Les entrepreneurs migrants au centre d’un colloque : un levier économique essentiel qui ne demande qu’à dynamiser l’économie wallonne
Créer son propre emploi est une option envisagée couramment par un certain nombre de personnes, qu’elles soient au chômage ou déjà au travail. Pour les personnes étrangères ou d’origine étrangère, cette option représente régulièrement la seule voie vers une entrée dans une vie professionnelle décente, conforme à leurs compétences et à leurs attentes. Un colloque organisé récemment par le CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage), en collaboration avec une série de partenaires parmi lesquels figurent le DisCRI (Dispositif de Concertation et d’Appui aux Centres Régionaux d’Intégration) et le CAI (Centre d’Action Interculturelle de Namur), s’est penché sur cette thématique de l’entrepreneuriat. Sous le titre générique de « Ces migrants qui dynamisent l’économie locale », experts et témoins concernés ont fait défiler les angles de vue sur les facettes d’une problématique qui compte autant d’embûches que d’aventures professionnelles et personnelles singulières.
À Mons, lieu de tenue du colloque, l’aide à l’insertion socioprofessionnelle n’est pas un vain mot. Davis Henry, coordinateur du service ISP du CIMB, l’a rappelé en faisant un tableau succinct de l’action de son centre dans le domaine. Il a exposé le travail d’accompagnement mené sur deux plans. D’abord, individuel, avec la rédaction de curriculum vitae, de lettre de motivation et l’équivalence de diplômes. Ensuite, collectif, avec l’information sur le vivre ensemble et le fonctionnement de la société belge, abordant des thèmes comme les stéréotypes et préjugés, la discrimination au travail et les codes culturels belges. Un ensemble auquel il faut ajouter des volets formation (au permis de conduire théorique et à l’informatique) et orientation en français langue étrangère (FLE).
Une faible inclusion sur le marché du travail
Deuxième intervenante extérieure à prendre la parole, Honorine Kuete Fomeko, responsable ISP-Diversité au CAI, a, elle, centré son exposé sur la problématique de « Créateurs d’entreprise issus de l’immigration en Wallonie : évaluations des ressources et difficultés dans un marché soumis à des barrières systémiques ». D’après l’intervenante, la proportion de personnes migrantes hors Union européenne (UE) dans la population totale de la Belgique est de 17,3%, alors que le taux d’emploi des migrant.e.s hors UE est d’approximativement une personne sur deux. Plusieurs raisons expliquent, selon elle, ce faible taux d’emploi. Il y a d’abord les freins structurels ou institutionnels comme la non-reconnaissance des diplômes et des qualifications. Il y a ensuite les freins liés à la discrimination, à l’accès au logement, aux problèmes de mobilité, etc. Et il y a enfin les freins inhérents à la personne elle-même notamment sa motivation, sa santé mentale et les potentielles répercussions sur la confiance en soi, etc.
Tout cela induit à la fois une faible inclusion de ces personnes sur le marché du travail belge et une précarité des emplois pour les personnes migrantes hors UE. L’insertion socioprofessionnelle de ces personnes est donc un enjeu de responsabilité et un enjeu économique : prendre la responsabilité d’accueillir des migrants, c’est s’assurer de leur faire une place qui soit rentable sur la durée, ce qui contribue à expliquer l’incitation des migrants à entreprendre et leur propension à recourir à l’auto-emploi.
Une aide pour préparer son entrée dans le monde du travail
La question centrale de cette problématique peut se subdiviser en deux sous-questions. D’abord, quels sont les freins des personnes d’origine étrangère dans leur insertion socioprofessionnelle ? Ensuite, quelles sont les difficultés et obstacles spécifiques que rencontrent ces personnes à entreprendre en Région wallonne ? Face à ces freins, le CAI namurois a mis en place plusieurs cartes atouts à abattre en matière d’insertion socioprofessionnelle. Ce sont les projets « Levons les freins » et « Go to job », les initiatives de mentorat et le projet BEN.
Destiné à aider en matière d’emploi et de formation, « Levons les freins », mis au point avec le Forem, propose des ateliers de formation et d’information, seul ou en groupe dans plusieurs villes (Namur, Andenne, Gembloux, Sambreville, Dinant, Ciney, Philippeville et Beauraing). Il s’agit d’une aide pour préparer son entrée dans le monde du travail et pour se construire un parcours personnalisé et adapté à ses besoins. Les conditions pour en bénéficier sont d’être étranger ou d’origine étrangère, d’être inscrit comme demandeur d’emploi, et de parler et comprendre le français, même avec des erreurs. Exemples d’ateliers : créer son projet professionnel, créer son profil Forem, créer son CV, mieux se connaître, l’autocréation d’entreprise, équivalence des diplômes, rencontres avec des professionnels, etc.
