Un rapport parallèle d’Unia et Myria épingle une liste de pistes pour accentuer l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes
La lutte contre les discriminations à l’égard des femmes est un combat devenu officiellement majeur au fil du temps, au point de constituer aujourd’hui une priorité absolue. Acteurs de premier plan de la lutte contre toutes les formes de discrimination envers les personnes étrangères ou d’origine étrangère qui en sont les victimes, Unia (le Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et les discriminations) et Myria (le Centre fédéral migration) viennent de publier leur « Rapport périodique de la Belgique 2022 », le huitième du genre, en lien avec le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Un document qui met en exergue certains points sombres de la problématique qui touchent le public migrant…
La collaboration d’Unia et Myria à la rédaction de ce rapport n’est pas un hasard. Institution interfédérale compétente pour agir aux niveaux fédéral, régional et communautaire, Unia est chargé d’assister et d’ester en justice avec les victimes de discrimination sur la base des critères dits « protégés » énoncés dans la législation anti-discrimination. Ces critères sont au nombre de 19, parmi lesquels figurent les 5 critères dits « raciaux », à savoir la prétendue race, la couleur de peau, la nationalité, l’ascendance (juive), et l’origine nationale ou ethnique. De son côté, Myria est un organisme public autonome qui analyse la migration, défend les droits des étrangers, et lutte contre le trafic et la traite des êtres humains. À deux, ces acteurs de premier plan dans leurs domaines sont les successeurs légaux de l’ancien Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme.
Un rapport ancré dans la réalité de terrain
Le rapport de dix pages de cette édition 2022 est basé sur diverses sources d’information. Ce sont à la fois les signalements déposés par des personnes ou des associations, les résultats des missions de suivi et des recommandations du tandem d’institutions, le fruit de leur participation à divers groupes de travail, comités et conseils consultatifs, les rapports des autorités et organismes concernés, ainsi que les rapports et recommandations de la société civile.
Comme ses précédentes éditions, ce rapport parallèle a été rédigé à l’attention du Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Ce rapport est rédigé chaque fois que la Belgique fait l’objet d’un examen périodique. Les comités onusiens se basent sur ces rapports, ainsi que sur ceux de la société civile, pour dialoguer avec la Belgique à propos de la situation nationale en termes de droits humains et des améliorations qui pourraient y être apportées. Après le dialogue (nommé « dialogue constructif »), les comités remettent des « observations finales » dans lesquelles prennent place leurs préoccupations et leurs recommandations vis-à-vis de l’État.
Un statut pour les parents des MENA
Le premier domaine de discrimination abordé concrètement dans ce rapport conjoint est celui de l’emploi. Le constat de base sur ce plan, en lien avec les critères « raciaux », est que le taux d’emploi des femmes d’origine européenne a augmenté, mais que la situation des femmes d’origine étrangère sur le marché du travail reste préoccupante. Le taux d’emploi des femmes, toutes origines confondues, est toujours plus faible que celui des hommes. Elles occupent davantage d’emplois à temps partiel, avec des salaires plus bas ou dans des secteurs d’emploi spécifiques comme le secteur des aides ménagères. Des lacunes sont, par ailleurs, relevées quant à la reconnaissance des métiers du CARE (c’est-à-dire de « soin », soit les auxiliaires de vie, les aides à domicile, les aides soignant.e.s, etc.) dans lesquels on retrouve des femmes peu qualifiées et/ou étrangères dont les diplômes ne sont pas reconnus. Cette ethnicisation des métiers concernés tend à mettre en avant des prédispositions supposées « naturelles » de ces travailleuses à exercer ces fonctions qui exigent empathie et sollicitude.
En ce qui concerne les mineurs étrangers non accompagnés (MENA), ressortissants de pays tiers, disposant d’un droit de séjour en Belgique, le rapport épingle le fait qu’ils n’ouvrent pas le droit pour leurs parents de bénéficier du droit au regroupement familial. Les auteurs du rapport estiment qu’un statut de protection international dérivé devrait être prévu dans la loi pour les parents, afin de protéger l’unité familiale et l’intérêt supérieur de l’enfant, en particulier des filles obtenant une protection relative aux mutilations génitales féminines.
