L’équipe du CAI namurois s’est replongée dans les 40 ans d’expérience du centre pour poser les fondements d’un nouvel élan vers le futur
En 1996, la Région wallonne publiait son premier décret relatif à la politique d’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère. À l’époque, le CAI (Centre d’Action Interculturelle de Namur) était déjà présent, depuis de nombreuses années, dans le paysage de ce qu’on n’appelait pas encore les Centres régionaux d’Intégration de La Wallonie. Et c’est ce cadre qui a fixé les termes de la définition de l’intégration et les balises de l’agrément de ces centres régionaux pour l’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère. Mais il a également délimité les missions de ces organismes : des missions essentiellement de deuxième ligne, parmi lesquelles celles relatives à la formation des intervenants et au travail avec la société d’accueil et avec les personnes étrangères elles-mêmes. Vingt-cinq ans plus tard, et près de 40 ans après sa création, le CAI émerge aujourd’hui d’un travail de fond destiné à pérenniser le fruit de son action : la systématisation des expériences.
Sur papier, le CAI est une asbl dont le projet vise la construction d’une société interculturelle. Dans ce contexte, il accompagne les acteurs de la société civile via une approche évidemment interculturelle et ce, dans une perspective de changements socio-politiques. Et pour ce faire, le centre a développé une pratique interculturelle en articulation avec les missions d’intégration. Mais qu’est-ce que l’interculturalité ? Le CAI voit celle-ci comme le fait de construire conjointement, à partir de la rencontre et de la reconnaissance d’appartenances et de référents ethniques et culturels multiples, un nouveau vivre ensemble égalitaire et juste entre les autochtones et les allochtones.
Une approche intégrée et participative
Ça, c’est pour la vision théorique. Mais, au terme de 40 ans d’existence, la question cruciale qui interpellait l’équipe du CAI était : comment valoriser son expertise et ses expériences afin de transmettre l’approche interculturelle et sa plus-value dans le cadre de l’intégration aux futurs collègues et à d’autres professionnels ? Le centre régional a opté pour la systématisation, une méthode élaborée par des éducateurs latino-américains. Et, avec l’appui d’une experte, il a entamé ce processus de systématisation long de plusieurs mois. L’idée générale était de partir de la pratique, de l’expertise et de se la réapproprier en mettant l’histoire collective à plat, en la « recréant », pour en tirer des leçons et des apprentissages qui puissent permettre d’améliorer l’outil de travail, mais aussi de prendre davantage conscience de ce qui est fait. Il s’agissait donc pour l’équipe de lire dans son histoire et ses expériences, et d’en tirer des apprentissages.
La systématisation d’expériences est une formule qui vise à se réapproprier le sens de ses expériences, à faire émerger des savoirs critiques pertinents pour le changement. Ce processus qui renforce les individus consiste aussi à collaborer avec les personnes qui sont au cœur du dispositif. C’est une approche intégrée et participative fondée sur les expériences vécues à partir des visions et perceptions de chacun. C’est, dès lors, également renforcer les capacités de chacun via le partage d’expériences entre pairs.
Une démarche en cinq étapes
La systématisation se déroule en plusieurs étapes. Il y a d’abord la préparation du projet de systématisation. Il s’agit, à cette étape, d’établir les objectifs et de choisir un axe d’étude (Quel objet ? Que mettre en avant ? Quelle expérience étudier ?), sans oublier les aspects pratiques comme la méthodologie, le calendrier, les sources documentaires, etc. La deuxième étape est la récupération historique des expériences que les participants racontent. La troisième est la phase d’analyse et d’interprétation de ces récits. La quatrième est celle de l’écriture, avec la retranscription des résultats et leur synthèse. Et enfin, la cinquième est celle de la création et de la diffusion du produit de la systématisation.
Concrètement, pandémie oblige, l’équipe du CAI a dû adapter ses supports et méthodes à un passage à un travail en mode virtuel. Chacun a porté un regard sur son passé en évoquant le vécu du centre régional (son expérience, ses projets, son histoire), mais en racontant de surcroît les multiples histoires de chacun, la chronologie et les grands moments vécus. La préoccupation dans cette phase du travail a été d’éviter l’écueil de la nostalgie et du regret du passé générés par une époque où le travail du centre était davantage centré sur des activités culturelles, artistiques et festives. Le constat a été qu’aujourd’hui, le secteur évolue moins dans ce registre d’activités. L’échange a néanmoins permis à chacun, plus ancien ou plus nouveau, de donner et recevoir des perceptions d’expériences.
Revivre l’expérience
Ces réflexions sur la pratique, avec leurs convergences et leurs contradictions, avec leurs satisfactions et leurs insatisfactions, se sont cumulées, débouchant notamment sur des questionnements quant à la reconnaissance du travail accompli. Il s’agissait aussi de marquer un temps de pause dans le travail, personnel et en équipe, et de réfléchir sur ce qui est fait, depuis combien de temps ça se fait et de comment ça fait sens tant dans le travail quotidien qu’en termes d’impact dans la société. Préféré à un travail d’évaluation très pratiqué dans le secteur, ce processus de systématisation a permis d’échanger collectivement et de revivre l’expérience.
Ces échanges ont débouché sur une redéfinition de l’approche interculturelle et de son apport, mais aussi sur des recommandations pour inclure l’interculturalité dans les pratiques professionnelles de la sphère de l’intégration. Une interculturalité considérée comme un modèle de société où chacun a sa place et où chacun peut construire quelque chose ensemble au-delà de la relation interpersonnelle entre lui et les autres. Et ça, c’est un élément qui n’a pas changé en 40 ans d’existence du CAI qui veut continuer à travailler l’interculturalité de manière très concrète, à permettre la vraie rencontre interculturelle parce qu’elle est la seule manière de dépasser les obstacles de fermeture des communautés et de racisme de la société d’accueil.
Dominique Watrin
Pour plus d’information, une vidéo intitulée Témoignages autour de l’expérience de systématisation de l’équipe du CAI est disponible sur Youtube, en cliquant sur le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=oVNfxte2qdE
Une brochure intitulée Rapport de systématisation d’expériences 2020 existe également.