Les violences institutionnelles dans le parcours d’exil : un rapport de Cultures&Santé prône la nécessité d’un combat collectif contre le racisme systémique
Lorsqu’il s’accompagne de ce que l’on nomme couramment « un racisme systémique », le parcours d’exil n’est pas loin d’infliger aux migrants, une double peine, ajoutant un obstacle supplémentaire sur un chemin d’immigration déjà truffé d’embûches. À la manœuvre de plusieurs rencontres interprofessionnelles organisées autour de la santé des personnes ayant vécu l’exil, l’asbl Cultures&Santé a tenu à revenir sur la question lors d’un rendez-vous « Midi conférence » mis sur pied par le CRIPEL (Centre régional d’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège). L’occasion d’approfondir le propos de la quatrième de ses rencontres centrées sur le thème de « Parcours d’exil, procédures et violences institutionnelles ».
Espaces d’échanges et de liens, les rencontres interprofessionnelles annuelles de l’asbl Culture&Santé portent sur le territoire bruxellois mais peuvent étendre leurs considérations bien au-delà. La quatrième édition du rendez-vous tenu en décembre 2021 a donné lieu à un rapport compilant les échanges de la journée sous forme écrite. Ce dossier d’une quarantaine de pages a décortiqué les violences institutionnelles, conséquences d’un racisme systémique, a identifié l’impact de celles-ci sur la santé des personnes et a relevé les pratiques permettant de contourner, voire de contrer ces violences. C’est ce document qui a servi de base de débat et de réflexion au rendez-vous programmé par le CRIPEL et animé par Maïté Cuvelier et Jeanne Dupuis, respectivement coordinatrice et chargée de projet au sein de Cultures&Santé, ainsi que par Rabia Benkhadda, militant sans-papier, fondateur du collectif « migrant libre ».
Un tableau en trois temps
Que retenir du rapport « Parcours d’exil, procédures et violences institutionnelles » de Cultures&Santé ? Le dossier dresse d’abord un tableau en trois temps sur ce que sont les violences institutionnelles. Dans un premier temps, il précise ce que sont ces violences institutionnelles et qui elles impactent. Dans un deuxième temps, il retrace les contours du phénomène qui mène des violences systémiques au racisme systémique. Et enfin, dans un troisième et dernier temps, il décrit comment les violences institutionnelles impactent la santé des exilé.e.s.
La suite du rapport reprend d’abord des illustrations des violences institutionnelles évoquées, à savoir celles concernant successivement la procédure de demande de protection internationale, les centres fermés, et le racisme systémique proprement dit et ses impacts sur la santé. S’ensuit, avant la conclusion du dossier, l’évocation des leviers de changement de ce phénomène : ceux portant sur la posture professionnelle et la relation avec les personnes, ceux concernant l’offre de service et le positionnement de l’institution et enfin, ceux, au niveau plus global, ayant trait au fait de faire contre-pouvoir et de faire plaidoyer. Il s’agit de pistes d’action issues des discussions et destinées à lutter contre les violences institutionnelles.
Un racisme systémique à différents niveaux
Le rapport de Culture&Santé s’ancre dans la définition de la violence institutionnelle de Vicet qui y voit « toute action exercée par des membres de l’institution, directement ou indirectement, physiquement ou moralement, par l’usage de la force ou par la force de l’inertie, voire également par la non-prise en compte des incidences des actions menées et l’absence d’analyse et de traitement des difficultés existantes, et ayant des conséquences néfastes sur un individu ou sur une collectivité ».
De cette définition découle l’idée que les violences institutionnelles peuvent s’exercer de plusieurs façons (par la disqualification, la négligence, le manque de moyens structurels, les violences physiques, morales, psychologiques, la privation de liberté, etc.) et concerner différents groupes de population, exilés ou non, racisés ou non. Pour les migrants, ces violences ont trait à diverses questions comme la maîtrise de la langue, la connaissance des systèmes en place, les procédures administratives, le trauma du voyage, etc.
Le racisme systémique se joue, lui, à différents niveaux qui influent les uns sur les autres. Il y a d’abord le niveau macro qui renvoie notamment au racisme d’État. On y retrouve les politiques de contrôle des frontières et de régulation des entrées sur le territoire. La dynamique excluante de ces politiques se retrouve dans le fonctionnement des institutions auxquelles elle est attachée. C’est le niveau méso avec des pratiques allant jusqu’à la normalisation d’un vocabulaire accompagnant ces logiques. Enfin, il y a les violences interindividuelles qui se rapportent au niveau qu’on appelle micro.
