L’instabilité dans l’Est du Congo : un conflit oublié de tous qui profite à beaucoup de monde
Considéré unanimement comme un « conflit oublié » tant il est peu évoqué dans les médias, le conflit qui déchire, depuis très longtemps, la région des deux Kivu au Congo reste l’un des plus dramatiques et meurtriers de la planète. Pour mettre en lumière sa réalité, le CAI (Centre d’Action Interculturelle de Namur) lui a récemment consacré une conférence, en invitant le journaliste du quotidien La Libre, spécialiste de l’Afrique, Hubert Leclercq, à en dessiner les contours au cours d’un exposé intitulé « L’instabilité de l’Est du Congo : causes et conséquences ». Avec un objectif qui a traversé tout le propos : décrire la situation du terrain, et pointer du doigts les enjeux et responsabilités de ce qu’il faut appeler une guerre aux enjeux multiples.
Le Congo est un pays qui compte énormément en Afrique. Deuxième pays du continent après l’Algérie par son étendue, il est traversé par le Congo, deuxième plus long fleuve d’Afrique après le Nil, qui parcourt 4400 kilomètres à l’intérieur de son territoire. Le Congo est également entouré par pas moins de 9 pays frontaliers, dont la plus grande frontière est celle avec l’Angola et la plus petite celle avec le Rwanda qui mesure néanmoins 2500 kilomètres. Si l’on ajoute à ce tableau que le pays compte approximativement 100 millions d’habitants, on peut le considérer, sans forcer le trait, comme un poids lourd de l’Afrique.
Une nationalité « une et exclusive »
Le pays dont l’histoire a été étroitement liée à celle de la Belgique a connu une histoire chaotique. Comme celles de la plupart de ses voisins, ses frontières ont été tracées rectilignement en 1885 par les colonisateurs européens, sans tenir compte des peuples qui l’habitaient. Anecdote symptomatique, la première carte du pays a inclus le lac Kivu au sein du Congo belge mais une erreur de cartographie, découverte une dizaine d’années plus tard, va déplacer la frontière vers l’Est et inclure des populations de villes comme Goma. En 1910, de nouveaux accords internationaux ont amené le Congo belge à récupérer le Kivu, tandis que la défaite de l’Allemagne lors de la première guerre mondiale a vu la Belgique prendre possession du Ruanda-Urundi, les Rwanda et Burundi actuels.
De 1934 à 1957, la Belgique a encouragé la migration volontaire des populations rwandaises vers le Nord-Kivu afin d’y développer l’agriculture et l’élevage avec cette nouvelle main-d’œuvre. Conséquence, les personnes incluses dans cette migration se sont vu échanger leur identité rwandaise contre la nationalité belgo-congolaise dans le cadre de cet échange de terres. Il existe donc des Tutsis congolais depuis de nombreuses années.
Les premières tensions au Kivu ont eu lieu à l’indépendance du Congo en 1960. Dès 1963, un découpage rapide du pays a été opéré. Des terres octroyées à cette époque aux Rwandais ont été accaparées par des chefs coutumiers, et des tensions entre Tutsis et Congolais ont éclaté, s’étendant petit à petit à la région. Le maréchal Mobutu qui dirigeait alors le Congo était originaire du Nord-Ouest du pays ; il ne provenait donc pas de la même ethnie et ne parlait pas la même langue que dans le Kivu. Beaucoup plus tard, en 2006, la Constitution congolaise établira que la nationalité congolaise est « une et exclusive » et relève de l’origine ou d’une acquisition individuelle. Est alors congolais « toute personne appartenant au groupe ethnique des personnes et du territoire constituant ce qu’est devenu le Congo à l’indépendance ».
