Le projet FRERO’S à Mouscron : la prise en charge pluridisciplinaire au service de la détection précoce de la radicalisation
Plusieurs années après la vague de départs de jeunes Belges en Syrie et les attentats meurtriers qui ont fait trembler tout le pays, la problématique de la radicalisation des jeunes reste dans le collimateur des intervenants sociaux. À Mouscron, à l’initiative de la Ville, est né le projet FRERO’S (Formation Réseau Échange Radicalisme Orientation Solidarité). Pour mieux faire connaître, auprès du monde institutionnel et associatif local, à la fois ce projet et la thématique face à laquelle il s’inscrit, une journée d’échanges a été récemment organisée sur place. Cette journée intitulée « Le projet FRERO’S : Tu connais ? » a été l’occasion de cerner les contours d’une problématique qu’il convient de ne pas banaliser.
FRERO’S est une équipe pluridisciplinaire qui a été mise en place en 2016 pour répondre à l’évolution des problématiques en lien avec la radicalisation violente, les extrémismes et l’impact que ceux-ci engendrent sur notre société. La création de ce projet par les autorités mouscronnoises a concrétisé leur volonté de développer des projets pour lutter contre ces phénomènes. Conçu à la fois pour les citoyens, les jeunes et les professionnels, FRERO’S se développe autour de trois axes. Le premier est de susciter le débat au sein de la population en général et auprès des jeunes en particulier. Le deuxième est la formation des travailleurs de première ligne, c’est-à-dire de l’administration et des partenaires directs. Le troisième est la formalisation de la mise en réseau, à la fois aux niveaux local et supra-local.
Détection précoce et suivi individualisé
Sur le plan concret, le projet a été à la base de représentations théâtrales (notamment de la pièce « Djihad ») accompagnées de débats, d’animations dans les écoles et en dehors de celles-ci, et de projections de reportages. Il a également été à la manœuvre de l’organisation de formations, notamment autour de la radicalisation violente. Enfin, il a collaboré à la mise en place de la table opérationnelle de la CSIL (Cellule de Sécurité Intégrale Locale) mouscronnoise regroupant police, CPAS, animateurs sportifs, gardiens de la paix, etc., mais aussi à la création d’une table de travail et de concertation au niveau scolaire, et à la préparation d’un workshop pour les villes de l’eurométropole, en partenariat avec la ville de Tournai toute proche. Agissant à côté du système répressif, ce projet de prévention spécifique développe une approche globale nécessaire du phénomène, réunissant le secteur socio-préventif, la police et la justice, avec, en filigrane, une question centrale : comment faire coopérer les services répressifs et préventifs, de manière optimale, sur les thématiques du radicalisme et des extrémismes violents ?
Cette approche multidisciplinaire est travaillée au sein de la CSIL-R (Cellule de Sécurité Intégrale Locale – Radicalisme), créée par circulaire ministérielle dans une série de villes. Cet organe est une plateforme au sein de laquelle a lieu une concertation visant à prévenir des infractions terroristes. Il vise à lutter contre la radicalisation violente en détectant, de manière précoce, des personnes se trouvant dans ce processus de radicalisation. En plus de cette détection précoce, un parcours de suivi individualisé peut y être élaboré sur la base des informations recueillies.
La CSIL-R se compose de deux plateformes de concertation appelées « tables » : une table stratégique et une table opérationnelle. Pour faire bref, la première, articulée autour du bourgmestre, regroupe des acteurs socio-préventifs locaux qui se chargent d’élaborer l’« architecture » de la table opérationnelle, et d’affiner les stratégies et priorités locales. La seconde a pour objectif de détecter précocement les situations, de procéder au suivi individualisé des personnes et situations, et de constituer un point de contact privilégié.
Un processus de changement cognitif et comportemental
Karin Herremans, directrice de l’Athénée Royal d’Anvers et ambassadrice du RAN (Radicalisation Awareness Network, soit, en français, le réseau de sensibilisation à la radicalisation) pour la Belgique, a rappelé au cours d’un exposé intitulé « Comment faire face à la polarisation croissante dans notre société ? » les termes de la radicalisation violente. Selon elle, il s’agit d’un processus de changement cognitif et comportemental dans lequel la personne adhère à un discours qui légitime l’usage de la violence pour atteindre un but idéologique. Cette légitimation s’impose peu à peu à la personne en fonction notamment de son vécu, de sa consommation de matériaux de propagande et de ses fréquentations. Plus la personne se radicalise, plus elle s’isole et entre en conflit avec son entourage, ce qui accroit sa vulnérabilité.
