Décoloniser le folklore : se mettre à la place de l’autre pour oser de nouvelles alternatives
La question du racisme dans le folklore est une problématique éminemment sensible. Revenue récemment au galop sur les devants de l’actualité, notamment à travers le débat autour de la présence du Père Fouettard dans la tradition de Saint-Nicolas, elle concentre les ingrédients d’histoire et d’émotionnel qui suffisent à radicaliser les positions, que ce soit du côté des partisans ou des opposants. La plateforme montoise « Décolonisation des esprits et de l’espace public » qui regroupe diverses associations parmi lesquelles on retrouve le CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage) n’a pas manqué de faire un focus sur ce sujet, à travers une conférence intitulée « Décoloniser le folklore : entre résistances et changement ».
Anne Wetsi Mpoma, l’intervenante centrale de cette conférence, est historienne de l’art. Pour elle, dans le débat autour de la décolonisation du folklore, la question cruciale est de faire émerger au niveau de la conscience des choses qu’« on » trouve normales. Et pour étayer cette vision, elle reprend une notion popularisée par le juriste et essayiste Adilson Moreira, l’un des plus grands spécialistes en droit antidiscriminatoire au Brésil. Cette notion, c’est celle du racisme récréatif. Ce dernier est décrit comme une forme d’oppression raciale avec des images stéréotypées méprisantes, diffusées sous le couvert de l’humour, qui compromettent le statut matériel et culturel des minorités concernées.
Le principal effet pervers de ce phénomène qui affecte au premier chef les Noirs est qu’il enfonce, en réalité, dans les mentalités des convictions déjà fort ancrées dans la société. De ce fait, il contribue à figer des images dans l’esprit des gens et renforce les discriminations au niveau des droits de base (emploi, logement, etc.). Concrètement, ce racisme récréatif se niche dans des éléments qui semblent parfois anodins. C’est le cas, par exemple, des personnages en chocolat commercialisés à l’occasion de la fête de Saint-Nicolas. Beaucoup l’ignorent, mais ces derniers véhiculent des stéréotypes hérités des visions suprémacistes de la fin du dix-neuvième siècle.
Les conséquences de ce racisme récréatif sont notamment désastreuses au niveau de la construction identitaire des jeunes du groupe discriminé. Ceux-ci opèrent, en effet, une identification automatique avec les victimes de ces images, même s’il est dit çà et là que les personnes ont le choix d’être impactées ou pas par ces idées. Et la construction problématique qui découle de cet engrenage peut mener à des états dépressifs de différentes intensités.
Devenir consciemment incompétent
Pour Anne Wetsi Mpoma, le fond de ce débat sur le racisme récréatif est qu’il est essentiel de se mettre à la place de l’autre. Et il est d’autant plus urgent selon elle de le faire qu’elle pense qu’une fois que les gens discriminés auront épuisé les voies et recours officiels, ils vont se radicaliser dans leur position et dans leurs actions. La solution à cette discrimination passe inévitablement, pour l’intervenante, par le dialogue qui doit inclure plusieurs composantes. La première de celles-ci est d’accepter les remarques sans les prendre personnellement, autrement dit d’accepter d’être inconsciemment incompétent. La deuxième qui lui fait suite est de prendre progressivement conscience de cette incompétence et devenir, en quelque sorte, consciemment incompétent, ce qui amène à chercher des solutions.
Selon Anne Wetsi Mpoma, pour lutter contre ce racisme, il faut également savoir que 90% du langage est non verbal. Cela permet d’intégrer le fait que le racisme est présent partout, dans n’importe quelle famille, et qu’il se transmet. Le test dit « des poupées » mené dans les années 40 aux États-Unis par deux chercheurs, les psychologues Mamie et Kenneth Clark, a été révélateur sur ce plan. L’idée était de présenter 4 poupées identiques mais de couleur différente (2 blanches et 2 noires) à des enfants afro-américains âgés de 3 à 7 ans et de leur poser différentes questions. Avec quelle poupée aimerais-tu jouer ? Quelle poupée est gentille ? Quelle poupée est laide ? Quelle poupée a une belle couleur ? Quelle poupée te ressemble le plus ? Etc. Le constat général a été que les enfants testés, tous noirs, reproduisaient les archétypes (schématiquement, que la poupée blanche est la plus gentille, la plus jolie, etc. parce qu’elle est blanche), tout en s’identifiant eux-mêmes pleinement aux poupées noires, développant donc un sentiment d’infériorité et une dévalorisation de soi préjudiciable au bon développement de leur personnalité.
Pour l’intervenante, au-delà des leçons à tirer de cette expérience, la question à se poser est de savoir dans quelle société on souhaite vivre aujourd’hui. Et de lancer un appel : « Il est temps d’oser questionner le folklore et de se laisser toucher par de nouvelles positions, par d’autres alternatives. »
Dominique Watrin