Une étude qualitative de 2018 dresse les axes majeurs permettant d’optimiser aujourd’hui encore les performances du parcours d’intégration en Wallonie
Inscrit depuis plusieurs années dans le paysage institutionnel et associatif wallon, le parcours d’intégration pose de multiples questions tant au niveau de ses objectifs et de son fonctionnement que de son bilan et de ses résultats. C’est à l’ensemble de ces préoccupations que l’équipe du CRIC (Centre Régional d’Intégration de Charleroi) a consacré récemment un webinaire en ouvrant la réflexion sur la thématique de « L’évaluation du parcours d’intégration en Wallonie ». Aux commandes de la séance, Elsa Mescoli, docteure en Sciences sociales et politiques, active au sein du CEDEM (Centre d’Études de l’Ethnicité et des Migrations) et de SPIRAL, le centre de recherche de l’Université de Liège qui s’occupe de l’évaluation des politiques publiques. Celle-ci a fait état de la démarche et des conclusions de l’évaluation du parcours d’intégration, commanditée par le ministre de l’Intégration sociale et le ministre de l’Emploi auprès de l’IWEPS (Institut Wallon de l’Évaluation, de la Prospective et de la Statistique) et réalisée en 2018. Avec un ensemble de constats de l’époque qui font toujours résonance aujourd’hui.
Le rapport au centre des discussions s’appuie sur une étude menée par deux équipes différentes ayant des approches complémentaires, dans une vision transdisciplinaire, avec une logique sociologique et anthropologique, adoptée au sein du CEDEM. L’approche était totalement qualitative et donc, non basée sur les chiffres et les indicateurs, mais plutôt sur l’expérience des personnes qui vivent concrètement le parcours d’intégration.
La recherche était basée sur une méthode appelée « la théorie du changement » qui consiste à étudier d’abord les objectifs des mesures politiques ou sociales implémentées dans un contexte, d’en étudier la logique d’intervention et ce qu’on attend en termes de changement en mettant en place cette mesure politique. Ensuite, le principe est de vérifier ce qui se passe sur le terrain (Est-ce que les objectifs envisagés ont été atteints ? Sous quelles conditions ? Quelles sont les problématiques qui émergent ?) afin de voir ce qui peut donner éventuellement lieu à des recommandations pour que ça aille mieux. Cette évaluation a elle aussi été menée sous une forme participative, dans le sens où, une fois l’étude faite, ses résultats ont été soumis à des personnes concernées non incluses dans la recherche afin de nuancer et enrichir les propos de celle-ci.
Trois cas d’étude
La recherche s’est penchée sur trois cas d’étude afin de maximiser la diversité contextuelle des personnes concernées, à savoir les centres régionaux de Charleroi (CRIC), de Liège (CRIPEL) et de la province de Luxembourg (CRILUX) qui vivent des réalités différentes en termes de population étrangère et primo-arrivante, mais aussi de situation (urbaine ou rurale), de services proposés, d’accès, etc. Au niveau des répondants, l’attention a été portée sur la diversité de profils, en termes d’origine, de trajectoire migratoire (motif d’immigration, statut de séjour…), de positionnement dans le parcours d’intégration, etc. Au final, 30 bénéficiaires, répartis équitablement sur les trois cas d’étude, ont été retenus et divisés en deux sous-groupes : le premier constitué des personnes arrivées à la moitié du parcours d’intégration, le second des bénéficiaires ayant terminé le parcours. À ces 30 personnes ont été joints 15 acteurs de terrain appartenant à l’environnement local (opérateurs FLE, formateurs en citoyenneté et en ISP, etc.).
La recherche a permis de construire la logique d’intervention d’un dispositif de politique publique mis en place dans un contexte spécifique. Au départ de l’identification de certains besoins constatés au niveau régional, une intervention est mise en place avec des budgets et des acteurs de la politique afin de favoriser l’accès au service pour les bénéficiaires. Il s’agit d’observer, dans la foulée, les résultats obtenus suite à l’intervention. Cela a notamment permis de signaler les conditions plus problématiques, à savoir les points du schéma où celui-ci ne fonctionne pas.
Une nécessité de cadrage global
Le premier point a été de cerner si les objectifs du parcours étaient clairs pour les intervenants. À ce niveau, il a été constaté que la marge de manœuvre laissée aux opérateurs de terrain a conduit à une difficulté de mise en commun et de collaboration. Le deuxième point porte sur l’articulation avec les autres dispositifs ; celle-ci est apparue comme non clarifiée d’emblée, ce qui peut amener à une diversité de fonctionnements de la collaboration. Le troisième point constaté est l’impact des politiques fédérales sur la mise en pratique des parcours d’intégration, notamment via l’accès aux titres de séjour, les questions de nationalité, etc. Le quatrième point est le suivi des différents processus d’évaluation et le cinquième est la concertation qui était décrite comme pas tout à fait efficace.
