Le FLE en entreprise, une formule à l’origine de meilleures performances en matière d’insertion socioprofessionnelle
L’apprentissage et la maîtrise de la langue du pays d’accueil est une étape essentielle et incontournable dans l’insertion socioprofessionnelle de tout migrant. Sur le territoire de La Wallonie, cette réalité s’applique très logiquement aux personnes dont le français n’est pas la langue maternelle et qui sont parfois faiblement scolarisées. Différentes initiatives sont menées pour accélérer ce volet de leur insertion en inscrivant cet apprentissage directement dans le parcours professionnel. C’est aux expériences de ce type, ainsi qu’à leur analyse, que le CRIPEL (Centre régional d’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège) a consacré récemment une matinée thématique basée sur le travail mené sur son territoire régional. Au programme : des exemples de démarche pédagogique et un rappel des points fondamentaux à prendre en compte dans le domaine.
Les exemples en matière de FLE (Français Langue Étrangère) lié au monde professionnel ne manquent pas en Wallonie. En région liégeoise, plusieurs acteurs s’y investissent depuis plusieurs années. Pour illustrer le propos de sa matinée, le CRIPEL a donné la parole à deux d’entre eux : le centre d’information et d’orientation CLF (Centre Liégeois de Formation) et le centre d’insertion socioprofessionnelle Step Métiers.
Le FLE comme vecteur général d’intégration
Le CLF a tenu, pour sa part, à relayer le récit d’une expérience menée avec la firme de gardiennage Protection Unit. Ce projet visait l’acquisition des codes du secteur de l’accueil et du « stewarding » à travers l’apprentissage du français. La grille de formation comprenait des cours de FLE orientés sur le métier et le secteur, des cours spécifiques dans le centre de formation du partenaire (secourisme, gestion de conflits, accueil clients, communication talkie walkie, etc.) et des techniques de recherche d’emploi. Dans le volet FLE, le programme mettait l’accent sur le travail de la langue à l’oral, le travail des différents registres de langue, le vocabulaire professionnel, les expressions spécifiques au monde du travail (comme, par exemple, « mettre les bouchées doubles », « C’est dans mes cordes »…), etc. La vision du CLF est d’envisager le FLE comme un vecteur général d’intégration. La langue est travaillée pour tout ce qui entoure le fait d’entrer en relation, de communiquer au sens large, pour pouvoir décrocher et conserver un emploi, mais également pour se sentir à l’aise dans le contexte professionnel.
Centre d’insertion socioprofessionnelle, Step Métiers a, lui, pour objet la formation et l’insertion socioprofessionnelle de personnes adultes peu qualifiées et en difficulté. Initialement créé pour favoriser l’emploi de femmes précarisées, il s’adresse aujourd’hui à un public mixte et propose des formations dans sept secteurs : deux filières EFT (l’Horeca, ainsi que la couture et les métiers connexes) et cinq filières DéFI (dans les domaines de l’aide-ménagère, du bâtiment et des services connexes, de la recherche et la définition d’un projet professionnel, du français langue étrangère, et de la préformation pour aide soignante et aide familiale). Parmi ces dernières, la filière de définition d’un projet professionnel se décline en deux modules. Le premier associe la recherche et la définition du projet de formation, avec une mise en situation par des stages en entreprise. Le second jumelle français-métiers et découverte du projet professionnel pour non francophones, avec aussi une mise en situation par des stages en entreprise.
Une maîtrise de la communication plutôt que de la langue
Invité à poser son regard d’expert sur la thématique du jour, Altay Manço, directeur scientifique de l’IRFAM (Institut de recherche, Formation et Action sur les Migrations), s’est attelé à évoquer de façon pragmatique « L’impact des cours de langue du pays d’accueil sur l’insertion socioprofessionnelle des migrants ». Il a d’abord rappelé l’évolution de l’apprentissage de la langue française aux migrants qui a aujourd’hui partiellement délaissé les cours généralistes traditionnels jugés comme trop longs (avec une érosion des compétences et une mutation des souhaits des apprenants) au profit d’une formule de mise à l’emploi avec apprentissage linguistique considérée comme plus performante. Derrière cette vision émergente mais déjà bien installée se cache l’idée que ce n’est pas la maîtrise de la langue proprement dite qui importe, mais la maîtrise de la communication, une communication orale et écrite usuelle.
