Kediss Covid ? : le CRIC de Charleroi interroge sans complaisance son propre vécu de la pandémie de Covid
Pour les Centres régionaux d’Intégration, comme pour tout un chacun, la période de Covid qui a pris fin, il y a quelques mois, a été une épreuve qu’il a fallu traverser entre craintes compréhensibles et volonté d’aller de l’avant, avec, en corollaire, la nécessité de réinventer ses pratiques et son mode de fonctionnement. Dans un webinaire un peu particulier diffusé récemment, le CRIC (Centre Régional d’Intégration de Charleroi) s’est penché sur cette période agitée avec, pour fil conducteur, une question générique fondamentale : « comment le CRIC, ses collaborateurs, ses partenaires et ses bénéficiaires ont-ils vécu la pandémie de Covid-19 et quelles leçons en tirer ? » Une thématique en forme de questionnements et de bilan, regroupés sous le titre clin d’œil, regard carolo oblige, de « Kediss Covid ? »
Le webinaire proposé donne la parole à une série d’interlocuteurs tant intérieurs qu’extérieurs au centre régional : des membres de l’équipe, la présidente du Conseil d’administration du CRIC, une bénéficiaire du centre et un acteur extérieur, également amené à témoigner à propos de cette expérience. Ce document filmé d’un peu plus d’une demi-heure est découpé en cinq parties.
Réalisation des missions et gestion des urgences
La première partie du webinaire s’est penchée sur la manière dont les personnes ont vécu la période de confinement. Pour Laura Simonelli, responsable de projets PLI au CRIC, cette période angoissante a créé un climat anxiogène. La peur de la maladie a entraîné l’idée de se replier chez soi et d’être plus en sécurité, avec néanmoins une crainte autour de la question de savoir comment mener son travail au quotidien, en gardant le contact avec le terrain, c’est-à-dire essentiellement les réseaux et les partenaires. Pour Philippe Volral, travailleur social au CRIC, il s’agissait aussi de passer d’un travail quotidien au départ d’un bureau à celui au départ d’un domicile dans lequel le confort du bureau n’existait pas, dans un canevas professionnel où 95% du temps de travail consiste à côtoyer les bénéficiaires du CRIC.
La perception d’Anne-Sophie Deffense, présidente du CRIC, sur cet aspect du travail est que le contact par différentes formes virtuelles aujourd’hui installées dans les pratiques a fait que le fonctionnement du centre a pu perdurer, sans être fondamentalement affecté par la pandémie. Quant à Gérard Ilunga, partenaire du CRIC en tant que directeur de la VCAF (Vie des Communautés Africaines) du Hainaut, la pandémie a clairement dérangé la stratégie de travail de son association. En cause, le fait que c’est le contact direct, le face-à-face, qui fait la force de son action, qui lui permet de réaliser ses missions, un processus mis à mal par les mesures instaurées lors de l’émergence de la pandémie. De plus, les personnes en lien avec la VCAF étant essentiellement des personnes en situation de précarité, les joindre à distance était compliqué par l’absence chez elles des moyens techniques nécessaires, tels que smartphones et ordinateurs.
Pour Nicky, médecin de profession et bénéficiaire des services du CRIC, la période Covid a surtout coïncidé avec la complication d’une procédure d’équivalence de diplôme en cours. Enfin, pour Thierry Tournoy, directeur du CRIC, le déclenchement de la pandémie et des mesures qui en ont découlé a surtout correspondu à une nécessité de gérer des urgences dont personne ne connaissait les tenants et aboutissants. Avec une obligation d’informer, d’organiser, de mettre en place le télétravail, de collaborer avec les acteurs du réseau, de répondre aux multiples questions et inquiétudes des membres du personnel, etc.
Adaptation technique et mise en place de protocoles sanitaires
La deuxième partie du webinaire s’est attardée sur la manière dont le CRIC a pu garder le lien avec ses bénéficiaires, mais aussi avec les membres du réseau. Sans surprise, au niveau du personnel, les plateformes (de type Teams) ont été d’une grande aide pour le maintien des liens, tant avec l’équipe et la direction du centre qu’avec le réseau, même si le rythme de travail a changé. Dès le début de la pandémie, un des premiers soucis du CRIC a été d’outiller son personnel pour qu’il poursuive ses missions. Cette adaptation technique s’est doublée d’une attention particulière envers les bénéficiaires qu’il s’est agi de rassurer quant à leurs préoccupations et à leur avenir.
