La commémoration des 60 ans des accords bilatéraux Belgique-Maroc et Belgique-Turquie : un programme varié concocté un peu partout en Wallonie
On le sait tous, 2024 est une année électorale exceptionnelle avec un double scrutin. Le hasard veut que, dans un tout autre domaine, cette année sera également marquante, avec la célébration des 60 ans de la signature des accords bilatéraux conclus par la Belgique avec le Maroc, dans un premier temps, puis la Turquie, dans un deuxième temps. Ces accords entérinant l’arrivée en Belgique d’une nouvelle main-d’œuvre ont aussi scellé le destin de milliers de personnes qui y vivent désormais.
C’est, en effet, 1964 qui est l’année-pivot des accords dont on célèbre, cette année, le soixantième anniversaire. À l’époque, la Belgique se remet à peine du traumatisme de la catastrophe du Bois du Cazier survenue à Marcinelle, près de Charleroi, causant la mort de 262 mineurs, dont plus de la moitié sont italiens. Ce dramatique événement se double d’un second élément qui est le fait que l’Italie, en plein développement, souhaite garder ses travailleurs pour assurer celui-ci. En panne de main-d’œuvre, la Belgique se tourne d’abord vers l’Espagne et la Grèce, mais ce n’est pas suffisant pour répondre à l’énorme besoin en force de travail de notre pays en plein essor économique.
Une nouvelle ressource économique de part et d’autre
C’est donc le 17 février 1964 que la Belgique signe une convention bilatérale avec le Maroc, un document qui consacre l’arrivée de milliers de travailleurs dans notre pays. Moins de six mois plus tard, le 16 juillet, c’est avec la Turquie qu’une deuxième convention est signée, avec toujours le même objectif : répondre à un besoin criant de main-d’œuvre. Les populations des deux pays signataires de ces conventions avec la Belgique ont en commun d’être majoritairement rurales, largement analphabètes, et composées de familles très nombreuses plongées dans un contexte dominé par la pauvreté. C’était donc l’occasion pour les pays fournisseurs de cette population à la fois d’alléger une lourde surcharge démographique et de s’assurer une nouvelle ressource économique par le biais des transferts de fonds.
À cette période où la concurrence entre les États européens pour attirer les travailleurs de ces pays fait rage, l’atout de la Belgique est d’offrir à ces ressortissants la possibilité de faire venir leur famille, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays qui offrent de meilleures conditions salariales. Plus qu’un cadeau aux nouveaux venus, cet accueil est un cadeau pour la Belgique elle-même qui fait face à un vieillissement de sa population. À l’immigration italienne présente majoritairement sur le sol wallon, s’adjoint donc l’immigration marocaine qui s’installe principalement à Bruxelles et l’immigration turque qui prend place prioritairement en Flandre, même si des poches de cette vague migratoire prennent place autour de nœuds industriels, comme Liège et Verviers, ou les bassins du Hainaut.
Cette immigration massive voit son coup d’arrêt majeur survenir avec le choc pétrolier de 1974. Comme les pays voisins, la Belgique ferme ses frontières, avant que, dix ans plus tard en 1984, cette immigration reparte à nouveau à la hausse par le fait de populations poussées à l’exil par la pauvreté dans leur pays d’origine. Ces populations ne prennent plus le chemin de la Belgique par la conclusion d’un contrat de travail mais par le regroupement familial. La population d’origine marocaine est évaluée aujourd’hui à plus d’un demi-million (556 365 exactement en 2020, soit 4,8% de la population totale) et la population d’origine turque à environ 160 000 personnes. Autre chiffre : en Wallonie, les chiffres disponibles sur ces populations font état de 17423 personnes de nationalité marocaine et de 9066 de nationalité turque en 2023.