Pour les migrants, cette vision implique de se faire comprendre, pas de maîtriser la langue, quitte, si nécessaire, à utiliser éventuellement plusieurs langues. En, dans cette perspective, le contexte importe énormément. On ne communique pas de la même manière dans un salon que dans un atelier de couture ou de carrosserie. Il est, dès lors, primordial pour les acteurs FLE d’avoir un contact avec les entreprises pour établir un diagnostic de leurs besoins en matière de communication, une démarche trop rarement effectuée, selon l’expert. Dans leur visée pédagogique, les cours de FLE mettent l’accent sur la simplification des documents, alors que, dans son fonctionnement, l’entreprise utilise déjà des documents simplifiés authentiques à l’adresse de son personnel.
Remettre l’apprentissage dans son contexte
Pour Altay Manço, c’est le contexte réel qui est maître dans le processus d’apprentissage. Les acteurs du secteur FLE ne possèdent que l’ingénierie de formation et de communication. De leur côté, les apprenants ont des niveaux différents de maîtrise de la langue, avec des besoins et des objectifs variables, le contexte de la boulangerie étant, par exemple, très différent de celui du jardinage en termes de vocabulaire. Selon le directeur scientifique de l’IRFAM, l’idéal pour que le secteur progresse est que chaque structure de formation se spécialise en fonction de ses préférences de sorte qu’il n’y ait pas de concurrence mais une synergie systémique qui permette de répondre au défi de faire travailler des gens qui parlent à peine le français, avec l’appui de partenaires comme le Forem et les différentes structures d’orientation.
Altay Manço relève à ce propos que l’insertion qualitative recueille des résultats très satisfaisants. Remettre l’apprentissage dans son contexte aboutit, selon ses dires, à des résultats très satisfaisants, avec moins d’absentéisme, plus d’implication, etc. À l’opposé, l’aspect négatif de cette formule est que les personnes soient considérées comme des travailleurs gratuits parce qu’émargeant à une formule d’Article 60, 61, etc., ce qui a pour conséquence qu’elles se démotivent et stagnent dans leur apprentissage parce qu’elles se sentent exploitées. Face à ce risque, les professeurs de FLE doivent jouer le rôle d’« intermédiateur » avec l’employeur et rappeler sans cesse que les personnes sont en apprentissage.
Développer le regard « business » des acteurs FLE
Pour l’intervenant, le secret de la réussite de la formule se situe dans les allers et retours constants entre les apprenants et les entreprises qui ne sont pas là pour faire de l’humanitaire, mais du business. À ses yeux, il faut, dès lors, que le secteur FLE développe son vocabulaire d’entreprise et son regard « business ». Il s’agit là pour lui d’une forme de réinvention des métiers du FLE qui est en cours. Et de rappeler que le FLE généraliste donne certes des atouts, mais que les études démontrent qu’il n’a pas d’effet direct sur l’emploi. A contrario, le FLE en entreprise a, lui, des effets positifs sur la mise à l’emploi, avec plus ou moins 50% des personnes qui décrochent CDD, stages, etc.
Dans la foulée, Altay Manço tient à faire passer le message que les acteurs du FLE doivent rappeler qu’ils ne travaillent pas pour les immigrés, mais pour les employeurs. Face à des secteurs économiques en manque de travailleurs, ils œuvrent à une insertion durable de personnes à travers une mise en relation entre apprenants et entreprises, une approche qui va à l’encontre d’une certaine vision xénophobe existante. La diffusion de ce message devrait faire en sorte que l’entreprise va progressivement considérer cette filière comme une nouvelle filière de recrutement, malgré le manque initial d’expérience et de maîtrise de la langue de ces individus. L’accompagnement humain de la personne, avec l’appui de tuteurs et de médiateurs, est essentiel à cet effet.
Dominique Watrin