Un projet de mentorat
Le CAI propose aussi un projet de mentorat. Ce mentorat en entreprise baptisé Net2Work vise à mettre en relation un.e chercheur.euse d’emploi d’origine étrangère (appelé.e « Mentee ») avec un.e travailleur.euse expérimenté.e volontaire (appelé.e « Mentor »). La mission du/de la mentor est de jouer le rôle de guide qui soutient et accompagne le/la mentee dans un réel but de rencontre et de dialogue. Il s’agit donc, pour Net2Work, de préparer à l’insertion socioprofessionnelle et à l’intégration durable du/de la demandeur.euse d’emploi d’origine étrangère. Cette connexion se fait sous plusieurs conditions concernant le mentee (plus de 18 ans, statut de demandeur d’emploi, apte à se déplacer, bonne connaissance du français ou de l’anglais) et ce, avec plusieurs objectifs (découvrir le monde du travail en Belgique, développer son autonomie et sa confiance en soi, développer son réseau social et professionnel, acquérir des outils pratiques, vivre une réelle expérience humaine).
Du côté du mentor, l’accompagnement vise à aider le mentee à surmonter plusieurs embûches : le manque de réseau professionnel, la méconnaissance des métiers et du marché de l’emploi belge, la non-reconnaissance de certains diplômes étrangers, le phénomène de discrimination à l’embauche, le recrutement informel via le réseau de l’entreprise, son objectif principal restant de favoriser l’accès à l’emploi et la réalisation du projet professionnel du mentee.
Entre difficultés administratives et méfiance
Le projet BEN (pour Briller Ensemble à Namur) consiste, lui, à rendre visibles les personnes d’origine étrangère et, notamment, leurs compétences économiques. La visée est de déconstruire les préjugés, stéréotypes et discriminations autour de ces personnes et de contribuer à renforcer la diversité sur le marché de l’emploi et dans le domaine de la santé. Il repose sur une grille de questions, tantôt ouvertes, tantôt à choix multiples, adressée aux entrepreneurs migrants. Cette grille aborde leur parcours migratoire, scolaire et professionnel, mais aussi les caractéristiques de leur projet entrepreneurial, de leur réseau et de l’écosystème de leur activité, sans oublier les éventuels obstacles rencontrés, les moyens pour les surmonter et leurs recommandations.
Parmi les obstacles, figurent les difficultés administratives (démarches) et la méfiance ; deux tiers des répondant.e.s déclarent avoir connu différents difficultés dans la mise en œuvre et la gestion de leur entreprise, difficultés qu’ils/elles attribuent spécifiquement à leur origine. Les besoins prioritaires qu’ils/elles expriment concernent le financement (près de 90% d’entre eux), l’espace de travail et le matériel (deux tiers d’entre eux), l’aspect encadrement, formation, ressources humaines (moins de la moitié) et l’accessibilité de l’information.
Les constats majeurs dressés sont la différence de traitement administratif, la méconnaissance des réalités et des spécificités culturelles des entrepreneurs migrants, et l’inexistence ou l’inadéquation du dispositif de soutien. Les recommandations qui correspondent à ces constats sont la mise en place d’espaces de dialogue entre créateurs d’entreprises migrants et administrations, banques ou structures associatives, l’instauration de dispositifs d’information et de networking, la valorisation de leurs activités et apports, l’allègement des démarches administratives, ainsi que l’accès à la profession et au crédit.
Un focus sur les SAACE
Dernier expert à s’exprimer, Altay Manço, directeur scientifique de l’IRFAM (Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations) a présente les grandes lignes d’une étude qu’il a réalisée, en compagnie précisément d’Honorine Kuete Fomeko, sur le thème de « Dispositifs d’aide à la création d’entreprise en Région wallonne et migrants extra-européens ». Les objectifs du travail étaient d’identifier les initiatives d’aide à la création d’entreprises dédiées aux migrants, d’apprécier leur contribution pour l’intégration et la participation économique de ce public, et de proposer des recommandations pour renforcer cet impact.
