La lutte contre les discriminations en Wallonie : les chiffres marquants d’une année 2020 mouvementée
Chaque année, le rapport annuel d’Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, est attendu par les intervenants du secteur, tant institutionnels qu’associatifs, qui y trouvent un aperçu de l’état des lieux du pays en matière de discriminations enregistrées au cours de l’exercice écoulé. L’édition 2020 de cette année n’a pas échappé à la règle. Et ce rapport général a donné lieu à un rapport complémentaire, portant sur la seule Wallonie, présenté récemment lors d’un webinaire. Avec toujours le même condensé de données et de pistes de travail qui distillent un message oscillant entre perspectives d’espoir et nécessité de vigilance.
De l’aveu de son chef du service local francophone, Michel Vanderkam, la commune est l’acteur incontournable de la lutte contre les discriminations, un intervenant qui bénéficie tout à la fois des compétences nécessaires et de la proximité indispensable avec les citoyen(ne)s et les acteurs de terrain. Unia dispose, de son côté, d’un service local de six personnes qui travaille sur la Wallonie. Ces personnes sont réparties en binômes qui couvrent le territoire wallon par province, assurant le travail au départ de quatre bureaux mis à leur disposition à Mons, Charleroi, Namur et Liège, auxquels s’ajoutent des locaux mis ponctuellement à leur disposition.
Les trois missions complémentaires d’Unia
La première tâche du service local francophone d’Unia est le traitement des signalements individuels de discriminations. Les personnes concernées sont toutes celles qui s’estiment victimes ou qui sont témoins d’une discrimination, ou simplement qui recherchent des renseignements sur le sujet. La première étape est d’écouter ces personnes et d’analyser avec elles s’il s’agit bien d’une forme de discrimination au sens de la loi, et si Unia est compétente pour intervenir dans cette situation. Dans le cas où Unia est compétente, le service local cherche toujours une solution qui passe par le dialogue et la conciliation. Si la discrimination est avérée, une résolution du problème est recherchée, avec une éventuelle indemnisation de la victime. En cas d’échec de cette conciliation, Unia peut ester en justice, mais cela ne représente que moins d’un pourcent des dossiers.
La deuxième mission d’Unia est d’informer, sensibiliser et former : faire connaître la législation anti-discrimination, promouvoir la lutte contre les stéréotypes et les préjugés, et promouvoir la mise en œuvre des aménagements raisonnables. Toutes ces actions sont effectuées en les reliant sur le plan local. Le service local participe aussi aux campagnes et aux activités menées par les partenaires locaux. Enfin, la troisième mission est celle du plaidoyer qui consiste à inciter les autorités locales à inscrire la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité des chances à leur agenda politique.
Une diminution du nombre de signalements
En 2020, Unia a reçu un total de 1200 signalements pour la Wallonie, sur un total de 9466 signalements à l’échelle nationale. C’est une légère diminution par rapport à 2019 au cours de laquelle 1312 signalements ont été comptabilisés. Cette baisse peut s’expliquer par les différentes périodes de confinement et l’arrêt de certaines activités. Par province, ce total se subdivise (par ordre de grandeur) en 35% pour le Hainaut, 30% pour Liège, 13% pour Namur, 12% pour le Brabant wallon et 5% pour le Luxembourg, pourcentages auxquels s’ajoutent 5% de dossiers non localisables. Dans le top 3 des domaines concernés par les signalements, on retrouve les biens et services comprenant le transport, le commerce, l’Horeca, les services financiers et le logement (35%), l’emploi (21%) et ex-aequo la vie en société et l’enseignement (12% chacun).
Au cours des dernières années, il y avait eu une augmentation du nombre de signalements, mais avec des différences par domaine. De 2019 à 2020, une augmentation a été observée au niveau des biens et services (de 344 à 416, soit +21%), mais une diminution importante est apparue tant dans le domaine du travail et de l’emploi (de 325 à 249, soit -23%) que dans celui de l’enseignement (de 251 à 143, soit -43%), des différences largement attribuées à la crise sanitaire.
Au niveau du top 3 des critères de signalement, on retrouve sans surprise les critères dits « raciaux » qui comprennent la race, la couleur de peau, la nationalité, l’ascendance et l’origine nationale et ethnique (24%), suivi directement par le handicap (23%) et la fortune, c’est-à-dire la capacité financière réelle d’une personne (10%). Ce trio est globalement identique à celui de 2019 au cours de laquelle c’était cependant le handicap qui dominait ce classement. Le nombre de signalements pour lesquels Unia n’est pas compétent s’élevait à 16% en 2020.
Le logement en tête des domaines en point de mire
La hausse en termes d’ouvertures de dossiers constatée au cours des années précédentes ne s’est pas confirmée en 2020. Ce chiffre est passé de 561 en 2019 à 529 en 2020, soit 24% de l’ensemble des dossiers ouverts par Unia à l’échelle nationale. Les provinces du Hainaut et de Liège restent toujours en tête sur ce plan. Les domaines les plus concernés sont les biens et services (43%), l’emploi (23%) et l’enseignement (13%). Dans le top 3 des critères d’ouverture des dossiers en Wallonie, on retrouve dans l’ordre le handicap (30%), les critères « raciaux » (21%) et la fortune (14%). Ces chiffres sont différents de ceux enregistrés au niveau national où apparaissent d’abord les critères « raciaux », suivis du handicap et des convictions religieuses et philosophiques.
