La crise burundaise, une instabilité permanente à l’origine d’un exode migratoire aux caractéristiques particulières
Parmi toutes les zones de turbulence dans le monde, il en est une qui focalise actuellement très peu l’attention internationale : celle qui agite la région dite des grands lacs incluant traditionnellement le Rwanda et le Burundi. Pourtant, ce dernier reste en proie à une instabilité politique et humanitaire qui affecte tant les structures de l’État que la population locale. C’est à cette situation peu médiatisée que le CRIBW (Centre Régional d’Intégration du Brabant Wallon) a consacré récemment un de ses Échos du CRI à travers un exposé intitulé « Burundi, une crise oubliée ? » Un focus qui permet aussi d’appréhender l’implication de cette crise a priori lointaine sur l’immigration en Belgique.
Selon Stéphane Mortier, enseignant à l’Université de Likasi au Congo et fin connaisseur de la question burundaise, la situation actuelle au Burundi est alarmante depuis 2015 et la énième tentative de coup d’État enregistrée par le pays. Le chaos qui règne aujourd’hui encore sur place dans la foulée de cet événement, cet expert tient à l’inscrire dans une perspective historique. Il rappelle qu’à l’origine, le Burundi était une monarchie séculaire avec une autorité reconnue sur tout le royaume. À la fin du 19ème siècle, ce pouvoir était le plus puissant et le plus structuré de toute la région. Une preuve de cette puissance est qu’il y a eu très peu d’esclaves issus du Burundi. En 1884, une vaste attaque de milices de marchands d’esclaves y a d’ailleurs été victorieusement repoussée.
Une dilution de l’identité burundaise
Pour Stéphane Mortier, avant la période coloniale, il existait une identité burundaise qui s’est délitée par la suite. Durant la période coloniale couvrant la fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle jusqu’à la première guerre mondiale, le Burundi était une colonie allemande et n’a pas connu de démantèlement de ses structures existantes. C’est à la fin de la première guerre mondiale, lorsqu’il est passé sous pavillon belge, avec ses terres et sa population, que le pays a connu une profonde oppression. Les premiers missionnaires belges se sont heurtés à une réelle résistance, ponctuée de massacres, qui a engendré une réplique du colonisateur soucieux de mater la population.
C’est à partir de cette époque que l’identité nationale a été brisée. De 1928 à 1934, utilisant le principe de diviser pour mieux régner, la Belgique a accordé aux Tutsis le statut d’ethnie supérieure au détriment des Hutus et cette situation va perdurer jusqu’en 1962, année de proclamation de l’indépendance du Burundi. Avec cette différentiation ethnique introduite dans les rouages du pays, celui-ci ne connaîtra plus ensuite de stabilité. Après l’indépendance, les coups d’État et tentatives de coup d’État se succéderont en 1966, 1976, 1987, 1993… et plus récemment en 2015. Ceux-ci seront assortis de périodes de violence de plus en plus longues et accompagnés d’un nombre croissant de victimes : 200.000 en 1976, jusqu’à 300.000 en 1993.
Une instabilité politique permanente
Cette violence récurrente a entraîné d’importants mouvements de population : 300.000 réfugiés en 1976, 680.000 entre 1993 et 2003, et 400 à 450.000 depuis 2015. En 1993, les premières élections démocratiques ont porté au pouvoir un élu hutu, assassiné dans la foulée par une armée restée tutsie. La dernière tentative de coup d’État de 2015 a débouché sur de nouvelles violences qui perdurent encore aujourd’hui. Celles-ci bénéficient d’une forme d’impunité dans la mesure où rien n’est fait pour enrayer leur spirale.
Depuis 1976, les flux de réfugiés qui quittent le pays se concentrent en Tanzanie, au Rwanda, ainsi qu’en République Démocratique du Congo, elle-même en proie aux conflits. À partir de 1993, les flux migratoires ont ajouté à ces destinations proches, d’autres points de chute plus lointains en Europe et en Amérique, à savoir la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse d’une part, et le Canada d’autre part. Aux yeux de Stéphane Mortier, l’espoir repose aujourd’hui sur une prise de conscience des Burundais qu’il existait une véritable identité burundaise à l’époque précoloniale, ce qui peut incarner un but commun et déboucher sur un travail collectif pour une amélioration des conditions de vie en termes d’éducation, de sécurité, etc.
En attendant, des voies migratoires locales périlleuses restent empruntées : l’une par le Nord avec la traversée hasardeuse du Sahara (et les risques de mise en esclavage dans le Sud algérien et en Libye), l’autre par l’Est de l’Afrique (Tanzanie, Mozambique, Kenya avec, en point de mire, l’île de Mayotte qui est un territoire européen, puisque français).
Trois profils de personnes
Pour la deuxième intervenante, Cécile Ghymers, avocate spécialisée en droit des étrangers, la hausse de l’arrivée de réfugiés burundais en Belgique est une réalité effective depuis 2015. Selon elle, le rôle de l’avocat est assez particulier dans ce genre de cas. Il n’est, en effet, pas de défendre mais d’apporter un conseil juridique. Celui-ci consiste à à la fois à expliquer les étapes de la procédure de reconnaissance et à prodiguer des conseils sur la manière de se comporter de la façon la plus pratique face à cette démarche orale, en amenant les personnes à répondre au besoin de précision et de concision lors des convocations.
