L’inclusion des personnes étrangères sur le marché de l’emploi wallon : un système peu performant à réformer complètement
Parmi les facteurs reconnus d’intégration dans une société d’accueil, la piste de l’insertion socioprofessionnelle fait office de voie royale. Coordonnateur, en compagnie de la chercheuse Leïla Scheurette, d’un travail de synthèse sur « L’inclusion des personnes étrangères sur le marché de l’emploi wallon », Altay Manço, directeur scientifique de l’IRFAM (Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations) était récemment invité à évoquer cette vaste question, lors d’une rencontre à laquelle étaient également conviés des représentants du CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage) et du CeRAIC (Centre Régional d’Intégration de la région du Centre), à l’invitation de la commission internationale de la CSC Mons-La Louvière. Un tour d’horizon succinct pointant les atouts et les failles de l’insertion socioprofessionnelle sur le territoire wallon. Et un bilan sans équivoque…
Altay Manço a la réputation de ne pas tergiverser quand il s’agit de pointer les failles d’un système ou d’un organisme peu performants dans la réalisation de leurs objectifs ou l’accomplissement de leurs missions. Pour l’occasion, il n’a pas fait mentir cette réputation. L’objet de son propos était les mesures mises en place en Wallonie pour l’insertion d’un public bien spécifique : les personnes extra-européennes installées durablement en Belgique. Pour ce faire, l’équipe coordonnée par le chercheur a observé comment les politiques d’insertion des immigrés se mettent en place, afin d’améliorer celles-ci en changeant ce qui doit l’être. L’objectif sous-jacent était de tester les idées ainsi dégagées dans le but de faire en sorte qu’elles deviennent la règle.
Des structures nombreuses mais inefficaces
Le directeur de l’IRFAM frappe d’emblée très fort en martelant : « Ce qui se fait aujourd’hui chez nous en insertion socioprofessionnelle ne sert à rien. La région wallonne est arriérée en matière de taux d’occupation. Environ 73% des plus de 18 ans y sont occupés contre plus de 90% dans des pays comme l’Allemagne ou le Danemark. Un adulte sur deux d’origine extra-européenne n’y travaille pas et le système fait que ces personnes n’accèdent pas à l’emploi. Il y a beaucoup de structures, mais elles n’arrivent pas à fonctionner. »
Et ailleurs ? Pour ancrer son analyse dans le réel, la recherche s’est plongée dans 300 dispositifs mis en place dans 40 pays, avec des critères d’étude précis et spécifiques comme l’accès à l’emploi durable rapidement, la réflexion sur l’amélioration du travail des structures et l’inclusivité du marché de l’emploi grâce à ces structures. De cette analyse approfondie, 30 structures (soit 10%) se sont dégagées comme étant les plus performantes. L’équipe a donc, dans la foulée, tenté d’établir les ressemblances qui réunissaient ces structures.
Un manque de lien avec l’entreprise
La première des ressemblances entre ces structures est que leurs actions sont impulsées avec les entreprises. « Sans elles, on fait de l’insertion sans finalisation, détaille-t-il. Il est impossible de toucher le marché de l’emploi sans les entreprises. À Bruxelles et en Wallonie, les gens restent trois à quatre ans dans des dispositifs pour un taux de réussite de 20%. Le lien avec l’entreprise manque dans notre pays. »
Le deuxième élément de convergence présent dans ces structures et pas en Wallonie a trait aux cours de langue. « Chez nous, explique le directeur scientifique de l’IRFAM, la priorité première porte sur le cours de français. Or, ça dessert les gens, ça les infantilise et les maintient dans un processus qui dure souvent plusieurs années. Le français est important, mais pas avant la mise à l’emploi. On peut apprendre le français au travail, via un partenariat avec l’entreprise où sont prodigués des cours de langue adaptés à l’emploi. L’apprentissage est plus rapide, parce que les gens sont directement motivés, ne sont pas infantilisés et ont une application directe de leur apprentissage. Il y a une vraie concomitance à avoir entre emploi et apprentissage linguistique. C’est ce qui se fait dans des pays comme l’Allemagne. »
Enfin, la troisième ressemblance entre ces structures est l’articulation entre les entreprises et les centres de formation. En Allemagne, cette articulation est organisée par bassin, via une structure indépendante des entreprises et financée par l’État. Et ça fonctionne alors qu’un million de réfugiés y ont été récemment accueillis contre 25.000 seulement en Belgique.
