La diversité sur le marché de l’emploi : un forum du CAI pour prouver le foisonnement d’initiatives positives en région namuroise
C’est une donne qui fait l’unanimité sur papier : la diversité culturelle est un atout pour l’entreprise. Elle apporte de meilleures performances, elle offre une image publique positive, elle crée une dynamique d’ouverture et elle incarne une stratégie bénéfique en termes de ressources humaines. Malgré tous ces avantages, la diversité culturelle n’est pas encore largement et durablement présenté dans le monde économique. Le CAI (Centre d’Action Interculturelle de Namur) qui se veut moteur dans la promotion et la progression de cette diversité a tenu à organiser un forum sur cette thématique. Avec un titre en forme de cri du cœur : « Migrants, entreprises, professionnels de l’insertion… un trio gagnant pour la diversité ! »
C’est un constat que peu d’acteurs du monde économique osent encore nier aujourd’hui : les travailleurs migrants sont compétents, disponibles et nécessaires, et ont un rôle non négligeable à jouer dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Des dispositifs sont mis en place pour favoriser leur insertion sur le marché de l’emploi, mais cette dernière tarde encore à s’afficher comme une évidence sur le plan concret.
Pour la troisième fois, le Monitoring socio-économique (réalisé par le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, en collaboration avec Unia) a à nouveau confirmé que les personnes d’origine étrangère accusent un grand retard sur le marché de l’emploi en Belgique.Les raisons de cet écart découlent d’une série de freins et de difficultés vécues par les personnes étrangères et plus particulièrement les primo-arrivants, à savoir les personnes non européennes arrivées en Belgique depuis moins de trois années.
Ces freins ont des causes multiples. Certains sont propres au vécu et au parcours des personnes mais, souvent, ils sont liés à l’organisation même de notre société. Il y a d’abord les difficultés administratives, notamment celles relatives à l’obtention ou au maintien du séjour, ainsi que les démarches à réaliser lors de l’installation dans une commune. Il y a aussi les problèmes de santé mentale (dépression, troubles psychologiques, etc.) dus au parcours migratoire. Puis, il y a le manque de reconnaissance des compétences des personnes étrangères ou leur inadéquation au marché du travail, la sur-exigence de maîtrise de la langue française, ainsi que, pour certains, la fracture numérique couplée avec une incompréhension de la communication écrite des textes administratifs, sans oublier la longueur des dispositifs de formation et le décrochage des apprenants.
Préjugés et difficultés
Ces personnes sont également confrontées à des préjugés de la part des employeurs et/ou des travailleurs, voire à la discrimination. Diverses études confirment que les employeurs qui prennent des dispositions pour éliminer la discrimination dans leur entreprise en sont récompensés par une amélioration des performances et de l’efficacité des relations professionnelles. On peut aussi déplorer un manque de propositions de formations au sein des entreprises afin d’augmenter les compétences des personnes.
Par ailleurs, il existe une ethnostratification du marché de l’emploi. Les personnes d’origine étrangère sont surreprésentées dans les secteurs d’emploi les moins bien payés et les plus précaires. Ce sont généralement des secteurs caractérisés par des horaires irréguliers et une certaine pénibilité de travail. Et certaines pratiques de recrutement peuvent renforcer cette ethnostratification du marché de l’emploi, comme des engagements intra-communautaires. On peut également noter une difficulté d’accès à la mobilité : permis de conduire difficile à obtenir, coût des frais de transport, mobilité compliquée avec le lieu d’accueil des enfants, etc. Enfin, pour les demandeurs de protection internationale, l’éloignement des centres d’accueil des pôles urbains aggrave ces problèmes de mobilité.
Désapprendre pour réapprendre
Des acteurs de terrain agissent pour surmonter ces différents obstacles et inverser de la sorte le mouvement. Entre projets innovants et expériences positives, ils tentent de contribuer à un meilleur « vivre ensemble » et à découvrir de nouvelles solidarités. C’est le cas d’AFICo (asbl namuroise Animation Formation Information Coordination), qui vise à permettre à tous de participer à la société dans ses aspects politiques économiques, sociaux et culturels, et qui travaille notamment à la formation vers l’emploi.
