Le rapport monitoring 2023 sur les centres de détention administrative pointe encore l’inéquité du traitement des migrant.e.s concerné.e.s
La coalition Move est un acteur de terrain qui, selon ses missions, « veut mettre fin à la détention des personnes migrantes pour des motifs administratifs et réaffirmer leur droit à la liberté » et ce, à la fois par un travail politique et par la sensibilisation. Sur le plan concret, la coalition apporte un accompagnement sociojuridique aux personnes retenues en centre de détention pour personnes migrantes, via des visiteur.euse.s accrédité.e.s, une mission dont elle s’acquitte en partenariat avec d’autres acteurs de défense des droits humains. Après avoir formulé une série de recommandations pour les élections 2024, le collectif publie aujourd’hui son rapport monitoring 2023 basé sur les observations des visiteur.euse.s.
Move s’appuie sur une équipe de travailleur.euse.s dont le noyau comprend une coordinatrice, un juriste, un chargé de communication et un volontaire. Son équipe de visiteur.euse.s est composée d’une quinzaine de travailleur.euse.s rattaché.e.s à divers organismes dont JRS Belgium, Caritas International, Vlugtelingenwerk Vlaanderen et Point d’Appui (membre du CIRÉ). Elle fonctionne en s’appuyant sur un comité de pilotage, composé des directeur.trice.s des quatre organisations fondatrices et dispose d’une équipe plaidoyer et d’une équipe communication. La première a pour mission d’utiliser les observations des visiteur.euse.s pour des recommandations politiques et la deuxième organise des campagnes de communication basées sur les témoignages de personnes en détention. L’objectif global de Move est de changer les pratiques et la législation qui rendent la détention administrative possible.
Détenu.e.s uniquement pour des raisons migratoires
Les centres de détention pour personnes migrantes, appelés aussi « centres fermés » sont très similaires à des prisons, avec cette différence de taille que, dans ces centres de détention administrative, les personnes ne sont pas détenues pour des infractions pénales commises, mais uniquement pour des raisons migratoires, comme le fait qu’elles sont « sans papiers », qu’elles demandent l’asile, ou que leur document de voyage ou d’identité a été jugé non valable par la police des frontières. Ces centres de détention posent, dès lors, de graves problèmes, tant en termes de respect des droits et des procédures qu’en termes de dignité humaine.
Pour l’heure, la Belgique compte six centres de détention pour adultes, pour un total de 635 places. Ils sont situés à Bruges (112 places, avec une aile pour femmes), Vottem (119 places uniquement pour hommes), Steenokkerzeel (120 places uniquement pour hommes), Merksplas (142 places uniquement pour hommes), Holsbeek (28 places uniquement pour femmes), ainsi que le centre situé dans la zone de transit de l’aéroport de Bruxelles National (114 places). Les familles avec enfants mineur.e.s sont, elles, détenues dans des « maisons de retour » réparties sur plusieurs sites (Tubize, Beauvechain, Sint-Gillis-Waas, Zulte et Tielt) et comprenant 27 unités pour une capacité totale de 169 lits. On estime qu’entre 6000 et 8500 personnes sont détenues annuellement.
Une augmentation du nombre de personnes vulnérables détenues
En 2023, Move et ses 19 visiteurs ont accompagné un total de 794 des 4915 personnes détenues dans les six centres, soit environ 16% des détenu.e.s de cette année. Dans les centres de détention pour familles, 41 d’entre elles ont été accompagnées. Le rapport monitoring se base sur les rapports hebdomadaires et les retours des visiteurs. Son premier constat est la pénurie et le roulement élevé des équipes médicales des centres, un phénomène corroboré par le Comité européen pour la Prévention contre la Torture, dans un rapport de visite du centre 127bis de Steenokkerzeel. Cela entraîne logiquement une difficulté d’accès des personnes aux professionnels de la santé et aux médicaments appropriés.
Autre élément relevé par les visiteurs, la position particulièrement vulnérable de certaines personnes. C’est le cas des femmes enceintes détenues et des personnes LGBTQIA+ exposées à un risque accru de harcèlement, de discrimination et de violence. Il en va de même des détenu.e.s en proie à une vulnérabilité psychique ou à une maladie physique grave (hépatite D, sida, etc.). Il existe également des cas de mères avec des enfants à l’extérieur des centres qui ne sont que les exemples les plus criants des familles séparées par la détention. Une autre catégorie est celle des personnes qui ne pouvaient pas être expulsées, comme certaines femmes de la communauté Rom sans nationalité reconnue.