Au niveau de la législation, les questions problématiques qui ont émergé étaient la durée insuffisante du parcours, les obligation et système de sanctions y afférent, la définition du public-cible (l’offre en cours ne répondait pas à toutes les demandes) et les délimitations territoriales (avec des difficultés pour les personnes à se déplacer). Un autre point de difficulté apparu se situait au niveau de la collaboration des acteurs du dispositif, notamment entre les centres régionaux d’intégration et les communes, les CPAS, le Forem, etc., qui n’était pas spécialement formalisée et qui souffrait d’un manque d’information et de formation, notamment au sein des communes. Il y avait également une nécessité de cadrage global des synergies et du partage d’information qui était encore manquant.
D’autres questions problématiques se sont révélées au niveau du renforcement du secteur de l’intégration impulsé par les politiques, notamment le mécanisme de financement générant des tensions auprès des différents CRI, entre les CRI et les opérateurs ILI (avec des critères de subventionnement qui n’étaient pas toujours pertinents, particulièrement pour les petites structures) et au niveau de l’interprétariat social du Setis dont l’offre était insuffisante, ce qui impacte la compréhension et le suivi du parcours.
Au niveau de l’insertion socioprofessionnelle (ISP), le dispositif était assez récent au moment de son évaluation. Il y avait néanmoins une nécessité de professionnaliser le secteur, de montrer son importance auprès des acteurs de l’intégration et de l’adapter à la prise en charge du public primo-arrivant (notamment au niveau de la langue, des critères d’entrée et de l’évaluation des compétences). Il a été également constaté un manque de transversalité entre les secteurs de l’intégration et de l’ISP, avec une sorte de concurrence en termes de temporalité entre les deux parcours.
Une linéarité problématique
L’expérience des primo-arrivants a pu être analysée grâce à des entretiens réalisés auprès de bénéficiaires. Le premier constat a été que la linéarité de l’accès au parcours et de son suivi, telle que prévue, ne se vérifiait pas dans la réalité. L’information n’était notamment pas suffisamment reçue dans les communes. Quant à l’obligation de suivi du parcours, elle a été jugée inadéquate en raison de la faiblesse des moyens permettant aux opérateurs de la respecter.
Du côté des primo-arrivants, cette situation altère la motivation, entraînant des sanctions très pénalisantes pour les individus, alors que les délais et les moyens sont souvent insuffisants, sans compter les coûts (logement, santé, transport, etc.) qui constituent des freins dans la mesure où ils ne sont pas pris en compte. L’obligation oriente aussi la démarche des opérateurs dans le sens où ils sont soumis à une obligation de suivi qui ne correspond pas à une obligation de moyens. De leur côté, les personnes sont en demande d’accompagnement en ISP, mais ils rencontrent des freins comme l’offre insuffisante, une mobilité difficile, des besoins de base insatisfaits, etc.
Au niveau du contenu du parcours d’intégration, le retour du terrain a été que le bilan ne permet pas l’objectivation de toutes les compétences avec les moyens standardisés d’évaluation. L’orientation vers les cours est souvent conditionnée par l’offre disponible et la temporalité est soumise au statut de séjour. Des éléments vont entraver l’acquisition de compétences : la question de la langue, l’approche pédagogique (qui doit être spécifique et adaptée à un public adulte), le lien factuel et temporel de l’acquisition des compétences avec le projet professionnel des personnes, etc. Les contenus sont jugés utiles s’ils sont adaptés aux besoins. Il faut qu’ils apportent une dimension pratique, un échange collectif et soient « opérationnalisables ». Un autre élément estimé comme essentiel est l’évaluation interne. Si le mécanisme de cette évaluation est problématique parce qu’il n’est pas clair, il impacte les possibilités d’amélioration et, conséquemment, la qualité de l’offre de service.
Une intégration pluridimensionnelle
Après le suivi du parcours, la question principale qui se pose est de savoir si ce parcours répond aux besoins des bénéficiaires. Selon les avis recueillis auprès de ces derniers, il est jugé utile en termes d’accompagnement, moyennant plusieurs éléments. Le premier est qu’il soit organisé et perçu comme un accompagnement et pas comme une obligation assortie de contrôles, et qu’il amène à une autonomie dans les démarches. Il faut aussi que sa temporalité corresponde aux besoins et priorités des individus. Il fournit également des apports fondamentaux en termes de connaissance de la société locale, de la langue et de l’insertion socioprofessionnelle.
Mais le parcours ne répond pas à des besoins de base qui sont le logement, la santé mentale, sauf moyennant l’orientation vers d’autres services qui peuvent éventuellement prendre en charge ces questions. L’expérience des bénéficiaires leur fait également dire que le dispositif ISP ne constitue pas du tout une garantie d’accès à l’emploi, ce qui déçoit parfois leurs attentes et les pousse à s’interroger sur l’utilité de ce suivi. Le parcours est aussi considéré comme inutile en cas de demande de nationalité, parce que le contenu des cours est déjà acquis par les personnes présentes sur le territoire depuis plusieurs années.
