Là où le soleil ne brûle pas : un roman pour donner une incarnation humaine à l’approche scientifique du drame migratoire
« C’est l’histoire d’Abdou, Marie, Tarik et Ramatou, en fuites, en espoirs, en rêves. Des vies ordinaires ou presque. Des vies chamboulées au gré des vagues, au gré du vent. Venus d’Afrique de l’Ouest, réunis par les hasards de leur existence sur le même bateau entre la Libye et l’Italie. Aux prises avec les mêmes peurs, les mêmes espérances. » C’est par ces mots que le roman « Là où le soleil ne brûle pas » qui vient de paraître se présente aux lecteurs.
Côté pile, Jacinthe Mazzocchetti est docteure en anthropologie et professeure à l’UCLouvain dans cette discipline. Côté face, elle est auteure et vient d’ajouter à sa bibliographie ce nouvel ouvrage de fiction inspiré de son parcours scientifique. Un livre qui donne une dimension éminemment humaine à la réalité vécue par les migrants venus d’Afrique, comme a pu le constater le public qui a assisté à la présentation du livre co-organisée par le CRILUX (Centre Régional d’Intégration de la province de Luxembourg) et le Service du Livre Luxembourgeois.
« Là où le soleil ne brûle pas », ce sont donc quatre personnages principaux qu’on suit et qui vont se rencontrer sur le chemin de la migration. Il y a d’abord Abdou, le jeune Malien qui quitte ses terres sans rêver d’Europe. Il y a ensuite Marie, une jeune femme seule avec son bébé, qui fuit la guerre en Côte d’Ivoire. Il y a aussi Tarik, jeune intellectuel burkinabé qui a combattu le régime dans son pays, diplômé sans travail qui porte un regard lucide et cynique sur la réalité de son pays, un homme à la vision critique, ce qui en fait un peu le personnage central du livre. Enfin, il y a Ramatou, une jeune burkinabé qui vit à la rue depuis l’âge de 13 ans, la seule à vraiment rêver de l’Eldorado européen en raison de la dureté de son histoire personnelle.
Des émotions accumulées
Jacinthe Mazzocchetti connaît bien l’Afrique occidentale où elle a vécu et où elle s’est rendue régulièrement dans le cadre de ses recherches. Son roman s’enracine dans son vécu et dans ses séjours dans les îles maltaises, autre itinéraire migratoire vers l’Europe que celui entre la Libye et l’Italie, où elle a rencontré des rescapés de naufrages en Méditerranée. Ce livre, elle a mis trois ans à le rédiger, s’imposant un devoir d’exactitude qui l’a poussée à mener différentes recherches complémentaires, par exemple sur le contexte libyen. Ce livre, elle l’a nourri de ses recherches, de ses voyages, mais aussi des émotions accumulées. Et elle a profité de la toute-puissance de l’auteur de fiction sur l’histoire qu’il conte pour valoriser d’une manière différente l’acquis accumulé, pour traiter celui-ci différemment que de la manière froide qui prédomine dans l’approche scientifique de la chercheuse qu’elle est.
La force du récit de Jacinthe Mazzocchetti est que les parcours de vie qu’il raconte ont beaucoup plus de puissance ensemble qu’ils n’en auraient eue s’ils avaient été contés séparément. Il s’agit d’histoires différentes, de rêves différents, d’espoirs différents, de chemins différents qui se croisent. Certaines personnes qui ont inspiré ce livre étaient des survivants de la guerre, d’autres de la pauvreté, mais tous étaient des survivants de la traversée. Cette traversée vécue unanimement comme un drame. « Pour ces gens, il est presque impossible de mettre des mots sur le naufrage, explique l’auteure. Impossible également de parler des personnes mortes pendant la traversée. Leur discours est toujours : « La traversée, on ne peut en parler qu’avec les gens qui étaient avec nous sur le bateau. » Tellement ils ont été loin dans la détresse et la déshumanisation… »
S’inviter dans la vie des lecteurs
L’écriture de Jacinthe Mazzocchetti est cinématographique, alliant odeurs, sons, rythmes et couleurs. Son écriture est également poétique, une caractéristique qui adoucit les tensions dramatiques et les moments violents qui jalonnent le récit. Parce que, comme l’auteure le précise, elle a besoin d’oralité, de musicalité, elle a besoin que les mots chantent… L’écriture est donc très littéraire, alors que le fond est très politique. Le titre de son ouvrage synthétise à ses yeux ce que l’on fuit et que l’on espère quand on est migrant. Son livre est, pour elle, une ode au courage de ces femmes et hommes, de ces héroïnes et héros contemporains qui tantôt fuient des fléaux comme la pauvreté ou la criminalité quotidienne, tantôt se rêvent ailleurs.
« Là où le soleil ne brûle pas » se veut aussi source de débat. Ce faisant, il répond concrètement à plusieurs questions. Comment remettre de l’émotionnel au cœur d’un débat ? Comment travailler sur d’autres formats à partir de recherches scientifiques ? Ces interrogations ont poussé l’auteure à intégrer un cours d’« anthropologie et littérature » dans sa faculté universitaire, un cours qui pousse au questionnement sur la transmission et sur la place de la littérature et de l’émotion. Un cours qui amène aussi la littérature sur la scène universitaire. « Je fais notamment lire de grands auteurs africains, détaille Jacinthe Mazzocchetti. En espérant que ces histoires vont s’inviter dans la vie des lecteurs. » Gageons qu’il en ira de même pour son roman…
Dominique Watrin
Là où le soleil ne brûle pas, Jacinthe Mazzocchetti, 138pp., Éditions Academia L’Harmattan, 2019.