Du côté de la présidence, la tâche première a été de mettre en place les protocoles sanitaires à respecter, en visant à respecter un juste équilibre entre protéger le personnel et poursuivre la fourniture de services aux publics fragilisés du CRIC. Pour le monde associatif en lien avec le centre, la question des moyens techniques, et surtout de leur absence, a été cruciale pour le travail avec les bénéficiaires. Avec, à la clé, un coût économique non négligeable… Le CRIC à son niveau a utilisé les mêmes artifices, la même démarche que les autres centres régionaux pour garder le contact avec un réseau lui-même en difficulté. Cela a induit des partages d’expérience et des échanges d’informations sur les pratiques en cours pour pallier les nouveaux manquements dus à la pandémie.
Travail à domicile et aide aux bénéficiaires
La troisième partie du webinaire a braqué les projecteurs sur la manière dont le travail à domicile s’est organisé, avec les difficultés liées à la période de crise sanitaire. Au sein du personnel, cette réorganisation du travail a été l’occasion de se concentrer sur un travail de fond sur les dossiers, ainsi que sur une action plus étroite avec les partenaires rendus plus disponibles en raison de la pandémie. Avec aussi une nécessité nouvelle, celle de concilier de manière plus étroite vie professionnelle et vie privée, en conjuguant les nécessités des deux. Comme, par exemple, le suivi des dossiers et des partenaires, d’une part, et celui des enfants et de leur scolarité, d’autre part. Pour un partenaire comme l’association VCAF, la grande difficulté de la période de Covid n’a pas été de travailler en distanciel, mais a contrario d’être privé de terrain, de contact avec les bénéficiaires pour leur offrir une écoute, une parole de réconfort.
La quatrième partie a ausculté la manière dont le CRIC a pu aider ses bénéficiaires durant la période agitée de la pandémie de Covid. Selon le personnel, le maintien du soutien aux partenaires a été rendu possible par la poursuite du lien avec ceux-ci, notamment via la poursuite d’une permanence au sein du centre régional qui a permis de continuer à accueillir les demandes urgentes, tant en première ligne qu’en deuxième ligne. Le principe a été de s’épauler et s’entraider pour garder le cap durant la crise. Parallèlement, les connexions avec les instances officielles et les services du centre régional ont permis de répondre au plus près aux attentes, urgences et inquiétudes des bénéficiaires. Du côté de la présidence du centre, le souci essentiel a été que tous les protocoles sanitaires soient respectés, tout en veillant à un juste équilibre entre protéger le personnel du CRIC et faire en sorte que les services soient toujours en action. Du côté des associations, on tient à souligner l’importance du maintien de l’aide du CRIC, via la poursuite de sa mission d’accompagnement et la validation des initiatives prises, notamment afin que celles-ci ne soient pas contraires aux cadres des pouvoirs subsidiants. Au niveau de la direction du centre enfin, on souligne la réactivité de La Wallonie qui a très vite suspendu les délais du parcours d’intégration pour éviter de mettre les gens en difficulté. Mais elle met aussi en exergue le fait qu’une série de procédures, comme celle d’obtention de la nationalité, ont été suspendues en raison de la pandémie, ce qui a prolongé la situation de précarité d’un certain nombre de personnes, que ce soit en termes d’accès au logement et à d’autres droits fondamentaux.
Poursuivre le travail en développant des alternatives
Enfin, la cinquième partie du document s’est tournée vers l’avenir en demandant à chaque intervenant ce qu’il a retenu de positif de la période de Covid. Pour Laura Simonelli, le mot clé est « alternative », un terme qui met en exergue qu’il y a moyen de poursuivre le travail, d’abord en développant toute une série d’alternatives, avec un progrès dans l’utilisation des moyens techniques, ensuite en se montrant créatif avec l’adoption d’un nouveau mode de travail durant cette période. De son côté, Anne-Sophie Deffense retient surtout la nécessité de la solidarité, bien loin de la peur, de la panique et de l’ego. Pour Gérard Ilunga, la crise sanitaire a aussi permis de prendre conscience qu’il y a des situations que nous n’avons pas voulues, qui s’imposent à nous, comme c’est le cas de l’exil. Enfin, pour Thierry Tournoy, la pandémie a poussé l’équipe du centre régional à réinventer son travail au quotidien, avec des enseignements dont elle tient encore compte aujourd’hui. Avec aussi une convivialité qui est non seulement restée intacte au sein de l’équipe, mais y a même crû. L’engagement s’est, selon lui, renforcé durant cette période, tandis que les valeurs majeures que sont la solidarité, l’égalité des chances et la cohésion se réaffirmaient.
Dominique Watrin
Le webinaire « Kediss Covid ? » peut être visionné via le lien Youtube suivant : https://www.youtube.com/watch?v=EnWlUXinrlU