« Ce type de structure n’existe pas en Belgique, regrette Altay Manço. Il y a les IBEFE (Instance Bassin Enseignement-Formation-Emploi) et les MIRE (Mission Régionale pour l’Emploi), mais il y manque le prisme migrant qui permettrait de comprendre divers éléments comme le fait que ces personnes ne parlent pas la langue, mais en maîtrise une autre qui peut se révéler intéressante, qu’elles peuvent éprouver des difficultés de déplacement, qu’elles sont souvent enfermées dans des statuts précaires nécessitant des démarches, qu’elles sont confrontées à des questions interculturelles (rites, pratiques, etc.)… » Et d’enfoncer le clou : « Approximativement 15.000 personnes travaillent en Belgique dans le domaine de l’insertion à l’emploi, pour un budget d’environ 400 millions d’euros. Une vision plus « médiatrice » que celle en place serait plus inclusive. »
Travailler ensemble
La Belgique figure parmi les trois derniers classés des pays de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique) dans le domaine de l’insertion professionnelle. Une enquête réalisée par Lire et Écrire a indiqué que la majorité des gens fréquentent les cours de l’organisme pour obtenir un emploi, mais qu’ensuite, une majorité n’a pas trouvé d’emploi. « Cela démontre que le système bénéficie surtout à celles et ceux qui lui appartiennent, en déduit le directeur scientifique de l’IRFAM. Une enquête de l’UCL sur des stages de mise à l’emploi est arrivée à la conclusion que 75% des participants terminent le stage et que 60% des natifs trouvent un emploi contre à peine 30% d’étrangers. »
Ces stages sont-ils dès lors inutiles ? « Non, affirme Altay Manço. Il faut développer les connaissances du français et la connaissance du système. Mais, en Belgique, il y a deux franges de partenaires dans ce dossier : les acteurs du non marchand et ceux du marchand. Ceux-ci doivent travaillent ensemble. Et il faut mettre en œuvre une concomitance entre apprentissage du français et emploi. Une expérience pilote a été menée à Liège par le CRIPEL (Centre régional d’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège) en partenariat avec trois hôpitaux. Une douzaine de stagiaires, migrants francophones et non francophones, ont été intégrés dans des processus d’insertion dans trois secteurs d’emploi : logistique, catering et cleaning. Sept à huit d’entre eux ont été gardés à l’emploi. »
Pour le directeur scientifique de l’IRFAM, l’important est d’apprendre le process du travail avant tout. Et de bénéficier d’un apprentissage linguistique avant, pendant et après celui-ci. L’ambiance d’inclusivité entourant les personnes en insertion est également primordiale. Dans cette optique, les formules qui sont vraiment performantes, aux dires d’Altay Manço, sont le mentorat, l’intérim (qui est la porte d’entrée numéro un dans les entreprises et dispose des réseaux, des codes, des contacts avec la source d’emploi, etc.). En Belgique, 50% de l’insertion socioprofessionnelle a lieu par l’intérim et 20% par le système d’insertion.
Des binômes performants
Du côté des centres régionaux d’intégration, cette question de l’insertion socioprofessionnelle est une préoccupation de longue date. AU CIMB, par exemple, des projets de tutorat en entreprise et de mentorat sont menées depuis quelques années. Cette dernière formule consiste en la formation de binômes composés d’une personne étrangère en recherche d’emploi (le mentoré) et d’un citoyen disposant de bons contacts professionnels (le mentor). Le but de cette opération d’accompagnement personnalisé est de familiariser les mentoré(e)s avec les codes de conduite du monde du travail et d’élargir leur réseau professionnel. Des ateliers en petits groupes sont également organisés pour ces personnes afin de permettre une découverte de soi, de ses attentes, de ses connaissances, de ses limites, etc.
Un accompagnement de ces paires est naturellement assuré par le CIMB qui y voit un rapport de win-win entre le mentoré et le mentor. Pour le premier, il s’agit d’une ouverture, d’un accès à une meilleure compréhension du marché de l’emploi et d’une remotivation grâce à la mise en place d’une nouvelle dynamique. Pour le mentor, la participation au projet permet de recréer du lien social, de combattre d’éventuels préjugés réciproques, de valoriser ses compétences et d’enrichir sa vision de la société. Une dizaine de binômes ont ainsi été créés avec succès par le CIMB.
Dominique Watrin
L’inclusion des personnes d’origine étrangère sur le marché de l’emploi Bilan des politiques en Wallonie, sous la direction de Altay Manço et Leïla Scheurette, Éditions L’Harmattan, 2021, 346pp.