Le rapport 2024 d’Unia sur l’antisémitisme en Belgique a listé dix recommandations pour étendre la lutte contre ce fléau toujours très présent
Le constat s’est imposé à nouveau lors des réactions survenues au lendemain de l’assaut mené par le groupe Hamas en Israël et de l’opération militaire israélienne dans la bande de Gaza qui s’en est suivie : l’antisémitisme et la lutte contre celui-ci sont régulièrement au cœur de l’actualité. C’est donc à la fois avec attention et vigilance que doit être appréhendé le rapport 2024 d’Unia sur l’« Antisémitisme en Belgique ». Condensé sur un peu moins de quarante pages, ce document est à la fois un état des lieux du cadre légal définissant l’antisémitisme et un tour d’horizon du traitement des signalements et des dossiers relatifs à cette thématique.
Pour rappel, en droit pénal belge, il existe une définition légale des infractions antisémites. Y est énoncée « l’interdiction de l’incitation à la haine, à la violence et à la discrimination, en raison de l’ascendance », le critère de l’ascendance visant principalement les personnes juives. Cette interdiction entérine une aggravation de la peine si le délit est commis en raison de la haine, du mépris ou de l’hostilité à l’égard de la victime en raison de son ascendance. Une loi de 2022 oblige même le juge à prendre en compte l’existence d’un tel motif dans la détermination de la peine. S’y ajoute l’interdiction de nier, de minimiser grossièrement, de tenter de justifier ou d’approuver le génocide commis par le régime nazi allemand pendant la seconde guerre mondiale. Outre ce cadre légal, la loi antiracisme, de même que de nombreuses autres législations, prévoient systématiquement l’ascendance comme caractéristique protégée.
Une approche légaliste mais pas seulement
L’une des principales missions d’Unia consiste, d’une part, à traiter les signalements et les dossiers et, d’autre part, à aider les victimes de discriminations, de messages de haine et de délits de haine. Dans ce cadre, Unia est régulièrement invité à se positionner face à des prises de position (commentaires, comportements, dessins, slogans, actions, etc.) s’inscrivant dans le contexte du conflit israélo-palestinien. N’ayant ni le mandat ni l’expertise pour prendre position sur le conflit lui-même, vu sa qualité d’organisme public belge indépendant, Unia a toujours fait le choix d’une approche d’abord légaliste dans le traitement concret de ce type de dossier. Par contre, dans le rapportage et la sensibilisation, l’organisme ne se limite pas nécessairement à ce cadre légal, en envisageant les choses de manière plus large que les infractions définies par la loi.
Le rapport 2024 propose un aperçu chiffré portant sur les cinq années allant de 2018 à 2022. L’évolution du nombre de dossiers ouverts (dont il est important de signaler que ce nombre ne concerne que les faits signalés ou parvenus chez Unia) marque un tracé en dents de scie avec des pics (2018 avec 101 dossiers et 2020 avec 115 dossiers) et des tassements (2019 avec 79 dossiers et 2021 avec 81 dossiers), avant une chute spectaculaire en 2022 (31 dossiers).
Une écrasante majorité de dossiers de messages de haine
En revanche, le classement des domaines concernés par l’ouverture des dossiers reste relativement similaire au fil du temps. Le secteur toujours le plus concerné est celui des médias, avec 47 dossiers en 2018 (un peu plus de 46%), 35 en 2019 (44%), 29 dossiers en 2020 (25%), 28 en 2021 (près de 35%) et 12 en 2022 (près de 39%). Suivent les dossiers classifiés sous la bannière « société », autour d’une quinzaine chaque année, puis, beaucoup plus loin ceux ayant trait au travail et à l’emploi, aux activités diverses, aux biens et services, à l’enseignement, et à la police et à la justice.
L’écrasante majorité des comportements interdits pris en compte dans les dossiers clôturés entre 2018 et 2022 concernaient des messages de haine. Leur pourcentage s’élevait toujours au-delà des 50%, avec des pointes avoisinant même les 70% en 2019 et 2020. Suivait le négationnisme, très présent en 2018 (plus de 30%), en net recul depuis lors. Derrière, on retrouve les délits de haine et la discrimination. À noter que l’augmentation de la haine en ligne (cyberhaine) n’apparaît pas pleinement dans tous ces chiffres en raison du fait qu’Unia a opté pour une méthodologie apportant une réponse plus rapide aux signalements sans ouvrir de dossier.