Le nombre de personnes d’origine burundais demandeuses d’asile demeurant inconnu en l’absence de statistiques sur le sujet, l’avocate peut juste constater que les Burundais ne forment pas un groupe dominant en termes de volume d’arrivées, les plus présents étant les Erythréens, les Afghans et les Syriens. Elle s’attarde, dès lors, plutôt à définir trois profils de personnes constituant le contingent de migrants burundais. Il y a d’abord les demandeurs d’asile en cours de procédure ou déjà réfugiés. Il y a ensuite les personnes entrant dans le cadre d’un regroupement familial, en possession d’un visa leur permettant de rejoindre un chef de famille. Il y a enfin les étudiants venus poursuivre une scolarité (principalement universitaire) qui introduisent une demande de protection internationale et d’asile.
Une énorme violation des droits humains
Le principe de l’asile repose sur la crainte d’une menace réelle en raison de la race, de la nationalité ou de l’opinion politique. Par rapport à la crise qui secoue le Burundi depuis 2015, la position de la Belgique est de constater l’énorme violation des droits humains dans le pays. Être burundais et tutsi ne suffit cependant pas pour obtenir une protection internationale. Il faut apporter un récit personnel. La tentative du président sortant de se représenter pour un troisième mandat en 2015 a donné lieu à une chasse à l’homme visant une frange de la population constituée d’opposants, de Tutsis et de jeunes. Pour Cécile Ghymers, il s’agissait d’une chasse ethnique qui, sous des prétextes politiques (atteinte à la sécurité intérieure) s’attaquait, en réalité, aux personnes appartenant à l’opposition politique.
Dans ce contexte, l’obtention de l’asile concerne deux catégories de personnes : les opposants politiques et militants d’ONG et des droits humains, et les ex-militaires des Forces Armées Burundaises tutsies (les FAB), d’un côté, et des Tutsis victimes d’un conflit personnel avec un policier, en commerce avec un pays voisin, etc., de l’autre. Les trois particularités du flux de demandeurs d’asile burundais sont qu’il comporte autant de femmes que d’hommes, que c’est une nationalité qui arrive majoritairement par un moyen légal, essentiellement l’avion (avec visa, visa médical…), parce qu’il s’agit de personnes possédant à la fois une instruction, un profil professionnel et une aisance financière, et que ces personnes arrivent en possession de documents.
Une formule de procédure unique
Au niveau des autorités, les ressortissants de nationalité burundaise sont ceux qui bénéficient du plus haut taux de protection et, en conséquence, de la sortie la plus rapide des centres d’accueil collectifs. Cécile Ghymers elle-même n’a connu que trois refus parmi ses clients, à chaque fois en raison du lien de ceux-ci avec le pouvoir burundais.
Actuellement, vu leur degré d’instruction élevé, leur persécution avérée au pays, et les retards de la procédure du CGRA (Commissariat Général aux Réfugiés et Apatrides) dont la longueur varie entre un et deux ans, les demandeurs burundais bénéficient d’une formule de procédure unique : l’envoi d’un questionnaire écrit débouchant sur une décision sans audition. Cette procédure ne débouche sur quasiment aucun recours, puisque la plupart des dossiers sont acceptés. Un état de fait qui place la Belgique au rang de pays ennemi aux yeux des autorités burundaises. Le séjour en Belgique des personnes est considéré comme suspect, ce qui rend risqué pour elles tout séjour ultérieur au Burundi.
Des facteurs facilitateurs d’intégration
Juliette Nijimbere, qui est aux commandes de l’asbl Ibirezy vy’uburundi, confirme le profil des demandeurs burundais qui sont, en majorité, des intellectuels privilégiés sur le plan financier en proie à des problèmes liés à leur position dans leur pays d’origine. Cette configuration de profil en fait, selon elle, des personnes porteuses de facteurs facilitateurs d’intégration. La plupart d’entre elles connaissent d’ailleurs la Belgique pour y avoir étudié, voire travaillé. Son association encadre et aide à l’intégration les enfants burundais issus de ces familles, en les amenant à la capacité de concilier leurs deux cultures. Il s’agit globalement de mettre en place un outil et un cadre d’intégration afin de donner à ces jeunes l’identité qu’ils/elles recherchent et ne trouvent pas, et de leur assurer de la sorte un bon ancrage dans la société belge.
Les principaux avantages des bénéficiaires de l’appui de l’asbl sont qu’ils/elles parlent déjà le français et possèdent souvent un bon diplôme, même si celui-ci se heurte régulièrement à des problèmes d’équivalence, avec le paradoxe que le système d’enseignement burundais est calqué sur le modèle belge et est encadré par de nombreux enseignants belges. Ces bénéficiaires font cependant face à des difficultés d’intégration multiples, parmi lesquels on peut citer leur décalage avec les us et coutumes belges, leur méconnaissance des procédures administratives, etc.
Particulièrement familiarisée avec cette population qu’elle côtoie majoritairement dans le Brabant wallon, Juliette Nijimbere tient à formuler quelques conseils à l’intention des personnes qui pourraient être mêlées à son accueil. Selon elle, il s’agit d’abord de personnes calmes et modérées auxquelles il convient de parler de travail et d’études. Il importe également de les familiariser avec le commerce et, notamment, avec la notion de prix fixes, alors que leur pratique est ancrée dans une habitude des prix négociés. Elle souligne enfin qu’une fois en Belgique, la majorité de ces personnes nées dans un tradition d’exode rural cherchent des logements dans des grandes villes (Bruxelles, Liège, etc.) et pas dans des villes plus petites jugées comme offrant moins d’opportunités.
Dominique Watrin