Sept projets novateurs centrés sur l’épanouissement et le lien pour aider les jeunes migrants à mieux vivre en tant qu’enfant
Les mineurs sont fréquemment épinglés, à juste titre, comme étant les victimes les plus vulnérables lorsqu’interviennent l’émigration et l’exil qui en découle. En 2018, un appel à projets lancé par le Fonds Houtman de l’ONE (Office de la Naissance et de l’Enfance) s’est centré sur ce pan de population particulièrement fragile, en axant son effort sur des actions et des outils permettant à ces jeunes de se relier, de reconstruire leur histoire, de débloquer leur imaginaire. Près de cinq ans plus tard, un ouvrage intitulé « Vivre enfant dans la migration » retrace plusieurs de ces actions et outils à travers sept contributions bénéficiaires d’un accompagnement du Fonds Houtman. Autant d’initiatives perçues comme des tremplins vers un retour à la vie.
Né en 1989, le Fonds Houtman a pour vcoation de « soutenir des actions et des recherches-actions pour l’enfance en difficulté en Communauté française de Belgique », que ces difficultés soient d’ordre physique, psychique ou social et ce, sans distinction de sexe, de race, de nationalité, de religion ou de conception philosophique. Les projets évoqués dans l’ouvrage collectif paru récemment et rédigé sous la coordination de Danièle Crutzen, directrice du Centre d’accueil MENA (Mineurs Étrangers Non Accompagnés) d’Assesse, et Altay Manço, directeur scientifique de l’IRFAM (Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations) s’inspire de la prise en compte du nombre d’enfants déracinés dans le monde, estimé à 50 millions, dont la Belgique n’accueille qu’une infime partie.
Les recherches dans le domaine mettent en évidence les deux principales préoccupations exprimées par ces jeunes exilés : l’inquiétude pour leurs proches restés au pays et les difficultés rencontrées dans le pays d’accueil. Face à ces ressentis négatifs, des facteurs de résilience prennent cependant place, comme l’école, les loisirs, les jeux ou les amis. Ce sont ces opportunités de refaire du sens et de retisser du lien que ciblait l’appel à projets.
Développer des outils concrets
Les sept projets dont il est question dans l’ouvrage ont donc bénéficié à la fois d’un financement et d’un accompagnement du Fonds Houtman leur permettant de développer des outils concrets, réutilisables et/ou transférables sur d’autres terrains. Le premier baptisé « Les hirondelles font le printemps… » visait à promouvoir une résilience psychosociale et à accompagner les deuils de l’exil par les liens créés autour de pratiques sportives et ludiques au sein du Centre MENA Les Hirondelles du CPAS d’Assesse. Le deuxième, titré « Welcome chez vous », consistait en la réalisation d’un film, de la scénarisation jusqu’au tournage, abordant le vécu de jeunes exilés. Le troisième, intitulé « S’épanouir à travers nos cent langages » s’intéressait au parcours artistique et culturel de jeunes demandeurs d’asile de Morlanwelz.
Le quatrième projet nommé « La caravane des Rêves. Parce que le rire est vital ! », confié à l’asbl Clowns Sans Frontières Belgique, consistait en des stages et en la réalisation d’un dossier pédagogique. Le cinquième, organisé par la Maison de la Création-Centre Culturel Bruxelles Nord, s’intitulait « Traces, reflets de réfugiés mineurs » et était constitué d’ateliers de création participatifs mis sur pied avec et par des MENA, avec pour finalité la réalisation d’une exposition de photos et d’un livre. Le sixième, développé au sein du Musée de la Vie wallonne à Liège, s’intéressait à la marionnette comme outil de médiation, à travers un travail original autour de « La marionnette liégeoise, outil social et culturel », faisant la jonction entre les univers du liégeois Tchantchès et du personnage mythique de la culture musulmane, Nasr Eddin Hodja, deux étendards de la culture populaire qui ont pour point commun leur esprit frondeur. Enfin, le septième projet appelé « Exprime-art », confié à la plateforme Mineurs en exil et au service Droits des Jeunes de Bruxelles, proposait des ateliers créatifs et ludiques pour enfants en centres d’accueil.
