Médecine du voyage et usage des drogues au sein du public migrant : l’asbl Migr’en santé poursuit son travail d’information et de sensibilisation ciblé
Depuis 2009, plusieurs acteurs associatifs de la région de Charleroi se sont réunis dans une plateforme baptisée « Migr’en santé ». Chaque année, cette dernière organise une journée d’information mêlant activités festives et conférences informatives avec un but unique : amener la population migrante à améliorer ses réflexes de santé. Pour sa huitième édition, cette initiative soutenue par le CRIC (Centre Régional d’Intégration de Charleroi) avait choisi deux thèmes de sensibilisation : « Médecine du voyage et vaccination » et « Drogues, cultures et migrations ».
Les questions médicales et sanitaires qui entourent le retour dans le pays d’origine se posent forcément de manière accrue à l’approche des grandes vacances, période propice pour retrouver la famille et les proches restés au pays. Responsable du centre de référence VIH du CHU de Charleroi, le Docteur Rémy Demeester a rappelé l’ensemble des mesures sanitaires et de vaccination essentielles avant de parcourir le monde.
Le praticien a tenu à établir une distinction entre trois types de vaccins. D’abord, les vaccins parfois obligatoires. Parmi ceux-ci, il répertorie celui contre la fièvre jaune (qui concerne l’Afrique subsaharienne et certains pays d’Amérique du Sud), celui contre les méningites (pour aller à la Mecque, notamment) et celui contre la poliomyélite (qui concernait, en 2018, l’Afghanistan, la Somalie, le Nigéria, le Niger et la République Démocratique du Congo). La deuxième catégorie est celle des vaccins de base. Y figurent ceux contre le tétanos et la diphtérie, contre la coqueluche, et contre la rougeole et la rubéole. Enfin, il y a les vaccins proposés : contre l’hépatite A, l’hépatite B, la fièvre typhoïde, la rage et, plus localisées, l’encéphalite japonaise et l’encéphalite à tiques. Pour connaître et gérer la validité de tous ces vaccins, le docteur conseille vivement de consulter et tenir à jour son carnet de vaccination.
Des conseils de voyage essentiels
La malaria est une problématique clé lorsqu’un voyage dans les pays à risque est envisagé, qu’il s’agisse ou pas d’un retour au pays d’origine. Le Docteur Rémy Demeester insiste sur le fait que, pour les migrants, les anticorps constitués au pays s’estompent en Belgique et que, par conséquent, le risque de déclenchement est plus grand pour les personnes concernées que pour celles restées au pays. Sur place, il convient donc de mettre en place une prévention anti-moustiques dès le coucher du soleil, comme des vêtements clairs, longs et couverts, des répulsifs anti-moustiques, des moustiquaires et l’air conditionné.
La diarrhée est une autre question à laquelle il faut apporter la plus grande attention lors d’un voyage. Il convient donc d’éviter absolument l’eau du robinet, les aliments crus, mal cuits et les crudités, ainsi que les produits laitiers non pasteurisés. Le conseil d’usage est dès lors de faire bouillir, cuire et peler (les fruits, principalement). Le traitement comprend une réhydratation orale (boire abondamment en ajoutant du sel) et un traitement médicamenteux.
En dehors de ces maladies, plusieurs conseils plus généraux peuvent être adressés aux candidats au voyage. Boire de l’eau, ainsi que se lever et marcher durant le voyage en avion. Pendant le séjour, surveiller son alimentation, suivre scrupuleusement son traitement préventif contre la malaria, se protéger contre les moustiques, éviter les baignades en eaux stagnantes, et éviter tout contact avec les animaux sauvages, même familiers (chiens, chats, etc.) potentiellement porteurs de la rage. Vis-à-vis du soleil, il est préférable de porter chapeau, vêtements légers, lunettes solaires et crème protectrice. Il est aussi capital d’utiliser le préservatif pour se prémunir des infections sexuellement transmissibles (sida, hépatite B, syphilis). Pour éviter les accidents de la route très fréquents dans certains pays, il faut rouler prudemment, mais aussi veiller à avoir une assurance rapatriement. Enfin, après le retour de voyage, il ne faut pas oublier de prolonger son traitement contre la malaria et, en cas de fièvre, il est impératif de consulter un médecin.
La grande précarité des migrants usagers de drogue
Autre volet de la séance d’information organisée par Migr’en santé, la question de « Drogues, cultures et migrations » a fait l’objet d’un état des lieux dressé par Laurence Przylucki directrice de l’asbl « Le Comptoir », une association spécialisée dans la réduction des risques liés à l’usage de drogues, via l’accueil des usagers, un programme d’échange de seringues, des consultations médicales gratuites et des projets participatifs. Son constat de départ est qu’en vingt ans, le nombre de migrants a sensiblement augmenté, alors que le nombre de migrants qui s’adressent à son service de lutte contre les assuétudes est resté stable, un constat qu’elle juge interpellant. Alors qu’elle relève que les traumas vécus par les migrants peuvent déboucher sur la consommation de psychotropes, l’intervenante déplore qu’il n’existe quasiment pas d’étude spécifique sur la situation dans le secteur des assuétudes, et notamment de statistiques sur la présence des migrants. Ce problème renforce, selon elle, la difficulté d’atteindre ce groupe cible au sein duquel la toxicomanie reste largement taboue.
