La détention des enfants migrants : l’arrêté royal est suspendu, mais toujours pas annulé
L’Arrêté royal a fait scandale au moment de sa publication en juillet 2018 et il continue a suscité les réprobations les plus vives. La mesure qu’il consacrait entérinait la possibilité d’expulser des familles migrantes comptant des enfants mineurs, à partir d’un centre fermé et non plus d’unités ouvertes. Depuis lors, des familles se succèdent donc en détention au centre 127bis de Steenokkerzeel, à côté des pistes de l’aéroport de Zaventem. C’est sur cette question à la fois brûlante et alarmante que le CAI (Centre d’Action Interculturelle de Namur) a décidé de braquer les projecteurs d’une de ses éditions des Échanges de Midi. Sous la forme d’une question simple qui ne peut appeler qu’une réponse négative : « Peut-on enfermer les enfants migrants ? »
Tant par sa fonction que par sa manière de l’exercer, Bernard Devos est une figure incontournable de la défense des enfants dans le pays. Le Délégué général aux droits de l’enfant est aux commandes de cette fonction cruciale depuis près de dix ans. Comme il le rappelle en permanence, sa fonction recouvre quatre spécificités. La première est la récolte et le traitement des plaintes en rapport avec la Convention des droits de l’enfant. Il en reçoit près de 1500 annuellement et l’essentiel d’entre elles concernent, dans l’ordre, trois secteurs : l’école, la maltraitance et la migration. La deuxième spécificité est la promotion de la Convention des droits de l’enfant. La troisième est l’inspection de l’application des lois et décrets relatifs à la jeunesse. Et enfin, la quatrième est l’interpellation des responsables politiques et administratifs par rapport à des dossiers qui relèvent de sa compétence.
Une situation pire qu’il y a dix ans
Sur le plan de ses convictions, Bernard Devos établit ce qu’il considère comme une série d’évidences. D’abord, le fait que des enfants qui ont été « élevés » (au sens premier du terme) dans le respect de leurs droits seront majoritairement des adultes qui respecteront leurs devoirs. Ensuite, qu’au niveau de l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant, la situation est bien pire aujourd’hui qu’il y a dix ans, avec notamment le chiffre d’environ un enfant sur trois qui vit de nos jours sous le seuil de pauvreté. Et de faire remarquer avoir vu apparaître de nouvelles formes de pauvreté, avec, en première ligne, les nouveaux pauvres (qui ont sombré dans la pauvreté après un événement dramatique comme une perte d’emploi), les « working » pauvres (les personnes qui travaillent, mais ne gagnent pas assez pour survivre) et… les migrants chez qui cette caractéristique de migrant est très souvent un facteur multiplicateur de pauvreté.
Bernard Devos relève que la pression sur la détention des migrants est forte. Et, sur la question de l’enfermement des mineurs, il nuance d’emblée son propos. Il se dit favorable à la détention de mineurs délinquants si celle-ci est assortie d’un encadrement légal et éducatif spécifique. Mais, selon lui, il ne peut y avoir d’enfermement avant 18 ans pour tout autre motif, y compris pour les mineurs étrangers.
Le dossier délicat concernant ces derniers occupe les devants de l’actualité depuis plus d’une dizaine d’années. En 2008, un médiateur fédéral est allé voir les conditions de vie des mineurs détenus dans des centres de rétention comme le 127bis. Et son rapport a conclu que leur détention était contraire à toutes les règles internationales en la matière. Après notamment des manifestations devant le centre 127bis et la preuve que des familles y étaient encore détenues, le gouvernement a mis fin à cette détention. D’autres structures, alternatives, pour contrôler les familles ont été mises en place : il s’agit de l’accompagnement à domicile, du contrôle des dispositions et de ce qu’on a appelé les maisons de retour destinées à l’hébergement des familles déboutées avant leur expulsion.
Des alternatives sous-financées
Si les conditions de vie dans ces maisons de retour sont allégées, elles n’en demeurent pas moins contraignantes. La plus lourde est l’obligation qu’en permanence, un des deux parents reste présent dans le logement afin d’éviter que la famille ne prenne la fuite et ne disparaisse dans la nature avant son expulsion. Ces familles sont gérées par un travailleur de Fedasil (l’Agence Fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile) chargé de les contrôler, mais aussi de vérifier si les recours possibles pour ces dernières ont été épuisés.
La situation s’est détériorée et a basculé avec Theo Francken qui a décrété que cette formule des maisons de retour était un échec et est revenu au principe de la détention. Sa décision s’appuyait sur le pourcentage de rapatriés jugé trop faible par rapport au nombre de personnes placées en maison de retour. Or, ce pourcentage qui est effectivement faible s’explique surtout, non par une évasion de masse des familles, mais par une mobilisation populaire assortie d’une relecture du dossier et d’une nouvelle exploration des pistes juridiques, entraînant une révision de l’issue de la procédure.
Un recours en annulation contre cet Arrêté royal a été introduit devant le Conseil d’État et l’arrêté est donc suspendu jusqu’à nouvel ordre. Dans la foulée, le gouvernement a fait construire des maisons de retour qui accueillent diverses familles… en bordure des pistes d’atterrissage de Zaventem. Pour les enfants, quel que soit leur âge, le vécu de la détention reste malheureusement identique, avec une perte de repères et une conscience de ne pouvoir sortir d’un lieu où ils sont détenus. Et le plus important, selon Bernard Devos, reste ce sentiment de détention.
Pour le Délégué général aux droits de l’enfant, les alternatives existent, mais elles ne sont pas financées correctement. Il y a la détention à domicile et les maisons de retour, mais ces dernières sont une mauvaise solution, car il y a trop peu de coachs pour encadrer les familles (un pour 6 ou 7 familles). Bernard Devos note, par ailleurs, que la détention n’a affecté que des familles européennes, essentiellement roms. Et surtout que cette pratique est totalement contraire à la Déclaration universelle des droits de l’Homme et à la Convention internationale des droits de l’enfant. Les deux textes proclament le droit à un traitement humain, à l’éducation, etc. qui n’est de toute évidence pas appliqué. Et Bernard Devos de souligner : « De plus, la position du commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe n’est jamais favorable à l’enfant. Selon sa position, la détention peut être interdite, mais en dernier ressort. C’est inqualifiable ! C’est quoi, le dernier ressort ? Comment le définir ? »
Dominique Watrin