Au cours de son exposé, l’intervenant a fait un focus sur les SAACE (Structures d’Accompagnement à l’AutoCréation d’Entreprises). En Wallonie, il existe une centaine de structures d’aide et d’accompagnement à l’entrepreneuriat. On y retrouve des guichets d’entreprise, des couveuses, incubateurs et pépinières d’entreprise, des coopératives d’activité, des guichets d’accompagnement, des coopératives d’emploi, des centres d’entreprise et d’innovation, des réseaux spécifiques aux femmes, aux migrants aux personnes avec handicap, des structures de mentorat, des opérateurs publics régionaux et fédéraux, des structures d’aide financière, des espaces de coworking et des associations de migrants.
Le travail au sein de ces organismes s’est appuyé sur une méthodologie composée d’interviews réalisées dans vingt structures financées en Wallonie, de cinq conférences-débats autour de résultats portant sur un total de 150 personnes et d’interviews menées dans 15 structures installées dans les régions voisines de la Wallonie, dans le but d’effectuer des comparaisons.
Les raisons d’un moins grand nombre de survies
Plusieurs constats ressortent au cours de cette recherche. Parmi ceux à épingler, on retrouve notamment les difficultés de participer à l’étude elle-même, le fait qu’un quart des participants des cinq années précédant l’enquête étaient des personnes migrantes, que les indépendants représentent 10% du marché de l’emploi mais 20% des travailleurs migrants, que ceux-ci ont des besoins spécifiques par rapport aux locaux, et que seulement un quart des créateurs d’entreprises issus de l’immigration disent avoir consulté une structure d’aide.
Dans la ligne de ces constats préalables, les chercheurs ont pu mettre en lumière que 60% en moyenne des projets accompagnés sont encore en activité cinq années plus tard. La majorité des personnes interrogées estiment qu’il existe une différence de taux de réussite entre les entreprises créées par des personnes d’origine extra-européenne et les autres. Concrètement, moins de 20% des entreprises créées par des migrants hors UE sont en activité cinq ans après la fin de l’accompagnement.
Quelles sont les raisons de cette différence ? Altay Manço en énumère une série : l’accès limité des entrepreneurs hors UE au financement, leur faible connaissance du fonctionnement économique belge, les barrières linguistiques, la pauvreté de leur réseau de contacts, et les problèmes d’accès à la profession, aux locaux commerciaux, etc. Pour l’intervenant, des pistes de solution pour pallier ces difficultés pourraient être d’augmenter le nombre de migrants accompagnés et/ou de proposer d’autres approches (coaching individuel, mentorat, etc.).
Les exemples de bonnes pratiques évoqués sont notamment les structures de microfinance qui accueillent le plus d’usagers étrangers hors UE, qui possèdent également un personnel d’origine étrangère, qui disposent d’un matériel et d’une politique linguistique adaptés au public, qui travaillent avec les réseaux des communautés immigrées et qui organisent des activités de visibilisation (brochures, formations, afterworks, networking, etc.).
Les recommandations d’une étude de l’OCDE
Si on compare la démarche menée dans les régions voisines avec celle existant en Wallonie, on s’aperçoit qu’à Maastricht aux Pays-Bas, trois types de services sont regroupés dans une seule structure : des services d’information et d’orientation, des services financiers et un accompagnement personnalisé, multilingue, incluant le public réfugié, etc. Ce sont des services plus anciens, pour un public plus nombreux, avec des impacts plus importants sur l’économie locale.
Une étude spécifique de l’OCDE, menée sur la Wallonie, a listé des recommandations pour augmenter l’impact auprès des entrepreneurs migrants. Cette étude invite notamment à informer davantage sur les initiatives en matière d’accompagnement à l’entrepreneuriat, en collaboration avec des associations communautaires et les médias. Elle encourage les programmes d’échanges entre structures d’accompagnement, entre la Wallonie et sa périphérie pour un développement transfrontalier. Elle propose en sus de mettre en place des formules de guichet unique, de couvrir davantage de zones en Wallonie, d’intégrer davantage les modes de fonctionnement des entrepreneurs immigrés et de valoriser leurs ressources, de vulgariser l’idée de coopératives et de visibiliser davantage cet entrepreneuriat, via, entre autres, les réseaux sociaux.
Au niveau des politiques, l’étude suggère notamment d’alléger les démarches administratives relatives à l’entrepreneuriat des personnes migrantes (par exemple, en supprimant la carte professionnelle et en facilitant le développement du microcrédit). Elle invite également à nourrir l’esprit entrepreneurial au sein des communautés immigrées (appels à projet ISP, plateformes d’échanges, etc.) et des écoles des quartiers populaires, ainsi qu’à renforcer, par des aides, le soutien stratégique aux créateurs d’entreprise issus de milieux éloignés de l’emploi.
Dominique Watrin