Des Journées montoises de la Culture marocaine
Pour ces deux communautés mais aussi pour la Belgique qui leur doit beaucoup, 2024 sera donc une année de commémoration à laquelle les autorités, institutions, associations et particuliers ne manqueront pas de prendre part. Pour les Centres régionaux d’intégration de Wallonie (CRI), ce sera l’occasion de souligner cet anniversaire déterminant et ce, tant par l’organisation d’événements que par la participation à différents moments, qu’ils soient mémoriels, réflexifs ou festifs. Voici un bref tour d’horizon partiel de quelques-uns de ces temps-forts repris par région.
D’Ouest en Est, commençons ce tour de Wallonie par la région couverte par le CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage), avec l’organisation à Mons des Journées montoises de la Culture marocaine du 17 au 24 mai, dont le programme en cours de constitution prévoit des conférences, des ateliers, du théâtre et une soirée « Comedy Club ». S’y ajouteront un programme musical (en septembre), une exposition de peinture (en novembre) et une activité documentaire (la diffusion de témoignages de personnes marocaines vivant en Belgique), autant d’actions placées sous l’égide du 3C2M, le Conseil consultatif de la communauté marocaine de Mons. Pour sa part, le CIMB envisage des actions comme un focus sur les entrepreneurs d’origine marocaine et turque dans son colloque d’entrepreneuriat (en avril), l’insertion de cette thématique dans un cycle sur la lutte contre le racisme ou une présence dans un village associatif installé dans le parc de Jemappes.
Une exposition historique sur la communauté turque à Virton
Dans la région de Namur, le CAI (Centre d’Action Interculturelle de Namur) veut également profiter de l’occasion pour réaffirmer ses liens avec ces deux communautés. Pour ce faire, en co-construction avec les centres culturels et cultuels marocains et turcs de Namur, il a conçu une exposition d’images et récits illustrant le quotidien de ces personnes et valorisant le patrimoine humain qu’elles représentent. Il s’agit d’un outil pédagogique d’information et de sensibilisation qui sera itinérant. Parallèlement, le centre régional rééditera une version réactualisée de la publication « Coaxions : visages, regards et présences, 50 ans d’immigration » publiée, il y a dix ans. Celle-ci mettra à l’honneur les parcours de personnes issues des deux communautés. La nouvelle version du document comportera de nouveaux récits et photos d’archives de l’époque, mais aussi un aperçu du regard des générations suivantes sur la place des personnes marocaines et turques aujourd’hui en province de Namur. Ces deux points seront les jalons centraux d’une année de commémoration qui verront d’autres événements ponctuels s’y ajouter.
Dans la province de Luxembourg, le CRILUX (Centre Régional d’Intégration de la province de Luxembourg) a déjà pris part à une Journée des femmes et de commémoration des 60 ans de la signature des accords belgo-marocains organisées le 8 mars par la Province à Habay-la-Neuve. Sur le territoire de Virton, d’autres événements s’organisent pour célébrer les 50 ans de présence de la communauté turque. Cinq axes y seront déclinés. D’abord, une exposition historique en cours de construction sous l’égide du Musée Gaumais qui a lancé un appel à témoignages afin de récolter des photographies, des documents, souvenirs, etc. Il y aura ensuite une activité plus récréative autour des spécialités culinaires, un volet culture-art urbain mettant à l’honneur des artistes turcs, un pan musique et concerts, et une dimension bibliothèque et lectures, avec le souhait d’organiser une exposition et une mise en avant des livres et auteurs turcs, via notamment des séances de lecture bilingue. Ce programme n’est, pour l’heure, pas encore définitivement arrêté.
Enfin, dans la région de Liège, parmi les activités organisées, on peut épingler, du côté du CRIPEL (Centre régional d’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège), une nouvelle saison du podcast « Découvre mon histoire » comprenant trois épisodes et une présence, en tant que partenaire, dans l’exposition « Une brève histoire de l’immigration en Belgique », organisée jusqu’au 24 mai aux Fonds patrimoniaux de la Ville de Liège, dans le cadre du Printemps diversité.
Le programme brièvement évoqué ci-dessus n’est que partiel et s’étoffera bien évidemment au fil des semaines et des mois pour offrir à cette commémoration l’attention et l’intérêt qu’elle mérite amplement.
Dominique Watrin