L’épineuse question des violences domestiques
Dans le domaine des violences faites aux femmes, le document évoque notamment les violences spécifiques subies par les femmes musulmanes sur base des stéréotypes liés à leur religion. Un projet international mené sur cette question qui demeure trop peu documentée démontre la nécessité d’explorer ce phénomène. Unia a reçu, à ce niveau, plusieurs signalements faisant état de faits de violence à l’égard de jeunes filles et jeunes femmes musulmanes (agressions verbales et physiques, arrachage de foulard sur la voie publique, etc.).
Dans le même domaine, le rapport rappelle que les migrantes victimes de violences domestiques dans le cadre d’un séjour légal basé sur le regroupement familial sont protégées par la loi. Elles peuvent demander un séjour indépendant et sont autorisées à rester légalement sur le territoire après leur séparation du membre de famille violent. Ces mesures ne sont pas valables pour les migrantes en séjour irrégulier. L’Office des Étrangers s’est cependant engagé officieusement à ne pas détenir les personnes étrangères qui se présentent à la police pour porter plainte. L’obligation de ne pas discriminer les victimes de délits sur leur statut de séjour n’a cependant pas été transposée dans la loi belge, malgré qu’elle soit imposée par la directive européenne sur les victimes.
Un traitement égal des victimes en séjours légal et illégal
D’après une recherche récente citée dans le document, 61% des demandeurs d’asile interrogés déclarent avoir été victimes de violence sexuelle (avec ou sans contact physique) au cours des 12 derniers mois, un chiffre nettement plus élevé que celui de la population générale (44%). Une part importante de ces violences a été commise en Belgique et, selon les personnes interrogées, résider dans un centre collectif constitue un facteur de risque supplémentaire. Parmi les recommandations liées aux violences faites aux femmes, le rapport demande de garantir qu’une victime sans papiers puisse jouir des mêmes droits que toute autre victime.
En matière de traite et d’exploitation de la prostitution, le dossier soulève notamment la question du sort des travailleuses du sexe en séjour irrégulier parmi lesquelles figurent des victimes potentielles de traite des êtres humains qui sont confrontées au risque de verser dans une totale clandestinité. Dans un autre secteur, les membres de la famille des étudiants originaires de pays tiers n’ont, eux, pas accès au marché du travail, ce qui les rend totalement dépendants du revenu de l’étudiant. Pour les auteurs du rapport, l’octroi de cet accès donnerait à ces personnes, qui sont majoritairement des femmes, l’occasion de contribuer et de participer pleinement à la société belge, tout en augmentant l’autonomie du migrant étudiant.
Une protection légale claire des femmes enceintes
Parmi les autres points évoqués dans le rapport, l’un a trait aux signes convictionnels qui touchent particulièrement les femmes et font, chaque année, l’objet d’un grand nombre de signalements. Une analyse relayée, portant sur la période courant de 2017 à 2020, établit que 50% des dossiers concernent des victimes d’origine non belge. Si on approfondit l’analyse, on peut déterminer que 90% de ces victimes sont musulmanes, 76% sont des femmes et 13% sont en situation précaire. Les règles relatives au port de signes religieux touchent principalement les femmes musulmanes sur le marché de l’emploi et dans l’enseignement.
Sur la question de la maternité et de la naissance, le document rappelle que la loi sur les étrangers ne règle pas la question de la détention ou de l’éloignement des femmes enceintes et que le nombre de semaines de grossesse jusqu’auquel la détention et le retour (soit consenti, soit forcé) sont possibles, diffère. Il n’existe donc pas de réglementation claire qui protège la femme enceinte, la jeune mère et le nouveau-né contre la détention et/ou un éloignement. Le rapport recommande donc de protéger davantage légalement la femme enceinte et d’encadrer de manière restrictive les circonstances et les conditions dans lesquelles elle pourrait être détenue en centre fermée et/ou éloignée.
Enfin, le document rappelle qu’avant la réforme du Code de la nationalité belge en 2012, les changements de nationalité concernaient davantage les femmes (52,9%). En 2019, le chiffre s’était équilibré avec 49,6% de femmes. Le durcissement des conditions d’accès à la nationalité par déclaration et la suppression de l’acquisition de la nationalité par le conjoint étranger d’un Belge ont impacté dans les faits l’acquisition de la nationalité belge par les femmes. Unia et Myria invitent, par conséquent, la Belgique à prendre des mesures pour que la législation sur la nationalité belge n’entraîne pas des discriminations basées sur le genre.
Dominique Watrin
Pour tout contact : www.unia.be et www.myria.be. Pour consulter et télécharger le rapport : https://www.unia.be/files/Documenten/Publicaties_docs/CEDAW_2022_FR.pdf