L’exploitation sexuelle et la traite des MENA : le combat incessant de la lutte et de la prévention
Les mineurs étrangers non accompagnés (MENA) ont toujours constitué des proies extrêmement faciles pour les trafiquants et abuseurs, que ce soit tout au long de leur parcours migratoire ou une fois arrivés dans leur pays d’accueil. C’est à ce public à la vulnérabilité criante que le CRIPEL (Centre régional d’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège) a consacré récemment une de ses midis-conférences sous le titre « Protéger les MENA contre l’exploitation sexuelle et la traite ». Un exposé en deux temps visant à répondre à autant de questions essentielles : quels types de jeunes sont concernés par cette problématique ? Et quel travail de sensibilisation mettre en place pour les protéger ?
Les dernières statistiques disponibles, récoltées en 2013-2014, mentionnent environ 30.000 MENA victimes de la traite identifiés en Europe. En Belgique, on estime qu’entre cinq et dix enfants entrent, chaque année, dans la procédure qui concerne les victimes de la traite des être humains. Tous ces chiffres sont bien évidemment très sous-évalués, mais, de l’avis des spécialistes, notre pays fait figure de pionnier en matière de lutte contre ce phénomène, avec notamment des magistrats formés à cette question et des projets de formation à l’intention des interprètes impliqués dans ces dossiers lourds notamment sur le plan émotionnel.
Le piège des « loverboys »
L’association liégeoise Esperanto est un service d’accueil pour mineurs étrangers présumés victimes de la traite des êtres humains. Active depuis 17 ans, elle a une capacité d’accueil 24 heure sur 24, 365 jours par an, de quinze personnes mineures, filles ou garçons, âgés de 0 à 18 ans. Son coordinateur, Thomas Colin, définit l’exploitation sexuelle comme la plus grande partie de son travail et la première raison d’accueil au sein de son institution. Le principal profil du prédateur agissant dans ce cadre est celui des « loverboys » qui, dans notre pays, s’adressent en priorité à des filles roumaines, bulgares et belges. Ces hommes opèrent, via un cycle qui comprend quatre phases : le recrutement (parfois simplement en discothèque), l’enjôlement, le lien de dépendance affective et, enfin, l’exploitation.
Les techniques utilisées sont différentes d’une région du monde à l’autre. Chez les Albanais et les Bulgares, les filles sont enlevées et contraintes de quitter le pays. Au Nigéria, elles sont recrutées au pays avec la promesse d’une vie meilleure en Europe et, une fois parvenues à destination, elles sont mises sous la coupe de femmes, souvent elles-mêmes anciennes prostituées.
La pratique de contrôle est également variable en fonction des cultures. Dans les filières des pays de l’Est, les victimes sont constamment surveillées et n’ont donc aucune liberté. Elles gardent généralement la plus grande partie de leurs revenus. Le fait qu’elles perçoivent ainsi des sommes conséquentes par rapport à celles gagnées au pays fait en sorte qu’elles ne dénoncent généralement pas leur proxénète. On parle, dès lors, parfois dans ce cas, de victimes « consentantes ». Du côté des victimes africaines, la mise sous emprise se fait par le biais de rituels vaudous, sus la forme de pactes scellés avec les filles grugées et leurs familles, par lesquels celles-ci s’engagent à rembourser des sommes prêtées, généralement astronomiques (on parle de montants variant de 40.000 à 70.000 €), sous peine de malheurs qui s’abattraient sur elles.
Pour l’ensemble de ces filles, les différents lieux de mise à la prostitution sont classiques. Ce sont les rues, les bars, les vitrines, les maisons privées et, de plus en plus, des sites Internet. Les formes de prostitution les plus discrètes renforcent l’abus des proxénètes. Cette prostitution concerne essentiellement les filles, mais les garçons ne sont pas épargnés, comme c’est le cas dans le milieu roumain. Des jeunes filles belges d’origine africaine sont également embrigadées par des bandes de quartier de Bruxelles, comme l’actualité l’a encore révélé récemment.
Des modes d’exploitation en tout genre
De son côté, l’exploitation économique en Belgique concerne, au premier chef, des jeunes filles marocaines arrivées clandestinement et enfermées comme esclaves domestiques dans des maisons, ce qui les rend d’autant plus difficiles à retrouver. Ce mode d’exploitation concerne également des jeunes filles roms, mariées avec des hommes de leur communauté qui les envoient au pays pour y servir d’esclaves domestiques. Enfin, il existe aussi le cas des jeunes maghrébins ou indiens exploités dans des commerces comme des boulangeries ou des boucheries, dans des exploitations agricoles ou sur les marchés, des Pakistanais dans la vente de fleurs (phénomène en régression), ainsi que des jeunes Chinois et Vietnamiens travaillant dans des ongleries et dans l’Horeca, notamment au sein de restaurants exotiques.
Une autre forme d’exploitation est l’obligation de commettre des délits. Elle touche surtout des enfants roms, âgés généralement de 11 à 16 ans, contraints de perpétrer des vols dans les habitations, les magasins, d’exercer comme pickpockets, de voler des cartes bancaires, etc. Des mineurs nord-africains, recrutés au pays ou sur le territoire, sont, quant à eux, intégrés dans des réseaux de vente de drogue. Vu la nature de leurs délits, ils sont, avant tout, perçus par la justice comme délinquants, ce qui complique leur prise en charge.