Au sein des biens et services, le premier domaine de discrimination signalé en Wallonie est le logement (52%), bien loin devant le commerce (19%), la santé et l’aide aux personnes (8%) et le transport (6%). Et, en ce qui concerne ce sous-domaine du logement, c’est la question de la fortune qui est prédominante (53%), devant les critères « raciaux » (12%), mais ce dernier chiffre ne reflète pas totalement la réalité de terrain, des études récentes montrant que ces critères « raciaux » restent fort problématiques en Wallonie. Au niveau de l’emploi (recrutement, licenciements abusifs, refus de promotion, accès aux formations, relations avec les collègues et la hiérarchie, etc.), deuxième domaine de discrimination, c’est le handicap qui est le premier critère de signalement (28%), devant les critères « raciaux » (18%). Enfin, au niveau du troisième domaine qu’est l’enseignement, les premiers critères de signalement sont le handicap (52%), devant les critères « raciaux » (17% parmi lesquels la majorité concerne les décisions des conseils de classe ou des faits de harcèlement), auxquels s’ajoute la conviction religieuse ou philosophiques (10%).
Un « testing » de la discrimination au logement
Sur le plan de l’origine, le service local d’Unia a été invité par la Ville de Gand à découvrir leur outil, « testing », qui est un projet de lutte contre les discriminations dans le domaine du logement. Trois villes de Wallonie se sont montrées intéressées par cette présentation : Namur, Liège et Verviers. Le but de cette étude était d’objectiver l’état de discrimination. L’outil gantois se subdivise en trois phases : la phase de testing proprement dit, la phase médiatique de sensibilisation, et la phase de prévention et de sensibilisation des agents immobiliers. À Gand, il en est ressorti que 26% des agents immobiliers discriminaient sur base de l’origine. S’en est suivi une campagne de sensibilisation médiatique, lancée par la Ville de Gand, qui a permis de réduire ce taux de discrimination de 26 à 10%.
Le fait d’organiser des rencontres sur ce thème s’est donc annoncé comme bénéfique. Les trois villes wallonnes se sont, dès lors, vues entre elles, sous la houlette d’Unia, pour échanger sur le sujet et déterminer quelle peut être l’influence d’une autorité locale pour lutter contre les discriminations dans le secteur du logement. Sur cette base s’est constitué le groupe de travail de lutte contre les discriminations, en collaboration avec les villes wallonnes.
En 2020, un testing mené par des chercheurs de la VUB s’est penché sur les villes de Mons, Charleroi, Namur et Liège. L’objectif était de voir si un traitement différent était observé lors de demandes de visite de logements. Un total de 1109 tests de correspondance ont été effectués dans ce cadre. Le résultat constaté est qu’en Wallonie, les candidats ayant un nom à consonance étrangère sont discriminés dans 28% des cas par rapport à des candidats présentant un nom à consonance belge. Cette étude a aussi mis en évidence le fait que les agents immobiliers (20%) discriminent moins que les propriétaires privés (43%).
Ce type d’étude permet d’attirer l’attention des autorités locales sur la nécessité de mettre en place des mesures. Le groupe de travail des villes wallonnes (les quatre précitées auxquelles s’ajoutent désormais Verviers, Bastogne et Tournai) s’est donc attelé à échanger sur les bonnes pratiques de lutte contre les discriminations et à poursuivre un travail de réflexion pour amener les villes à mettre en œuvre des actions en fonction de leurs besoins, spécificités et ressources.
Une mobilisation de la communauté belge d’origine africaine
En termes de plaidoyer, en 2020, l’actualité a mobilisé la communauté belge d’origine africaine. Le focus s’est notamment braqué, sur le plan international, sur la situation des migrants en Libye et leur vente comme esclaves, sur l’assassinat de George Floyd et sur les 60 ans de l’indépendance du Congo. Au niveau national, il s’est essentiellement centré sur le procès des policiers impliqués dans la mort d’un jeune homme lors de son expulsion de son logement, sur le dossier du retour au pays des restes de Patrice Lumumba toujours retenus par la Belgique, ainsi que sur la mise en place de la commission parlementaire sur le passé colonial de la Belgique.
Dans ce contexte, les villes et communes ont fait face à des revendications de plus en plus appuyées dont la suppression de certains personnages du folklore, la modification de noms de rue à la gloire d’esclavagistes et de colons, le retrait des statues de ces derniers de l’espace public et la présentation d’œuvres dans certains musées africains. Le service local d’Unia a été associé à des réflexions et des séances d’information ont été menées dans ce cadre. Un rapport « carnaval » a notamment été rédigé avec, pour propos, d’objectiver la question de la liberté d’expression et de la dissocier des émotions souvent très vives qui enveloppent cette thématique.
Dominique Watrin
Le webinaire d’Unia peut être revu dans son intégralité via le lien suivant :