D’une manière plus globale, ces constats s’inscrivent dans la lignée de ceux présentés dans le rapport de 2021, ou celui de 2022 dans lequel il était fait mention que la suppression des mesures contre le coronavirus, combinée à l’augmentation du nombre de détenu.e.s, a conduit à une nouvelle augmentation du nombre de personnes vulnérables détenues (problèmes psychiques ou cognitifs graves avec des cas d’automutilation, mineur.e.s, LGBTQIA+, etc.). De plus, comme en 2021 et 2022, les visiteurs ont relevé en 2023 une augmentation significative du nombre de personnes sollicitant une protection internationale, alors que la Belgique continue d’enfermer systématiquement des demandeurs d’asile à la frontière.
Des délais non respectés
Une autre tendance de 2022, confirmée en 2023, est le manque d’informations dont disposent les détenus sur leurs dossiers administratifs. Les visiteurs de Move constatent notamment un manque de compréhension de la complexité des procédures, ainsi que des difficultés à contacter les avocats, l’absence parfois d’interprètes disponibles et la frustration face aux attentes. Pour le centre de Steenokkerzeel, le Comité européen pour la Prévention contre la Torture s’est inquiété du manque d’informations lors de l’admission, de l’accès limité aux avocats, et des difficultés des détenu.e.s à contacter le monde extérieur par téléphone et Internet.
Autre problème, d’ordre juridique cette fois, les visiteurs ont constaté que les migrant.e.s restent en détention, malgré un verdict favorable de la chambre du conseil. Ce phénomène est dû au fait que l’Office des Étrangers fait systématiquement appel en cas de libération, sans être présent à l’audience, ce qui entraîne de longues détentions. De surcroît, pour le centre de l’aéroport, il a été constaté que le délai de quatre semaines, prévu pour traiter une demande de protection internationale, n’a quasiment jamais été respecté en 2023. Et, à ce niveau aussi, l’Office des Étrangers décide systématiquement de prolonger la détention.
Trois recommandations concrètes aux politiques
En ce qui concerne les nationalités des 4915 personnes détenues en 2023, les chiffres exacts ne sont pas encore disponibles avant la publication du rapport annuel de l’Office des Étrangers. Les visiteurs ont néanmoins relevé une grande diversité de nationalités, parmi lesquelles deux groupes peuvent être mis en avant : les personnes originaires d’Afghanistan et du Burundi. Les Afghans ne seraient pas renvoyés en Afghanistan, mais il existe un cas avéré d’un homme rapatrié vers le « pays de transit » (les Émirats Arabes Unis) et très probablement renvoyé ensuite en Afghanistan. Pour les Burundais.e.s, la Belgique a recommencé, début 2023, à procéder à des expulsions forcées vers le Burundi, après plus de cinq ans d’arrêt.
Au niveau des faits remarquables de 2023, le rapport monitoring de Move met à nouveau en exergue que la détention administrative à un impact énorme sur le mental des personnes, avec notamment un nombre accru de tentatives de suicide dans les centres. Les conditions de vie au sein de ceux-ci sont rapportées comme étant très pénibles : toilettes hors service, absence fréquente de chauffage, pénurie de couvertures, de brosses à dents, etc.
En conclusion de ce rapport, le collectif réitère son opposition à la détention administrative des migrant.e.s et tient à réaffirmer leur droit à la liberté. Bien conscients que les centres de détention ne disparaîtront pas à court terme, les auteurs du rapport monitoring 2023 adressent trois recommandations concrètes aux politiques. La première est l’interdiction générale de la détention des profils vulnérables et des personnes inéloignables. La deuxième est un appel à ne détenir les personnes qu’en dernier recours, pour une période limitée, avec un contrôle judiciaire effectif et automatique. Et la troisième est d’accroître la transparence et les mécanismes de contrôle tout au long du processus de retour.
Dominique Watrin
Le rapport monitoring 2023 de Move « Les centres de détention administrative Observations des visiteur.euse.s » est consultable et téléchargeable via le lien suivant :