S’adjoint à cela, l’exploitation dans la mendicité, une pratique qui a majoritairement cours chez les Roumains et dans la communauté rom, avec des enfants porteurs d’un handicap à qui on fait miroiter une perspective de soins médicaux et qu’on contraint de ramener une certaine somme d’argent par jour. S’ajoute enfin le trafic des êtres humains proprement dit qui frappe, en premier lieu, les Afghans, les Chinois, les Vietnamiens et les Indiens qui paient des sommes astronomiques dans l’espoir de rejoindre l’Angleterre, ainsi que des jeunes Irakiens et Syriens confiés à des passeurs. Lorsqu’ils sont pris en charge par une association comme Esperanto, l’ensemble de ces jeunes bénéficient d’un accompagnement qui peut varier de six mois à un an en moyenne, avant d’être parfois ensuite orientés vers des structures d’aide à la jeunesse.
Prévenir, écouter, mobiliser
Comment sensibiliser les MENA à tous les pièges de la prostitution et de la traite des êtres humains ? ECPAT Belgique est la branche belge d’un réseau international qui compte une centaine de membres dans le monde. Son objet est de mettre en place des actions et projets concrets pour lutter contre l’exploitation sexuelle des enfants. Pour ce faire, elle conjugue trois axes de travail. D’abord, prévenir le fléau par des actions régulières auprès de professionnels comme hôteliers, avocats, tuteurs, etc., en mettant en lumière les réalités de cette exploitation sexuelle. Ensuite, écouter les voix des enfants et les répercuter dans des recherches, des programmes et des campagnes consécutives à des choix stratégiques. Et enfin, mobiliser pour que le combat contre cette exploitation sexuelle des enfants s’effectue en compagnie d’une majorité de partenaires.
Parmi ses actions, épinglons le projet « (Dé)clic, la sécurité en ligne par et pour les jeunes ». Celui-ci s’attaque au recrutement en ligne et au phénomène de « sexting ». Il s’agit de l’envoi de message à caractère sexuel qui glisse d’un échange interindividuel à une diffusion incontrôlable, lors, par exemple, de ruptures amoureuses entre jeunes adolescents. Il concerne aussi les photos diffusées par Snapchat, censées se détruire immédiatement, mais qui peuvent faire l’objet de captures d’écran et être diffusées.
Pour la coordinatrice d’ECPAT Belgique, Ariane Couvreur, la sensibilisation opérée ne peut pas consister à déconseiller aux jeunes l’utilisation d’Internet, un message qui serait inopérant. Il s‘agit d’abord de donner des conseils très concrets, comme celui de ne pas fournir de photos dénudées sur lesquelles apparaissent leur visage. En complément, il convient de les interroger et de les faire réfléchir sur des questions comme celle de la vie privée et de l’intimité (de quoi parler sur Internet ?).
Il y a aussi le phénomène de « sextorsion » qui se définit comme un chantage à la remise d’argent ou de photos supplémentaires, sur base de photos sexuelles déjà obtenues. Enfin, un troisième phénomène consiste au recrutement, via Internet, de personnes vulnérables avec lesquelles est nouée une relation prétendument secrète afin de perpétrer des abus sexuels, souvent de la part d’adultes envers des enfants. Un des objectifs de l’information sur ces dangers est de former des jeunes qui, à leur tour, forment et informent d’autres jeunes. Dans chaque lieu de sensibilisation, il importe de déterminer des personnes relais, comme un coach, un éducateur, etc.
Former, informer et sensibiliser
Un autre projet d’ECPAT Belgique, nommé ReACT vise à sensibiliser à la traite des êtres humains, les MENA étrangers, mais aussi, de manière plus élargie, les avocats et tous les professionnels confrontés à la question. Une brochure a ainsi été réalisée, via une démarche menée avec des groupes de MENA auxquels on a posé la question suivante : si ta petite sœur ou ton petit frère venait en Belgique, quelles informations souhaiterais-tu lui donner ? Un document a été établi sur base de leurs idées, puis testé auprès d’eux. Aujourd’hui terminée, cette brochure est disponible en 13 langues, et complétée par une courte vidéo.
Des formations sont également mises en place à l’intention des professionnels en contact avec les victimes potentielles (tuteurs des MENA, Service d’Aide à la Jeunesse, Service de la Protection de la Jeunesse, avocats spécialisés dans le domaine, etc.). Les séances comportent des mises en situation (pour détecter les indices potentiels de traite), des descriptifs des différentes formes de traite, et des jeux de rôle sur des cas concrets qui peuvent se présenter. Parallèlement, il existe des formules pour sensibiliser le grand public, notamment à partir de la présentation d’un film.
Une dernière facette de l’exploitation sexuelle fait l’objet de toute l’attention d’ECPAT, à savoir le tourisme sexuel. Ce dernier existe partout dans le monde, y compris en Europe, notamment dans des pays comme l’Espagne, le Portugal ou l’Italie où, crise économique aidant, des sites d’« escorts » se multiplient. La question concerne aussi des MENA bloqués en Grèce, très vulnérables car vivant dans une précarité extrême. Le tourisme sexuel est perpétré par toutes les catégories de personnes, par des travailleurs, y compris humanitaires, par des membres des forces de sécurité, etc. Les auteurs de ces actes n’affichent généralement pas, à proprement parler, de préférence pour les enfants, mais profitent de l’anonymat et d’un certain sentiment d’impunité pour s’offrir les charmes de très jeunes filles ou garçons. Dans sa palette d’actions enfin, ECPAT Belgique prend part à une initiative commune, celle du site jedisstop.be, qui invite à signaler les actes suspects observés sur des victimes mineures. Le grand public l’ignore encore trop, mais des poursuites sont possibles en Belgique contre les agissements de ce type.
Dominique Watrin