La plateforme « Diversité » coordonnée par le CeRAIC : dix ans de partenariat centré sur les discriminations
Lorsqu’une institution, quelle qu’elle soit, fête ses dix ans, l’heure est toujours venue de se pencher sur le bilan de son travail et sur les pistes d’avenir à ébaucher. La plateforme « Diversité » orchestrée par le CeRAIC (Centre Régional d’Intégration de la région du Centre) n’a pas échappé à la règle. Les partenaires qui la composent se sont retrouvés autour du centre régional d’intégration pour opérer la double opération : le coup d’œil dans le rétroviseur de leur aventure commune et le regard vers l’horizon pour imaginer et tracer ce que sera leur futur.
Les prémices de cette plateforme « Diversité » se sont ébauchés entre 2007 et 2010. À l’époque, la thématique émergeante était la discrimination à l’emploi. Le travail en amont du projet commun a consisté, pour le CeRAIC, en un travail d’interviews pour établir une confiance auprès des structures avec lesquelles il n’avait pas l’habitude de travailler, comme les syndicats, les organismes d’insertion socioprofessionnelle, etc. L’idée était, en outre, de toucher des acteurs économiques précis comme les employeurs. Le premier défi a été d’élargir progressivement les domaines de discrimination allant au-delà de celui du ressort du centre régional, à savoir le secteur des personnes étrangères et d’origine étrangère, à des critères plus larges comme le genre, l’âge, la précarité sociale, etc. Le second défi est, lui, très vite apparu comme une évidence à prendre en compte : l’absence de moyens financiers spécifiques, nécessitant une course au financement, via notamment des partenariats.
Un lieu de partage et de collaboration
La plateforme s’est, dès le départ, érigée comme un lieu de partage et de collaboration, avec un travail sur les 19 (aujourd’hui 20) critères de discrimination établis par la Région wallonne. Ses objectifs étaient au nombre de quatre : favoriser l’insertion de tous dans la société, promouvoir la diversité, défendre l’égalité des droits et des chances, et lutter contre toute forme de discrimination. Les moyens utilisés pour mener à bien cette palette d’objectifs ont été des colloques, des séances d’information, des formations, des échanges, etc., notamment avec les entreprises.
Toujours avec, en point de mire, la volonté de sensibiliser les employeurs à l’intérêt de diversifier leur personnel et, de ce fait, à faire diminuer les discriminations en matière d’emploi, en dix ans d’existence, la plateforme a organisé pas moins de 120 rencontres et réunions de travail, ainsi que dix colloques locaux ayant réuni près d’un millier de personnes. Aujourd’hui, plusieurs membres se partagent la tâche de coordonner la plateforme : la Mission Régionale pour l’emploi du Centre, le FOREM, l’instance Bassin de l’Enseignement qualifiant, les syndicats, le CPAS et la Ville de La Louvière, ainsi que quelques associations et organismes.
Des actions phares annuelles
Pour mener son combat, la plateforme « Diversité » a finalisé plusieurs actions phares annuelles. Parmi celles-ci, on peut épingler la réalisation du DVD « La diversité, un plus pour l’entreprise » dans lequel figurent cinq témoignages de travailleurs et employeurs ayant franchi le pas d’une forme de diversité dans leur entreprise. Ces domaines sont le genre, l’âge, l’infrascolarité, l’origine et le handicap. Un autre temps-fort a été un colloque mis sur pied en 2013 sur le thème de l’accès à l’emploi des personnes étrangères ou d’origine étrangère. Les témoins et intervenants ont orienté leur réflexion commune dans trois axes : les problèmes liés à la discrimination, les difficultés d’accès à des formations adaptées et en français, l’accès à une information rapide et adaptée relative au secteur du travail.
Cette réflexion a débouché sur un livret de recommandations 2013-2014. En ce qui concerne les employeurs, celui-ci prône l’organisation d’une formation à l’interculturalité pour les GRH (gestionnaires des ressources humaines) afin d’inciter les organisations patronales à des actions de lutte contre la discrimination (c’est-à-dire à engager des personnes « différentes »). Au niveau des acteurs politiques, il demande une simplification des procédures, notamment d’équivalence, et une analyse des discriminations. À propos du tout public, il met en lumière l’importance majeure d’une sensibilisation. Et, enfin, au niveau des professionnels, il insiste sur la nécessité de rapprocher les entreprises et le secteur public, et de les informer sur l’entrepreneuriat.
La création d’un réseau
En 2015, une première grosse évaluation de l’action de la plateforme a été entreprise. Son objectif essentiel était la création d’un réseau et le résultat attendu était un échange de pratiques, un travail sur la diversité et un élargissement de la plateforme. Les critères soulignés ont été l’efficacité (le passage des objectifs à la réalité), l’effectivité (la qualité et l’équilibre) et la cohérence avec les attentes des partenaires impliqués et du public. Quant aux attentes, elles portaient sur le maintien du partenariat et le renforcement du réseau, la mobilisation d’experts externes et le travail avec les entreprises. Concrètement, cette étape a abouti à une interconnexion avec le groupe à projet Diversité-Wallonie et à une prise contact avec le Centre Capital, un business-club réunissant des entreprises de la région.
