Hassan Jarfi part en guerre contre l’homophobie pour que la mort de son fils fasse progresser sa cause
Le nom d’Ishane Jarfi, disparu il y aura bientôt dix ans, résonne encore dans pas mal de mémoires, incarnant à jamais, à travers une identité et un visage, le drame du crime homophobe. C’est le père de ce jeune homme, Hassan Jarfi que le CRIPEL (Centre régional d’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège) a invité à s’exprimer à l’occasion d’une de ses midi-conférences. Son propos oscille logiquement entre douleur d’un père effondré par la perte de son fils et volonté de mener un combat acharné contre l’origine de cette perte : l’homophobie. Comme à travers l’exposé du jour intitulé « Homophobie et combat contre les discriminations ».
Le crime a fait la une de l’actualité. Le 22 avril 2012, Ihsane Jarfi, jeune homosexuel de 32 ans, disparaissait à la sortie d’un bar gay de Liège. Deux semaines plus tard, son corps dénudé était retrouvé dans un champ. Il avait été frappé à mort après avoir été dépouillé de son argent et de son portable, déshabillé, torturé et roué de coups. Son agonie avait duré plusieurs heures.
Rapidement retrouvés et inculpés pour assassinat à caractère homophobe, ses quatre agresseurs ont été jugés en décembre 2014. Trois d’entre eux ont été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, le quatrième écopant d’une peine de 30 ans de prison. Pour le père meurtri de la victime, commençait alors un lent travail de reconstruction qu’il a choisi de mettre au service de la cause homosexuelle.
Changer la mentalité dans les familles
L’homme le confesse sans détour : enfermé dans son éducation et la vision de l’homosexualité que celle-ci lui a façonnée, il n’a pas perçu la réalité de l’orientation sexuelle de son fils. « Il avait un comportement féminin dès son plus jeune âge, explique-t-il. Il s’habillait, par exemple, en chaussant les talons aiguilles de sa sœur. Moi, avec l’éducation qui était la mienne, je ne pensais pas qu’on pouvait être homosexuel de naissance. Alors, je croyais qu’il faisait ça pour imiter sa sœur… »
La mort d’Ishane Jarfi va provoquer un électrochoc chez son père. Un an après son décès, il publie un livre témoignage titré « Ishane Jarfi Le couloir du deuil » dans lequel il chemine dans le dédale de ses origines, s’interroge sur l’homosexualité de son fils et se questionne sur la logique meurtrière de ses assassins. Huit ans plus tard, l’homme a affiné son opinion, poursuivi sa réflexion, offrant un regard fait, comme il le dit, de « subjectivité sur base d’éléments rationnels ». Parmi les convictions qu’il a acquises, Hassan Jarfi pointe le positionnement dégradé de la femme dans la société comme un facteur explicatif de l’homophobie.
« Si elle est très présente dans la culture arabe, développe l’intéressé, l’homophobie n’est pas un problème de communauté, c’est un problème de société. Et on ne pourra pas sortir de l’homophobie tant que la société ne revalorisera pas l’image de la femme qui y est associée dans l’imaginaire. Moi-même, lorsque j’ai eu la certitude de l’homosexualité de mon fils, j’ai été écartelé entre l’amour immense pour mon fils (auquel j’avais donné un prénom dont la traduction est « Excellence ») et une forme de tristesse de ne pas avoir été capable d’avoir eu un enfant hétéro. Aujourd’hui, je veux mener une guerre contre les origines de l’homophobie. Il faut changer la mentalité dans les familles… »
Un lieu d’hébergement d’urgence et de transition
Passant de la parole aux actes, Hassan Jarfi a créé une fondation portant le nom de son fils, avec en sous-titre, la mention « against homophobia ». Mise sur pied en 2014, cette fondation s’est donné pour mission de développer quatre axes stratégiques définissant son champ d’action. Le premier est la culture comme vecteur de lutte contre l’intolérance. Le deuxième est l’interculturalité comme mise en dialogue des univers de représentation. Le troisième est la jeunesse comme espoir en l’avenir. Et le quatrième est le monde du travail comme lieu sans discrimination.
La Fondation Ishane Jarfi est financée uniquement par des dons d’entreprises, d’organisations et de particuliers. Ces fonds visent à permettre la réalisation d’actions de lutte contre l’homophobie, soit directement, soit via des missions confiées par appel à projet. Elle organise également des événements culturels, ainsi qu’une action de sensibilisation au sein du monde de l’éducation.
L’une des réalisations les plus remarquables de la fondation est le « Refuge Ihsane Jarfi ». Lancé en 2019, celui-ci est un lieu d’hébergement d’urgence et de transition dédié aux jeunes LGBT âgés de 18 ans et plus qui se retrouvent sans logement suite à une rupture avec leur milieu familial et/ou social. Situé à Liège, il permet de répondre à des situations d’urgence sociale à travers un fonctionnement en deux temps. D’abord, un hébergement d’urgence en partenariat avec un opérateur public durant les premiers jours. Ensuite, un hébergement de transition en appartement si la situation de rupture et l’urgence sont avérées. Ce dernier est d’une durée de six mois, renouvelable éventuellement une fois.
Le refuge assure une permanence 24h/24, avec un accueil par des personnes qualifiées. L’accompagnement qui en découle se fait à travers des réseaux du secteur associatif LGBT, mais aussi au sein d’un espace préservé dans lequel le jeune peut retrouver progressivement une autonomie.
Dominique Watrin
Pour plus d’informations : http://www.fondation-ihsane-jarfi.be/ et pour tout contact avec le Refuge Ishane Jarfi : http://www.refugeihsanejarfi.be/ – Urgences 7 jours/7 : 0479 15 87 44