La diversité dans l’enseignement : entre constats d’inégalités manifestes et volonté de changement
Les experts sont d’accord, depuis plus années, pour affirmer de concert que, dans notre société, la période scolaire est un moment déterminant qui conditionne l’avenir de la plupart des individus. Et, parallèlement, de nombreux analystes tirent la sonnette d’alarme sur l’état de l’enseignement dans le contexte de crise multiple qui a cours aujourd’hui. C’est sur un angle particulier de cet état d’alerte que les trois centres régionaux d’intégration du Hainaut, le CeRAIC (Centre Régional d’Intégration de la région du Centre), le CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage) et le CRIC (Centre Régional d’Intégration de Charleroi) ont choisi de mettre le focus récemment en organisant, en compagnie de leurs trois homologues IBEFE (Instance Bassin Enseignement-Formation-Emploi), un colloque sur « La diversité en partage : constats et expériences dans les milieux scolaires ».
En point de mire de cette organisation figuraient les constats dressés par le Baromètre de la diversité dans l’enseignement établi sous l’égide d’Unia (Centre interfédéral pour l’égalité des chances) et les recommandations qui en découlent. Pour les professionnels de l’enseignement réunis autour de la question, cette journée était d’abord l’occasion de découvrir ou redécouvrir ce Baromètre conçu comme un état des lieux des critères « d’inégalité dans l’enseignement » protégés par la loi. Et, en complément d’approcher comment on lutte contre ces inégalités dans les établissements scolaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Un grand écart entre les établissements
La première étape de cette démarche a donc été la présentation des résultats les plus marquants du Baromètre de la diversité dans l’enseignement. Cet exposé a été assuré par Géraldine André, professeure à l’UCLouvain, qui est à l’origine du document produit à l’initiative d’Unia. L’intervenante a articulé sa présentation autour des trois parties du Baromètre. La première est l’état des lieux de la littérature portant sur la question, ainsi que les statistiques qui s’y rapportent. L’idée générale qui en ressort est que l’on se situe dans une perspective de compensation par rapport à la diversité des élèves et qu’il existe un grand écart entre les écoles qui accueillent traditionnellement des élèves issus de la diversité et celles qui n’en accueillent pas.
Plus concrètement, le taux de retard scolaire, de redoublement, de réorientation, de changement d’établissement vers des formes d’enseignement secondaires dévalorisées concerne plus les élèves d’origine étrangère que les Belges. Parmi les causes de cette situation, Géraldine André cite le fait que le système est dominé par l’orientation précoce et qu’on est dans une situation de quasi-marché scolaire. Elle épingle également qu’il n’y a pas de promotion de la diversité au quotidien en milieu scolaire, fait qui concorde avec le faible développement, au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de politiques éducatives visant la promotion de la diversité culturelle. D’autant qu’on se trouve dans un contexte éducatif d’enseignement ségrégatif, selon l’origine notamment.
La deuxième partie de l’exposé s’est intéressée à la gestion de la diversité à l’école, autrement dit aux politiques, pratiques et capacités de diversité dans les établissements scolaires. Tous critères confondus, il ressort de ce volet de l’étude que tant enseignants que directions d’école sont très favorables aux politiques d’école qui favorisent la diversité, même si, dans le secondaire, on a tendance à être plus strict que dans le fondamental. Plus précisément, il y aurait moins de mesures favorisant la diversité dans les écoles à indices socio-économiques élevés. Un simple exemple : plus il y a d’élèves non belges au sein de l’établissement, plus ce dernier essaie de se renseigner sur la situation socio-économiques des élèves.
Une dualisation des écoles
L’approche des enseignants à propos de trois thématiques confirme cette tendance générale, à savoir celles qui portent sur les signes religieux à l’école, sur la diversité linguistique et sur les partenariats. Les enseignants se montrent d’abord globalement favorables à l’interdiction des signes religieux extérieurs, même si on y est plus favorable dans l’enseignement libre confessionnel et plus strict dans les établissements à indices socio-économiques plus élevés. Les enseignants sont également peu favorables à l’usage d’une autre langue que le français dans l’établissement et, sur ce point, ce sont les écoles accueillant davantage d’élèves non belges qui sont les plus strictes sur l’usage du français dans leurs murs. Cette dernière position intervient, paradoxalement, alors que ce sont ces écoles à proportion d’élèves d’origine étrangère plus élevée qui ont le plus de probabilités de bénéficier des services d’interprètes.
Enfin, en termes de partenariats, les enseignants se disent peu favorables à développer des relations avec les parents d’origine étrangère en dehors de l’école. Une nuance s’impose cependant : l’accueil de cette idée est plus favorable dans les écoles d’enseignement qualifiant que dans l’enseignement de transition. Et, quand les écoles font face concrètement à la diversité, elles ont tendance à nouer plus de partenariats avec les associations. Il existe, en fait, une grosse dualité sur ce point. Si les écoles ne sont pas concernées, elles ne mettent rien en place ; si elles le sont, elles se débrouillent. Sur un plan plus général, on assiste à une dualisation, une « spécialisation » des écoles. Certaines d’entre elles se spécialisent dans l’accueil des élèves d’origine étrangère et d’autres se spécialisent dans la formation des « élites ».