Dans la période 2016-2017, les rencontres avec les entreprises se sont multipliées, notamment par le biais d’un partenariat avec Centre Capital. Dans le même temps, il s’est avéré que les entreprises étaient de plus en plus confrontées à la diversité dans la main-d’œuvre en raison de trois phénomènes : l’internationalisation, le fait que les femmes sont de plus en plus actives et le fait que les personnes atteintes d’un handicap sont de plus en plus demandeuses d’un accès à l’emploi. Dans ce contexte en mutation, le constat général établi a été que la mobilisation était possible, mais devait être régulière et menée en interaction. Pour appuyer son travail de sensibilisation, la plateforme a créé une brochure mettant en exergues les atouts et avantages de la diversité à destination des employeurs.
Un colloque a, par ailleurs, été organisé sur le thème de « Favoriser l’inclusion des personnes handicapées ». Son but était à nouveau de promouvoir la diversité sous toutes ses formes, mais aussi de déconstruire les stéréotypes et les préjugés, et d’aborder l’auto-discrimination, à savoir le fait de se discriminer soi-même. Il faut, en effet, savoir que 80% des personnes à handicap reconnu sont sans emploi, alors que la plupart ne nécessitent aucun aménagement spécifique en cas de mise à l’emploi.
Un fonctionnement coordonné
Début 2019, la plateforme a mis sur pied un nouveau colloque baptisé « L’inclusion, ça marche vraiment ? » Celui-ci a mis en évidence quatre dispositifs d’insertion efficaces. Son contenu a souligné l’existence de bonnes pratiques en la matière, mais a aussi mis celles-ci en lien avec d’autres formules différentes expérimentées à l’étranger, notamment dans un pays comme l’Allemagne. L’évaluation menée fin 2019 a, elle, reposé sur 8 réponses (sur 15) à un questionnaire et sur 3 interviews. Les points forts mis en lumière ont été la création d’une réelle synergie, la vision élargie et plus claire des compétences des partenaires, l’existence d’une réflexion commune, la mise en place de projets communs (formations, outils, etc.) et l’approche d’un public différent.
Du côté des points faibles, l’évaluation de la plateforme a déploré le manque de régularité et de participation de certains membres, la présence quasi-exclusive en son sein d’acteurs du non-marchand et l’absence de la thématique des discriminations faites aux femmes dans ses débats. Quelques pistes d’amélioration ont, dès lors, été évoquées, à savoir la mise en place de réunions thématiques et l’établissement d’un calendrier annuel, la sensibilisation des forces vives de l’emploi au sein du binôme économique, et la nécessité d’augmenter la présence d’entrepreneurs issus de la diversité afin de les rencontrer et de leur demander de servir de tremplin à la plateforme.
Les deux évaluations menées en dix ans ont donc permis de mettre en place un fonctionnement coordonné débouchant sur des actions entreprises avec une suite logique, raisonnée de commun accord entre les membres. Elles ont aussi mis en lumière la difficulté et la lenteur de l’organisation des activités, ainsi que l’absence criante du banc patronal.
Diagnostiquer l’existant
Sur le plan des perspectives, différentes pistes ont été avancées. Entre autres, observer comment des organismes similaires fonctionnent dans d’autres pays, et découvrir les projets faits dans ce sens dans les entreprises (diagnostic de l’existant) et les faire connaître. Au nom de l’IRFAM (Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations), Altay Manço a évoqué l’idée d’établir des contacts avec les fédérations d’entreprises, tout en déplorant que ces dernières ne représentent pas réellement les entreprises. Il a insisté sur l’importance, à ce niveau, d’aller dans les entreprises, en travaillant éventuellement par bassin, car, au sein des 220.000 entreprises présentes en Wallonie, 56% des travailleurs sont employés dans des entités de 9 personnes ou moins.
Pour les toucher, il importe, selon Altay Manço, de passer par les réseaux personnels (amis, famille, etc.) qui se révèlent généralement les plus efficaces. Il s’agit notamment, par ce biais, de diagnostiquer les bonnes pratiques, puis de les croiser entre secteurs et bassins. Au niveau des personnes en insertion ou réinsertion, la nécessité première est de travailler sur leurs freins ; par exemple, en actionnant les leviers de la confiance en soi et de l’autonomie. Au-delà de ces aspects concrets, la visée pourrait être d’ouvrir un service de consultance aux entreprises pour mettre l’expertise des centres régionaux d’intégration à disposition. Cette perspective se heurte malheureusement à la question du manque de personnel de ces centres ayant la compétence de parler business dans les entreprises.
Dominique Watrin