Environnement adapté et posture d’ouverture
Quelles sont les leviers de changement par rapport à ces différents niveaux de violences ? Le rapport en dresse plusieurs établis sur base de deux postulats. Le premier est que ces violences s’inscrivent dans un système où évoluent des acteurs et se développent des dispositifs et des attitudes. Le deuxième est que le racisme n’est pas naturel, mais est le résultat d’une construction sociale, fruit d’une histoire, et est donc réversible.
Au niveau de la posture professionnelle et de la relation avec les personnes, le dossier invite d’abord à prendre le temps et à créer un environnement favorable pour générer le lien de confiance. Cela passe par la création d’un environnement physique adapté (pièce chaleureuse, confidentialité assurée, etc.) et par l’adoption d’une posture d’ouverture (prendre le temps d’écouter et de parler, pouvoir tout entendre sans forcer la parole, respecter les silences, etc.).
Il s’agit ensuite de reconnaître la violence pour ne pas réitérer les attitudes excluantes. Il faut reconnaître son propre potentiel à reproduire des situations de discrimination et de violence, ainsi que celui de son institution. Il s’agit également de tendre vers une relation égalitaire, en alliant la reconnaissance de sa position privilégiée et la reconnaissance de l’autre. Ce positionnement permet de se rencontrer dans un schéma autre que sachant.e/apprenant.e. Enfin, toujours au niveau de la posture professionnelle, il convient de prendre du recul, à la fois individuellement et entre collègues.
Offre de service et positionnement de l’institution
Sur le plan de l’offre de service et du positionnement de l’institution, les leviers de changement sont également multiples. On peut d’abord former les professionnel.le.s et créer des espaces pour questionner les pratiques, en échangeant et se formant sur des thèmes comme l’interculturalité, l’ethnocentrisme, la décolonisation, les violences institutionnelles, etc. Un autre levier est d’impliquer les personnes concernées. Construire « avec » plutôt que « sur » permet d’éviter la victimisation et d’apporter de la nuance, de l’expertise, tout en reconstituant du lien. Dans un registre similaire, il s’agit aussi de lever les freins culturels et linguistiques au niveau institutionnel. Cela passe par des financements structurels spécifiques permettant notamment un recours systématique à des interprètes, ainsi que par la diversification des équipes en termes de cultures et de types de savoirs. Enfin, il convient de diversifier les services et approches pour avancer significativement dans la lutte contre les violences.
Trois catégories de moyens pour atteindre ce but sont relevés. La première est celle qui inclut un accompagnement global (aide au logement, accompagnement administratif, accès à la culture, à l’emploi, à l’éducation, etc.) et un travail en réseau (citoyen.ne.s, groupes militants, institutions, etc.). La deuxième catégorie regroupe l’organisation d’ateliers collectifs (animations en groupe) perçus comme source de changement grâce au simple fait de rompre l’isolement, de partager des ressources, etc., les groupes mixtes exilé.e.s/autochtones permettant davantage la rencontre et la reconnaissance.
Dénoncer et lutter ensemble
À un échelon plus global pour finir, il importe de faire contre-pouvoir, de faire plaidoyer. Et, sur ce plan, il convient d’associer deux mouvements : dénoncer et créer son propre programme de « contre-pouvoir ». Il s’agit dès lors de s’engager, de prendre position, de se placer aux côtés des personnes accompagnées. Il s’agit ensuite de développer son pouvoir d’agir à un niveau structurel. Il faut penser les mots, les concepts, développer les outils d’analyse. Documenter les mécanismes de violence par des études et des recherches permet de les mettre en lumière et de nourrir les plaidoyers.
Il faut également être attentif à travailler les représentations au sein de la société. Ce travail se fait notamment par la reconnaissance du niveau collectif du racisme, ainsi que par le fait de le documenter et d’en parler dans les écoles et dans les institutions. Lutter ensemble est une autre obligation. Le rapport souligne l’importance que le réseau associatif et militant se renforce et puisse nourrir un contre-pouvoir. Enfin, il est essentiel de travailler avec les militants, en exploitant leur complémentarité avec des structures plus institutionnalisées et subsidiées. Dans ce cadre, il faut aussi qu’il y ait une complémentarité entre les actions, entre les mouvements.
Dominique Watrin
Le rapport peut être consulté et téléchargé via le lien suivant : https://www.cultures-sante.be/nos-outils/outils-promotion-sante/item/649-parcours-d-exil-procedures-et-violences-institutionnelles-rapport-2021.html