Le processus de radicalisation compte plusieurs phases. Cela commence par des griefs et un sentiment d’injustice qui débouche sur l’identification à un groupe, autour de la question d’agir et de s’engager. Ensuite, la spirale se poursuit par la justification de la violence, suivi du désir de violence ou de soutenir la violence, pour aboutir à la violence extrémiste. Globalement, la radicalisation est donc un phénomène complexe avec des causes et des conséquences multiples, dont le terreau est différent pour chacun, et dont les facteurs de déclenchement peuvent évoluer dans les deux sens. Il n’existe pas de profil précis de personne radicalisée. Le processus de radicalisation devient problématique lorsque les individus évoluent vers l’extrémisme et envisagent des moyens non démocratiques comme de plus en plus réalistes. Notons néanmoins que l’immense majorité des radicalisés en restent au stade de la radicalisation cognitive et non violente.
Un extrémisme de droite en augmentation
Mais le glissement vers l’extrémisme et l’action violente ne concerne pas que le radicalisme religieux : il touche également à la sphère politique. Dans un exposé centré sur le thème de « Extrémisme de droite et de gauche en Belgique francophone », Yves Rogister, officier de liaison du SPF Affaires étrangère auprès de l’OCAM (Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace), a rappelé combien cette forme d’extrémisme reste bien vivace dans notre pays.
Au-delà du descriptif des différents partis, groupuscules et mouvances diverses et flottantes, l’orateur a centré son propos autour de l’extrême droite (ou droite radicale) et de l’extrême gauche qui respectent le cadre démocratique et l’État de droit, et de l’extrémisme de droite ou de gauche qui désigne les groupes qui rejettent le cadre démocratique. Selon lui, le phénomène de l’extrémisme de droite est en augmentation dans notre pays, mais reste actuellement en deçà de celui existant dans les pays voisins. La vigilance des services s’est accrue suite à la situation observée dans les pays limitrophes, et le renforcement de la menace s’est poursuivi suite à la crise de la Covid-19 et à l’effet multiplicateur des réseaux sociaux qui ont permis la propagation de messages de haine et d’un narratif extrémiste nord-américain.
Un extrémisme de gauche « assez circonscrit »
En Belgique, la scène extrémiste de droite est faiblement structurée, poreuse aux tendances idéologiques des pays voisins et formée essentiellement de petits groupes éphémères qui connaissent des scissions et recompositions régulières. La différence entre la Flandre et la Wallonie se situe dans l’impact du nationalisme et la prépondérance de la menace en Flandre, et dans le fait que, dans l’espace francophone, il s’agit d’un extrémisme « de marge » porté par des groupements à l’existence éphémère régulièrement dirigés par les mêmes individus.
À l’opposé, l’extrémisme de gauche, considéré par l’OCAM comme « assez circonscrit », est principalement constitué de violences contre des biens matériels et de problématiques d’ordre public. Ses cibles traditionnelles sont l’État « militaro-répressif » (armée, police) et les « lieux d’enfermement » (prisons). Ses nouvelles cibles sont les « nouvelles chaînes technologiques » (opérateurs téléphoniques, vidéosurveillance, etc.) et les symboles de la mondialisation, de la dégradation de l’environnement et de l’exploitation animale. On y retrouve notamment la mouvance Antifa, les activistes des ZAD (Zone Autonome à Défendre) et les « antisystèmes ».
La menace contre les autorités publiques en hausse
En 2022, l’OCAM a reçu 236 signalements de menaces. Après examen, 215 ont été retenus parce qu’étant en lien avec la problématique extrémiste/terroriste. Un peu plus de 60% (61 exactement) des menaces sont jugées « faibles », un tiers jugées « moyennes » et 3% « graves ». Au niveau des catégories idéologiques et thématiques, un tiers des signalements concernait l’extrémisme et le terrorisme salafistes (salafo-djihadisme), un tiers était difficilement classable idéologiquement, voire inclassable (antisystème, anti-élites, etc.), 13% analysés comme en lien avec un contexte étranger ou une menace interétatique, 11% relevait de l’extrémisme « single issue » (climat, antivax, etc.), 8% de l’extrémisme de droite et 2% de l’extrémisme de gauche. En termes de profils, la répartition établie par l’OCAM fait état d’une très grande majorité d’hommes (94%) et d’acteurs solitaires (seulement 12% d’acteurs multiples).
Au final, la menace extrémiste/terroriste d’inspiration islamiste reste la première en nombre de signalements et en gravité et relève donc majoritairement de cas solitaires. La constante à la hausse est la menace contre les autorités publiques (y compris le personnel politique) et les bâtiments publics. Les menaces sont fréquemment amorcées par ce qu’on appelle des « triggers events » (événements déclencheurs), comme, par exemple, l’attaque de Brendon Tarrant, terroriste australien auteur d’attentats contre deux mosquées en Nouvelle-Zélande en 2019, ou, plus près de chez nous, par la médiatisation de la disparition de Jürgen Connings, ce militaire belge en fuite après avoir proféré des menaces contre des personnalités politiques belges. À noter que l’OCAM signale une hausse significative des menaces contre des policiers.
Dominique Watrin
Coordonnées de contact : FRERO’S Centre administratif de Mouscron – Rue de Courtrai, 63 – 7700 Mouscron – Tél. : 056/860 414 – Adresse courriel : freros@mouscron.be