Parmi les personnes touchées par Le Comptoir, 75 à 80% sont belges. Les autres personnes rencontrées par le service ont principalement pour pays d’origine le Maroc, l’Algérie, la Roumanie, l’Italie, la Pologne et la Russie. Les migrants qui s’adressent au service sont très souvent en grande précarité et n’ont pas ou peu de connaissance du système de santé belge. Les produits consommés sont ceux du marché belge, à savoir surtout l’héroïne et le cannabis. Les migrants usagers de drogue sont, par conséquent, exposés à des risques sanitaires identiques à ceux des Belges.
Des obstacles à l’action efficace
Laurence Przylucki énonce néanmoins une série de constats d’obstacles dans l’approche du public migrant confronté à la drogue. Il y a d’abord les mauvaises connaissance et maîtrise de leurs langues respectives par les services de l’asbl. Il y a aussi les barrières culturelles qui freinent la rencontre de part et d’autre, ce qui induit la nécessité de formation du personnel pour apprendre les pratiques culturelles des uns et des autres. Il y a également les usages différents, comme l’utilisation par les toxicomanes roumains d’aiguilles plus longues et de seringues en verre, différentes de celles fournies par Le Comptoir qu’ils n’utilisent dès lors pas. Enfin, il y a la situation de précarité des migrants qui les éloigne des dispositifs d’aide et de soins. C’est le cas notamment du logement en périphérie, couplé avec l’absence de l’argent pour se payer le transport en commun, qui les empêche de se rendre dans les centres de prévention installés en centre-ville.
Les conséquences observées suite à ces constats sont diverses. Citons la prise de risque élevée chez les migrants par simple manque d’informations, le dialogue difficile à nouer, la compréhension différente de la problématique (maladie et traitement), l’absence partielle ou totale d’accès aux antécédents médicaux et la non familiarisation de ce public avec notre système de soins. Il est néanmoins possible d’énumérer quelques bonnes pratiques identifiées : favoriser l’accès aux services de première et deuxième lignes et les partenariats entre ceux-ci, fournir des informations adaptées, privilégier une flexibilité organisationnelle et assurer la présence d’interprètes, et soigner la communication et l’ouverture dans le secteur (via notamment la traduction des brochures en différentes langues).
Le khat, drogue peu connue
Particulièrement confronté à la problématique du khat (aussi appelé qat, jat ou mira), Xusseen Maxamed, coordinateur de l’asbl Somabel (association pour la promotion de la culture somalienne et l’entraide entre les membres de la communauté en Belgique), a complété l’exposé sur les drogues en apportant quelques éléments de précision à propos de ces feuilles d’arbuste que l’on chique. Consommé principalement en Afrique de l’Est (Soudan, Érythrée, Djibouti, Éthiopie, Somalie, Kenya) et dans le Sud de la péninsule arabique (au Yémen, en priorité), le khat est une plante qui comprend quatre sous-espèces différentes consommées de façon différente suivant la région. Très présent dans ces parties du monde, il prend de plus en plus de place dans les cultures de pays comme l’Éthiopie.
Importé en Belgique via les Pays-Bas jusqu’en 2006, le khat y est depuis lors référencé comme une drogue. Ce changement de statut entraîne un problème culturel autour d’un produit qui est en vente libre dans les commerces des pays d’origine, qui était autorisé en Belgique auparavant et qui y est désormais interdit et ses vendeurs poursuivis. Depuis 2012, le khat est également proscrit dans des pays limitrophes comme les Pays-Bas et le Royaume-Uni.
Les effets « positifs » de la consommation de khat sont ses aspects stimulant, euphorisant, aphrodisiaque et de lien social car il est consommé dans les grandes occasions comme les mariages. Ses effets « négatifs » sont sans surprise l’addiction, mais aussi l’impact sur l’hygiène bucco-dentaire (il attaque l’émail des dents), la présence de pesticides dans les feuilles et les conséquences économiques, tant au niveau macro (il représente une dépense de plusieurs millions de dollars par jour) qu’au niveau micro (il grève les budgets des ménages, entraînant problèmes conjugaux et divorces).
Dominique Watrin
Pour toute information concernant la médecine du voyage et les vaccinations, contact peut être pris avec la clinique du voyage du CHU de Charleroi : http://www.chu-charleroi.be/travelclinic/.