Une région et un État pillés
Le constat du conférencier, appuyé par le public assistant à la conférence, est que le Congo, État hyper centralisé, ne fonctionne pas et que l’instabilité dans l’Est du pays provient essentiellement du « business » qu’il représente. Les problèmes dans l’Est du Congo n’ont jamais été gérés par l’État. L’armée, protagoniste du conflit, est, par exemple, un des plus grands pourvoyeurs de matières premières du pays. Le constat radical supplémentaire est que l’Est du Congo est une région qui ne fonctionne pas. Un exemple ? Le Rwanda voisin commercialise des minerais, de l’or, etc. alors que son sol n’en recèle pas. Plus fort encore, le pays figure parmi les grands exportateurs de coltan, l’un des moins coûteux sur le marché mondial. Or, il n’en produit pas ; celui-ci provient exclusivement du Congo.
L’avis exprimé unanimement lors de la conférence et appuyé par Hubert Leclercq est qu’il y a une responsabilité du Rwanda dans ce qui se passe au Kivu et que, si l’État congolais était correctement géré, cela n’arriverait pas. Car, selon certains observateurs présents dans la salle, l’Est du Congo est pillé par des sociétés et puissances étrangères (belges, françaises, britanniques, espagnoles, etc.) mais aussi par des responsables politiques congolais. Hubert Leclercq insiste : « Les élections de 2016, qui se sont déroulées en 2018 après report, ont consacré un vainqueur qui, c’est de notoriété publique, ne les a pas gagnées. La communauté internationale le savait mais n’en avait cure. L’important était de continuer à piller et à profiter. »
Le rêve d’un État fort
Selon l’intervenant, rejoint par l’assemblée participant à la conférence, il faudrait au Congo un vrai État, un État fort. La Belgique, grand pilleur du pays, a été le seul pays qui n’était pas endetté au lendemain de la première guerre mondiale, grâce aux richesses puisées au Congo. Aujourd’hui, au Congo, la « chose publique » est gérée comme une « chose » familiale, tribale, clanique. « La situation politique du Congo est celle d’une famille au pouvoir et d’une ethnie favorisée au détriment des autres, avec une assemblée de 400 députés qui ne vont rien faire pour changer les choses parce que ce qui leur importe, c’est de ne pas se mettre à mal avec le pouvoir », assène le conférencier. Il y a donc au Congo, estiment Hubert Leclercq et le public, un problème de mentalité, avec un appauvrissement de la population écrasée, par la corruption notamment, doublé d’un problème de volonté incarné entre autres par une Communauté économique des pays des Grands Lacs en déliquescence.
Sur le plan pratique, il n’existe, par exemple, aucune traçabilité établie des minerais extraits dans l’Est du Congo et ça arrange tout le monde, sauf la population locale. « Le vrai pouvoir au Congo vient de Paris ou de Bruxelles, assure l’observateur. Il s’agit d’une nouvelle forme de colonisation. On ne laisse pas les Congolais être souverains dans leur pays et le monde construit son progrès avec les matériaux du Congo. Il faut qu’il y ait une éthique au niveau de l’Europe et de l’Asie, en même temps qu’il faut que réapparaisse un certain « nationalisme » au Congo. » Et d’ajouter : « Tout le monde a besoin de la stabilité du Congo. Les groupes armés du Kivu utilisaient les mines pour s’armer et, aujourd’hui, ils sont devenus des entrepreneurs qui achètent des armes pour approvisionner de nombreuses milices (on en compte plus de 100). Le but de ces entrepreneurs est exclusivement de faire de l’argent. » Et un participant à la conférence de conclure : « Aujourd’hui, tout le monde a besoin de la paix. Pour favoriser les affaires, pour faire du business entre les pays… Mais il y a une impossibilité chronique du Congo à résoudre ses problèmes. Et il y a une interaction totale entre le Rwanda et le Congo. Sur le terrain, on ne sait pas ce qui est rwandais et ce qui est congolais, et cette confusion est voulue par le Rwanda dont le pouvoir vise à gérer l’instabilité au Congo pour gérer la stabilité au Rwanda. »
Dominique Watrin