Sur le plan de la répartition géographique, il est à signaler que la grande majorité des dossiers concernaient la Région flamande (52%), sans doute en raison de l’importante communauté juive présente à Anvers, très loin devant la Région de Bruxelles-Capitale (17%) et la Région wallonne (9%), le reste des dossiers relevant d’une zone inconnue ou pas localisable (22%), un chiffre important explicable par le fait qu’il s’agissait de messages publiés en ligne.
Une lutte considérée comme une priorité
Que retenir de ce rapport ? D’abord qu’Unia « soutient sans réserve cette lutte contre l’antisémitisme et la considère comme une priorité ». Ensuite, que l’organisme relève régulièrement des points faibles, aussi bien au niveau du traitement des dossiers qu’au niveau stratégique. Ces points concernent à la fois le domaine de la lutte plus générale contre la discrimination et le racisme, et celui des améliorations spécifiques nécessaires pour lutter contre l’antisémitisme.
C’est dans ce contexte qu’Unia formule dix recommandations dans son rapport 2024. La première de ces recommandations est d’investir durablement dans le nouveau mécanisme interfédéral de coordination de la lutte contre l’antisémitisme, créé en 2022, qui vient de se réunir pour la première fois en janvier 2024. Celui-ci vise à améliorer la coopération et l’échange d’informations entre les différentes parties prenantes, ainsi qu’à créer une nouvelle dynamique élargissant son champ d’action et permettant d’impliquer tous les niveaux de la Belgique fédérale. La deuxième recommandation est d’améliorer l’enregistrement et le rapportage au niveau des services de police et du ministère public. Ces procédures sont jugées « très médiocres » par Unia, seuls les délits relevant de la loi contre le négationnisme pouvant être clairement identifiés dans les dossiers policiers et judiciaires.
La troisième recommandation est d’intégrer l’antisémitisme dans les plans d’action contre le racisme. Unia considère l’antisémitisme comme une forme particulière de racisme, avec certaines caractéristiques spécifiques. Or, aucune mesure spécifique à la lutte contre l’antisémitisme n’a été incluse dans le plan de lutte contre le racisme pour la période 2023-2026 élaboré par la Fédération Wallonie-Bruxelles. La quatrième recommandation est d’approfondir les recherches sur l’antisémitisme en Belgique. Cela pourrait permettre de déterminer les mesures préventives et répressives utiles pour lutter contre l’antisémitisme dans la société belge.
Une attention accrue à accorder aux victimes
La cinquième recommandation est d’améliorer la connaissance sur l’antisémitisme et la Shoah. Unia a épinglé que les connaissances en matière d’antisémitisme et à propos des atrocités commises durant la seconde guerre mondiale sont insuffisantes, entraînant notamment la résurgence, la normalisation et la banalisation de l’utilisation de l’idéologie et de l’iconographie nazie. La sixième recommandation est d’introduire une clause générale relative à des circonstances aggravantes en cas de motif discriminatoire ou de haine, alourdir effectivement les peines n’étant actuellement possible que pour un nombre limité de délits.
La septième recommandation est d’augmenter la disposition des victimes à signaler les faits et d’améliorer leur confiance en eux, la recherche internationale continuant de montrer que les victimes de faits antisémites répréhensibles déposent insuffisamment plainte. La huitième recommandation est d’améliorer l’application de la circulaire COL13/2023 relative à la politique de recherche et de poursuite en matière de discriminations et de délits de haine, y compris de nature antisémite.
La neuvième recommandation est d’investir dans des mesures alternatives, en réaction à certaines infractions, des mesures qui devraient avoir un impact positif, tant pour l’auteur (présumé) que pour la victime (présumée). Non seulement le dommage subi par la victime serait réparé et son estime de soi restaurée, mais l’auteur serait activement impliqué dans le processus de remédiation. L’idée serait de mettre l’accent sur un changement de mentalité et sur la sensibilisation plutôt que sur la répression. Enfin, la dixième et dernière recommandation est d’accorder une attention suffisante à la spécificité du statut de victime de délit de haine (antisémitisme). Selon Unia, il importe de tenir compte de la spécificité des victimes de faits antisémites répréhensibles, en leur accordant un encadrement adéquat et un soutien spécialisé, tant au niveau des services de police qu’au sein des services d’aide aux victimes.
Dominique Watrin
Le rapport 2024 « Antisémitisme en Belgique – Analyse et recommandations d’Unia » est disponible via le lien suivant :
https://www.unia.be/files/Documenten/Jaarrapport/Antis%C3%A9mitisme_en_Belgique_Rapport_2024.pdf