L’évaluation influencée par l’origine de l’élève
La troisième partie du Baromètre, enfin, concerne l’orientation dans l’enseignement secondaire. Celle-ci se base sur l’analyse des données administratives et, particulièrement, sur la délivrance des attestations (A, B ou C). Le constat sur ce point est que beaucoup d’élèves à origine sociale élevée bénéficient d’attestations A. En termes de diversité de nationalités, le principe constaté est que les établissements comptant plus de population d‘origine étrangère délivrent davantage d’attestations C. Ceci peut être interprété comme signifiant qu’il y a un effet de l’origine immigrée des élèves sur la délivrance des attestations. Sur le plan des politiques et pratiques de remédiation vis-à-vis des élèves en difficulté, celles-ci sont particulièrement mises en place dans les écoles comptant une proportion importante d’élèves de nationalité étrangère. Dans l’enseignement de transition, l’accent est plus souvent mis sur la réputation de l’établissement lorsqu’on évalue l’élève en échec, alors que, dans l’enseignement qualifiant, c’est la situation de l’élève qui prime.
Dernier volet de l’analyse épinglé par le Baromètre : le test des vignettes techniques. Ces vignettes sont des courtes descriptions de situations hypothétiques mais réalistes de conseils de classe. Ces vignettes ont été proposées à des panels d’enseignants dans le but de déterminer l’influence des critères protégés par la loi (origine ethnique, genre…) sur l’évaluation. Un constat est que les enseignants ne répondent pas de la même façon selon le nom de l’élève (qui atteste de son origine), alors que sa situation est identique (mêmes résultats, même moyenne, etc.).
Dans l’enseignement général, on délivre clairement des attestations différentes suivant l’origine. Et les éléments de justification de cette différence de traitement sont étonnants. Du côté des non Belges discriminés, on parle de la réputation de l’école, des faibles résultats obtenus et de la famille de l’élève, alors que, du côté des élèves belges favorisés, le verdict favorable en cas de faibles résultats est argumentée par le soutien que l’élève peut recevoir à la maison. Globalement, ce test démontre, selon Géraldine André, la persistance de stéréotypes à l’égard des populations d’origine immigrée. Il s’agit, dès lors, pour elle, de réfléchir sur l’importance d’une formation à la diversité à l‘intention des enseignants afin de déconstruire ces stéréotypes.
Combattre les discriminations structurelles
Face à ces constats, la tâche du deuxième intervenant, Michel Vanderkam, chef du service local francophone d’Unia, était de formuler ou reformuler des recommandations à l’adresse du secteur scolaire. Celles-ci concernent des interrogations sur les discriminations structurelles (donc pas individuelles) au niveau du fonctionnement du système, autour des critères protégés par la loi. Le principe majeur développé par le représentant d’Unia est celui de l’enseignement inclusif vis-à-vis des enfants porteurs de certaines caractéristiques.
Historiquement, quatre principes se sont succédés ou ont cohabités dans l’enseignement autour de ces enfants : l’exclusion du système scolaire, la ségrégation (la mise dans un système à part, en dehors du système général), l’intégration (mise en place de nouvelles méthodes, mais l’élève reste identifié par ses caractéristiques) et l’inclusion (faire sauter les verrous en établissant que, quelles que soient ses caractéristiques, l’élève a sa place dans le système). Cet objectif de l’enseignement inclusif, Michel Vanderkam le présente comme une vision à long terme qui implique des changements, ainsi qu’une réflexion et une orientation à tous les niveaux.
Dans ce cadre, ses recommandations sont de lutter contre la ségrégation scolaire, faire de l’orientation un choix positif, prévenir les situations de harcèlement, soutenir le corps enseignant et porter une attention aux public particuliers. Concernant la lutte contre la ségrégation scolaire, il s’agit notamment d’instaurer une procédure d’inscription qui corrige l’inégalité et contribue à la mixité scolaire. Il s’agit également de soutenir les actions scolaires visant à appréhender la diversité des élèves, notamment au niveau de la formation initiale et du travail quotidien des enseignants. Sur le plan de l’orientation scolaire positive, l’idée serait d’établir un tronc commun et de lutter contre les préjugés et stéréotypes dans deux axes : en être conscient et être conscient de leur influence. Il convient également de renforcer la capacité de délibération des conseils de classe, via notamment la création et la fourniture d’outils pour objectiver celles-ci et les rendre objectivables.
En ce qui concerne le harcèlement, à l’heure où une étude vient de révéler qu’un élève sur trois affirme y avoir été confronté au cours de sa scolarité, l’intervenant recommande la mise en place d’une formation pour détecter et réduire ce fléau qui touche les plus vulnérables. Enfin, sur la problématique des relations avec les parents, la question est, selon Michel Vanderkam, de déterminer comment l’école crée ce contact. Il est, par ailleurs, primordial, pour lui, d’avoir une attention toute particulière pour des publics ayant une caractéristique très spécifique comme les élèves primo-arrivants (dont certains ont vécu l’horreur avant d’arriver dans notre pays) et les « enfants du voyage », essentiellement roms.
Dominique Watrin