Rendre légitime la multiplicité des identités
Quels constats peuvent être tirés de ces sept projets et de leur aboutissement ? Pour les mineurs, ces initiatives ont d’abord simplement permis de retrouver le droit de jouer, de rire et de partager un moment d’insouciance. Ce sont les lignes de force que le Fonds Houtman a voulu privilégier. S’y sont adjoints une multitude d’acquis comme vaincre sa timidité, acquérir ou étendre son vocabulaire à travers l’échange, bénéficier d’une confiance et d’une reconnaissance de ses capacités, etc. Exprimé en une formule courte : ce n’est pas l’activité artistique ou sportive qui est thérapeutique, mais les liens qui s’y tissent, avec des feedbacks émotionnels forts autour du sentiment d’avoir réussi quelque chose, d’avoir gagné, bien loin du feedback scolaire de ces jeunes qui est plus lent à émerger et est souvent plus négatif. Pour le projet autour du Musée de la Vie wallonne, par exemple, il y avait à la fois un travail manuel sérieux mais plaisant sur la fabrication des marionnettes faites de matériaux nobles (poncer, peindre, etc.) et un travail sur le pays d’origine, né d’une transmission mutuelle avec les parents, permettant aux jeunes à la fois de mieux s’implanter dans leur nouvel univers et d’être plus à l’aise avec leurs origines. Au sens plus large, le résultat humain était donc de rendre légitime la multiplicité des identités.
De manière plus globale, ces sept projets ont mis en lumière le fait qu’il n’existe pas de modèle d’enfant migrant auquel il suffirait d’appliquer des recettes d’outils pour réussir son intégration. Au contraire, l’expérience a mis en évidence qu’il y a une grande diversité de situations et que tous les enfants migrants, accompagnés ou pas de leurs parents, filles ou garçons, sont en rupture de liens et de repères. Face à cette situation, le travail des équipes à intégrer la complexité des situations et à y répondre de manière adéquate, en trouvant les justes équilibres entre les besoins d’individualisation et de socialisation des jeunes, entre les connexions avec l’intelligence et l’affectivité, entre les développements cognitif, affectif et social, a été remarquable.
Créer une relation de confiance
Tant les souffrances que les inquiétudes des jeunes, mais aussi leur envie de vivre, de grandir ont pu s’exprimer à travers la diversité de langages que sont la photo, le cinéma, la danse, la marionnette, le cirque et même la broderie. Au-delà de cette expression, il s’agissait de mettre en place des dispositifs dans lesquels l’observation, les échanges et la création d’une relation de confiance occupent une place centrale. Le mélange de professionnalisme et d’engagement des équipes encadrantes a joué un rôle majeur dans la réussite des projets, favorisant et valorisant la participation des jeunes, s’adaptant à leurs besoins (notamment d’un cadre sécurisant et bienveillant, d’isolement et de collectivité, de construire un lien de confiance avec les adultes, etc.).
L’autre volet de projet, la santé au sens large, a, lui aussi, fait l’objet d’une attention toute particularité. Une majorité de recherches récentes confirment un taux élevé de dépressions, d’anxiété et de stress post-traumatiques chez les jeunes migrants. Mais ce qui transparaît à travers le travail coordonné par Danièle Crutzen et Altay Manço, c’est que les troubles psychosociaux de ces jeunes ne sont pas seulement le résultat de leurs conditions de vie avant leur trajet migratoire, mais proviennent aussi de leur vécu post-migratoire et de la manière de les accueillir, avec le manque d’adéquation des institutions, des pratiques et de dispositions légales. Avec cette donne, au-delà des projets, la priorité pour les deux coordinateurs de l’ouvrage est plus que jamais l’intérêt supérieur de l’enfant… de tous les enfants.
Dominique Watrin
Vivre enfant dans l’immigration, Danièle Crutzen et Altay Manço (sous la coordination de), 140pp., L’Harmattan (Collection Compétences interculturelles), 2022.