La question de la définition de l’intégration a également été soumise aux primo-arrivants eux-mêmes. Ceux-ci ont mis en avant le fait que l’intégration est pluridimensionnelle, touchant à différentes expériences de l’individu, et qu’une dimension essentielle qui les touchait est le fait de se sentir membre (sentiment d’appartenance), mais aussi le fait de pouvoir participer, travailler, contribuer à la société d’accueil, et donc d’avoir des opportunités de participation et de travail, autant de dimensions subjectives qui rentrent dans la définition elle-même de l’intégration. Enfin, ce qui a aussi été mis en avant, c’est la nécessité d’échange et de réciprocité.
Quatre questions évaluatives
Après l’analyse de la manière dont les politiques mises en place débouchaient sur les résultats envisagés, la question soulevée a été celle des hypothèses alternatives, en se basant sur des facteurs qui pouvaient mener au même résultat sans passer par les mesures politiques. Trois facteurs pouvant favoriser l’intégration, sans mesure politique spécifique, ont été évoqués. Le premier est la lutte contre la discrimination, notamment au niveau du marché de l’emploi. Le deuxième, étroitement lié, est l’accessibilité du marché de l’emploi. Et le troisième est le capital social et culturel, c’est-à-dire le fait de pouvoir valoriser l’expérience des personnes et leurs réseaux, ce qui amène l’intégration, sans passer par des mesures politiques.
Les hypothèses alternatives ont été prises en compte dans les recommandations formulées. La première question évaluative sur ce plan était : les actions mises en œuvre par les autorités répondent-elles aux besoins exprimés par les primo-arrivants ? La réponse d’Elsa Mescoli est « Oui mais… ». Les trois axes du dispositif touchent bien les trois aires fondamentales de la vie des individus, mais la fin du parcours d’intégration ne signifie pas la fin du processus d’intégration et le parcours ne répond pas à certains besoins.
La deuxième question évaluative était : les actions des différentes autorités politico-administratives s’articulent-elles de façon cohérente et lisible pour le public ciblé ? La réponse est « pas tout à fait ». Il reste du travail à faire au niveau de la disponibilité et des informations concernant le parcours, au niveau de l’articulation et de la reconnaissance des formations d’un opérateur à l’autre (y compris lors des déménagements), et au niveau de la légitimité des contraintes et obligations qui pèsent sur les primo-arrivants.
La troisième question évaluative était : est-ce que l’offre de services du parcours d’intégration est harmonisée sur l’ensemble du territoire ? Sur ce point, la réponse est « non ». La charge de travail est différenciée entre les opérateurs (CRI, Forem, etc.), l’interprétation des missions allouées aux CRI est variée, l’offre en formations (ILI ou ISP) est hétérogène et la collaboration entre acteurs affiche un degré de maturité très variable.
Enfin, la quatrième question était : la mise en œuvre du parcours d’intégration contribue-t-elle à l’intégration des primo-arrivants telle que décrite dans le décret ? Ici aussi, la réponse est « oui mais ». Les primo-arrivants acquièrent réellement des informations, mais l’offre en cours de langue n’est pas adaptée à tous les niveaux, les compétences préalables ne sont pas toujours valorisées, les conditions d’accès pour les primo-arrivants ne sont pas toutes réalisées, et des hypothèses alternatives ne sont pas assez prises en compte, une approche plus globale étant jugée profitable.
Des recommandations en trois axes
Les recommandations formulées sur base de ces questions s’articulent en trois axes. Le premier de ces axes porte sur le travail sur la société d’accueil comme vecteur principal d’intégration. Il s’agit, dans ce domaine, de lever les blocages créés par la société d’accueil et de mettre en place des procédures efficaces de reconnaissance des compétences des primo-arrivants, en incluant le recours à des interprètes lorsque nécessaire.
Le deuxième axe concerne une plus grande cohérence dans la logique d’intervention qui sous-tend les dispositifs de parcours d’intégration et d’insertion socioprofessionnelle. Sur ce plan il est recommandé d’assurer l’information des primo-arrivants sur l’existence de ce parcours, de donner davantage de modularité et de souplesse à ces dispositifs, et d’améliorer la concertation, la communication et la définition des rôles de chacun.
Enfin, le troisième axe est une invitation à améliorer la mise en œuvre du parcours d’intégration et du dispositif d’ISP. Il s’agit, dans ce registre, d’augmenter et d’adapter l’offre en interprétariat social, d’optimiser les ressources au niveau des CRI pour dégager davantage de temps consacré directement aux bénéficiaires et à l’axe de l’interculturalité, et d’assurer une meilleure accessibilité de l’offre ILI et ISP.
Dominique Watrin