leurs parents. La nécessité essentielle est donc de trouver un moyen pour entrer en contact avec eux, alors qu’ils évoluent dans une problématique de survie qui empêche de réellement travailler avec eux sur leurs traumas. La psychologue souligne, dès lors, l’importance de maximiser la collaboration entre le service et les centres d’accueil qui envoient les jeunes dans les services de santé mentale comme le sien, le contact le plus important de ces jeunes restant celui qu’ils ont avec les animateurs du centre qui les voient plus souvent.
De son côté, Michaël Clément de la cellule MENA du siège central bruxellois de Fedasil se pose d’emblée la question de savoir quoi mettre en place pour ces jeunes en errance, expression à laquelle il préfère « jeunes en recherche de projet de vie ». Le centre accueille des jeunes amenés soit par un tuteur, soit par la police, et parfois sortis d’un IPPJ. La première tâche est donc celle de l’accueil qui prend une direction différente suivant l’âge des MENA qui se dirigent vers le centre d’orientation de Sugny pour les plus âgés (afin de les éloigner de leur réseau « négatif ») et vers celui de Bruxelles pour les plus jeunes. Le principe est d’établir le profil de ces jeunes (envies, projets, etc.) et d’essayer de leur trouver la meilleure place dans le réseau, avec le risque de les perdre s’ils se sentent trop éloignés, trop isolés. L’intervenant note que très peu de ces jeunes s’installent durablement dans un centre d’accueil.
Quelles sont les principales difficultés dans le travail avec les MENA ? Michaël Clément en épingle plusieurs : des difficultés liées aux jeunes eux-mêmes (sentiment d’abandon, profil de rue, problèmes psys, poids du mandat familial, image faussée du réseau, etc.), l’accompagnement proposé (manque de structures spécialisées), l’absence de partenariats et l’offre scolaire non adaptée à laquelle il faut ajouter l’absence de perspective à l’âge de 18 ans, si ce n’est quitter le centre et reprendre l’errance. Pour l’intervenant, l’accueil de Fedasil n’est ni adapté, ni suffisant, à la fois par manque de moyens et par la nature d’un public très compliqué. Et d’insister sur le fait que le nombre de jeunes MENA en rue est sous-estimé, soulignant l’urgence d’une prise de conscience et d’un travail indispensable à la base, face à des jeunes qui ne sont pas intéressés par l’offre qu’on leur propose.
La nécessité de changer d’approche
Samuel Vincent est, lui, tuteur d’une trentaine de jeunes depuis dix ans mais aussi co-président d’une association de tuteurs professionnels. Lui aussi constate sur le terrain que les MENA abordés disparaissent la plupart du temps, ce qui a nécessité un changement d’approche. Le profil des jeunes rencontrés en « maraude » (circulation d’équipes en ville pour repérer et aider ces jeunes) tourne autour d’une fourchette d’âge de 9 à 18 ans dont une majorité est âgée d’environ 15 ans. On estime à 3000 à 5000 le nombre de MENA débarquant en Belgique chaque année, dont un tiers proviennent du Maghreb. Le phénomène est surtout présent à Bruxelles (essentiellement autour des gares du Nord et du Midi) alors qu’il est peu visible en Hainaut et peu présent à Liège (une vingtaine de cas recensés).
Entrer en relation avec ces jeunes est très difficile, d’autant qu’il n’y a plus aucune perspective pour eux après 18 ans. Un autre écueil est que ces jeunes ont deux familles : la famille d’origine, souvent monoparentale, vivant au pays et la famille des pairs d’exil avec laquelle il existe des liens très forts. S’ajoute à cela le fait que ces MENA ont bien souvent déjà connu la rue dans leur pays et que beaucoup d’entre eux connaissent un problème de consommation de drogue. Et des complications supplémentaires proviennent du fait que ces jeunes se mettent en scène sur les réseaux sociaux, affichant une errance qui donne l’envie à d’autres d’effectuer le même parcours que le leur, ainsi que du fait qu’ils ressentent une obligation morale vis-à-vis de leur famille, matérialisée bien souvent par un besoin d’aider la mère qui les a protégés, la plus grosse partie de leur argent dont ils parviennent à disposer étant envoyée au pays.
Très méfiants vis-à-vis des adultes, très débrouillards en raison du fait qu’ils sont livrés à eux-mêmes de longue date, ces MENA commettent beaucoup de FQI (faits qualifiés d’infractions) et sont, de ce fait, très rapidement confrontés à la police (consommation de drogue, revente de cigarettes ou d’objets volés, etc.). Le volet judiciaire de la prise en charge de ces jeunes est donc très important et pas adaptée. Le passage par un tribunal de la jeunesse offre la possibilité de stopper une spirale infernale. À noter que les MENA placés en IPPJ font généralement l’objet d’un rapport très élogieux à leur sortie, car ils possèdent une grande capacité d’adaptation pour peu qu’ils soient encadrés.
Dominique Watrin