Le CIRÉ plaide pour une révision du modèle d’accueil en Belgique
Le CIRÉ est un des protagonistes de la délicate question de l’accueil des migrants qu’il n’est plus trop besoin de présenter. Selon son acronyme, cet organisme créé en 1954 a pour objet les « coordination et initiatives pour réfugié.e.s et étranger.e.s ». Dans les faits, cette structure pluraliste réunit des organismes comme des services sociaux d’aide aux demandeurs d’asile, des organisations syndicales, des services d’éducation permanente et des organisations internationales, avec pour objectif de réfléchir et d’agir sur les thématiques qui la préoccupent. C’est dans le cadre de cette mission que le CIRÉ a rédigé, en décembre dernier, un document d’une douzaine de pages qui lance un cri d’alarme sur la « crise de l’accueil des demandeur.euse.s d’asile ».
Le dossier du CIRÉ est sous-titré « Une histoire sans fin », quatre mots à travers lesquels les observateurs peuvent sentir poindre un agacement à peine voilé, voire une réelle colère. Pour la coordination, c’est en septembre dernier que la situation qui était déjà précaire a commencé à dysfonctionner gravement. Les portes du centre d’accueil (celui qu’on appelle toujours « le Petit-Château ») ont fermé plus tôt dans la matinée pour limiter les entrées dans le réseau d’accueil qui frisait la saturation. Le mois suivant, la situation s’est encore dégradée, les portes du centre d’accueil ne laissant désormais plus entrer qu’un nombre limité de personnes, avec une priorité pour les personnes les plus vulnérables comme les MENA (Mineurs Étrangers Non Accompagnés). Résultat : un nombre croissant de personnes, essentiellement des hommes isolés, se sont retrouvées dans l’impossibilité de faire enregistrer leur demande d’asile et/ou de recevoir l’accueil de la part de Fedasil alors qu’elles y ont droit, une situation largement médiatisée à l’époque. Enfin, une nouvelle dégradation de la situation est intervenue en décembre lorsque, cette fois, des MENA se sont vus, pour la première fois, refuser l’accueil.
Des raisons objectives… et une mauvaise gestion
D’après le rapport, la capacité du réseau d’accueil des demandeur.euse.s d’asile organisé par Fedasil et ses partenaires s’élève aujourd’hui à 28.700 places réparties dans plus de 80 centres collectifs, complétés par des logements individuels gérés par des CPAS et des associations. Le taux d’occupation de ces hébergements, très variable d’un mois à l’autre, oscille entre 95 et 97%, avec des pointes à 99%, alors que l’état de saturation est décrété dès la barre des 94% atteinte. Tant Fedasil que le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration reconnaissent le problème qu’ils expliquent par différents facteurs. Parmi ceux-ci, on retrouve la chute du nombre de places en Wallonie (liée notamment à l’hébergement des sinistrés des inondations), l’augmentation du nombre d’arrivées, la diminution du nombre de sorties du réseau due à la longueur de la procédure d’accueil, les places d’accueil bloquées par l’isolement des personnes touchées par la pandémie de Covid, etc.
Le CIRÉ estime néanmoins qu’à côté de ces raisons objectives, c’est surtout la mauvaise gestion du réseau d’accueil qui est à l’origine de la crise actuelle. Cette mauvaise gestion se caractérise par la fermeture de milliers de places d’accueil dès que le flux d’arrivées de demandeur.euse.s baisse sous la barre des 85% et par le licenciement de personnel qualifié. Et, dès que la saturation réapparaît, la réponse apportée est une réouverture de places en urgence, alors que les bâtiments ne sont pas ou plus adaptés et qu’un encadrement de qualité est à reconstituer. Une situation à laquelle s’ajoute une mauvaise anticipation des flux d’entrée et des demandes d’accueil, ainsi qu’un manque de places tampons et de flexibilité du réseau d’accueil.
Un modèle à revoir
À la fin de l’été 2021, le gouvernement fédéral avait pourtant décidé de créer pas moins de 5400 places tampons. Depuis lors, Fedasil recherche activement des bâtiments pour accueillir dans des conditions dignes les personnes qui constituent les flux actuels. Des nouvelles places sont ainsi progressivement créées sur le territoire, mais cette création est difficile et lente. La procédure est souvent ralentie par la sécurisation des sites, par la mise en conformité de leurs installations sanitaires ou tout simplement par la réticence des populations et autorités locales. La situation sur le terrain reste donc particulièrement chaotique.
Force est dès lors de constater, selon le CIRÉ, que l’État belge n’assure pas son obligation d’enregistrer et d’accueillir les demandeur.euse.s, alors que le droit d’asile et le droit à l’accueil sont des droits fondamentaux. Tant le secrétaire d’État chargé de la question que le gouvernement fédéral restent sourds à la demande d’héberger provisoirement des demandeur.euse.s d’asile dans des hôtels directement via Fedasil ou de s’adresser à des CPAS sur base d’une saturation du réseau d’accueil. Pour le CIRÉ, de ce fait, l’État viole là la fois les droits belge et européen en matière d’asile et d’accueil. Laisser des personnes à la rue, faute de leur attribuer une place d’accueil est considéré comme un traitement inhumain et dégradant.
Cette crise de l’accueil apparaît comme un phénomène récurrent en Belgique depuis plus de dix ans. Le CIRÉ rappelle qu’au cours des dernières années, il a dû introduire plusieurs recours en justice, en compagnie d’autres organisations, contre des instructions et des pratiques illégales de l’État en matière d’accueil. Pour lui, « ce manque de bonne gestion de l’accueil est un jeu cynique et indigne » et « son coût humain est inestimable ».
Pour la coordination, l’État doit être en capacité de faire face à ses obligations, quel que soit le contexte. C’est lui qui a opté pour un « nouveau modèle » d’accueil dans lequel les personnes sont placées essentiellement dans des structures d’accueil collectives pendant toute la durée de la procédure d’asile. Face à ce choix, le CIRÉ a, à plusieurs reprises, insisté sur la plus-value de l’accueil en structure individuelle ou, du moins, à petite échelle, une formule qui permet à la fois un accueil plus digne et une gestion plus souple du réseau d’accueil.
Le CIRÉ estime, en outre, que les crises successives de l’accueil et la saturation quasi permanente du réseau indiquent qu’il existe un problème structurel. De même, le dysfonctionnement du réseau montre que son modèle est à revoir. Face aux choix politiques qu’il rejette (réformes législatives, divergences de vue entre partis, etc.), le CIRÉ plaide pour un « autre » modèle d’accueil en même temps adapté aux besoins des demandeur.euse.s de protection et respectueux des travailleur.euse.s de l’accueil. Un modèle « flexible et pérenne »…