C’est donc un lieu où, tout à la fois, on comptabilise les compétences, on mène une approche interculturelle et on offre un « outillage » professionnel. L’idée générale est de considérer la situation dans laquelle le ou la stagiaire se trouve afin de l’accompagner. L’association apprend ainsi à la personne à comprendre les codes de l’employeur, à aborder ce dernier et à se mettre en valeur face à lui, tout en sachant comment les relations fonctionnent dans ce pays, (regarder l’employeur dans les yeux, se vendre, donner son avis, etc.). Il s’agit, en somme, de désapprendre pour réapprendre.
Pour Kelly, stagiaire d’AFICo mise sur les rails d’un travail d’aide familiale, couplé avec des études de droit, l’apport de cette formation a été de montrer sa vraie valeur. Déboussolée et fragilisée lors de son arrivée en Belgique, elle y a acquis une forme de confiance en elle, tout en intégrant des acquis de base (comme, par exemple, rédiger des mails). Elle a également pu échanger sur les chocs culturels qui étaient les siens (par exemple, le fait que les gens ne se disent pas bonjour dans les transports en commun). Une approche globale qui ouvre à la fois sur le marché de l’emploi et sur le mode de vie dans le pays d’accueil.
Une véritable rencontre culturelle
Autre acteur de cet accompagnement en région namuroise, le service de mentorat du CAI fonctionne, comme son nom l’indique, sur base d’une mise en relation d’un mentor avec la personne, primo-arrivante ou demandeuse d’asile, dont il assure l’accompagnement direct dans ce qu’on appelle « la première ligne ». Le mentor aide à mieux comprendre le monde du travail en Belgique, se substituant aux travailleurs sociaux qui n’ont pas toujours le temps d’accompagner les personnes individuellement et de manière aussi intense. De plus, cet accompagnement prend la forme d’une véritable rencontre culturelle qui apporte également au mentor une valorisation et une remise à jour de ses compétences.
Ce système a permis une dizaine de remises à l’emploi à ce jour, sans compter les reprises de formation. L’importance de l’intermédiaire est évidente, notamment pour mieux comprendre le marché de l’emploi, et pour se jauger et se tester par rapport à celui-ci. Ça a, par exemple, été le cas pour Ahmed, accompagné pour intégrer le secteur de la cuisine/restauration, avec une aide individuelle pour des opérations comme la rédaction de lettres de motivation. À noter qu’un des constats que l’on peut dresser sur la mise à l’emploi est que les employeurs qui engagent le plus facilement des personnes étrangères ou d’origine étrangère sont… étrangers.
Se projeter directement
Les EFT (Entreprise de Formation par le Travail) assurent également un volet dans l’impulsion de la diversité dans le monde du travail. Pour Ali, témoin de première ligne, celle qu’il a fréquentée lui a notamment permis tout à la fois d’apprendre le français, de se sentir encadré et de prendre confiance au fur et à mesure de l’apprentissage. Il s’est donc agi pour lui d’un excellent tremplin vers l’emploi, avec un encadrement particulièrement adapté. Son apprentissage du français, par exemple, n’a pas été uniquement théorique, comme c’est le cas dans un apprentissage classique, mais s’est déroulé dans un contexte pratique de type professionnel. Cet atout aide, selon lui, à donner sens à son apprentissage et à se projeter directement et concrètement dans un emploi.
Chacun des opérateurs a ses atouts et ses préoccupations prioritaires. AFICo est, par exemple, très attaché à ce que les personnes soient autonomes, à la fois dans leur apprentissage des langues, dans le développement de leur projet personnel et dans la création de leurs réseaux. Pour le mentorat du CAI, le principe du mentor est de créer des binômes dont l’atout majeur est la complémentarité entre les deux personnes qui le composent. Il s’agit d’une sorte de cocon institutionnel qui met à disposition connaissance du français, acquis professionnel, ainsi qu’accompagnement dans la recherche professionnelle et les démarches administratives. Enfin, l’idée maîtresse du travail de l’EFT est que l’apprentissage est plus efficace dans l’immersion en situation professionnelle.
En parallèle à ces axes de travail, il existe des accompagnements des employeurs par des structures. Du côté du FOREM, il existe des mesures de soutien à l’embauche, suivant la situation des personnes, comme une formule d’aide à l’emploi baptisée « Impulsion » ou le PFI (Plan Formation-Insertion). Il y a aussi les services de « job coaching » (entre autres, des CPAS), liés au système de ce qu’on appelle les Articles 60 et 61, qui aident à rencontrer les employeurs et assurent un accompagnement sur toute la période de l’emploi. Et n’oublions pas l’action d’accompagnement durant l’insertion assurée par les différentes missions régionales.
Un parcours d’insertion… et humain
Accompagné par l’asbl namuroise Carrefour des cultures, dans le registre « valorisation des compétences », Antoine, débarqué de Syrie en 2015, a bénéficié de cours d’apprentissage pratique du français qu’il juge plus performants que les traditionnels cours de FLE (français langue étrangère), parce que plus en contact avec les gens. L’action de Carrefour des cultures en termes d’apprentissage du français se noue dans un partenariat avec le FOREM, en privilégiant une valorisation des compétences basée sur les compétences acquises dans le pays d’origine. Sur le plan strictement professionnel, la volonté est d’organiser des stages en entreprise pour préparer les primo-arrivants à une épreuve organisée par catégorie professionnelle par un panel d’organismes (Ceria, IFAPME, etc.). Une fois cette valorisation terminée, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui recherchent leur emploi. L’idée est donc celle d’un parcours d’insertion, mais aussi d’un parcours humain.
Autre chemin sur la voie du marché de l’emploi, le parcours d’insertion de l’UNamur. C’est celui emprunté par Mahmoud, infirmier venu de Syrie. À son arrivée en Belgique en 2015, il a axé son approche sur l’apprentissage du français de base, puis, à partir de 2018, sur une connaissance linguistique plus approfondie lui assurant une autonomie totale. La spécificité du système mis en place par l’UNamur est que les outils pédagogiques ne sont pas figés, mais toujours en construction et en perpétuelle adaptation. Ceux-ci sont axés sur le sens et sur la souplesse, afin de permettre aux gens de s’accrocher au dispositif. L’approche qui y est privilégiée est l’approche actionnelle, centrée sur l’apprenant qui est toujours actif. Il s’agit d’un apprentissage en contexte et non systématique, en comprenant le pourquoi de la grammaire, de l’usage, etc.
Valider sa capacité
La Ressourcerie namuroise, reconnue comme entreprise sociale, agit, pour sa part, par le biais du travail, via la récupération et le reconditionnement d’encombrants sur la région. Près de 4000 tonnes de marchandises sont ainsi reconditionnées et écoulées à travers quatre magasins. Environ 70 personnes travaillent dans le giron de La Ressourcerie, réparties équitablement entre contrats CDI et Article 60. Entre 10 et 15 nationalités s’y côtoient. Partenaire du monde de l’insertion, l’asbl Lire et Écrire assure la formation en français, dans un partenariat avec la Ressourcerie.
Au départ, son domaine de travail concerne le FLE à l’intention de personnes peu scolarisées sans emploi. Puis s’est ouvert un groupe réservé aux personnes à l’emploi qui n’ont ni les mêmes nécessités, ni les mêmes demandes. Dans son travail avec les entreprises, l’association tient à rester maître du contenu. Elle est attentive à ne pas se cantonner juste au français, mais à prendre en compte son contexte, à approcher les écrits du quotidien comme lire un planning de travail, les droits et devoirs des travailleurs, etc. Pour Akima, venue du Maroc et passée par cet apprentissage, se confronter au marché de l’emploi est important. « On sait qu’on est capable, assure-t-elle, mais c’est ce qui fait que cette capacité est validée. » Un cheminement qu’elle a pu vivre dans son cursus de téléphoniste, avec la nécessité de pouvoir répondre, mais aussi de comprendre le langage, notamment les termes professionnels spécifiques comme celui de sellette, pour elle, à La Ressourcerie.
De son côté enfin, l’Hénallux (Haute École de Namur-Liège-Luxembourg) vise la valorisation des expériences en s’adressant à tout adulte qui souhaite reprendre des études, en ouvrant l’accès à un cursus à ceux qui n’ont pas de diplôme de base. Les conditions d’accès sont de prouver l’expérience et de justifier de cinq années dans le secteur concerné. L’idée est de gagner du temps et de prendre conscience des compétences à acquérir et à améliorer.
Dominique Watrin