Projet de recherche “Migrant Voices” et mémorandum cosigné pour la première fois avec sept autres acteurs sectoriels : les centres régionaux d’intégration veulent peser sur les scrutins électoraux de 2024
Impossible de l’ignorer désormais, 2024 est une année électorale puisqu’elle l’est tant au niveau européen, fédéral, provincial que communal. Sur ce dernier plan le plus proche du citoyen notamment, la population étrangère et d’origine étrangère a, plus que jamais un rôle à jouer. C’est dans ce contexte que les centres régionaux d’intégration (CRI) de La Wallonie ont participé activement à la rédaction d’un « Mémorandum, pour l’intégration des personnes étrangères », sous-titré « Recommandations des acteurs sectoriels wallons en vue des élections régionales, communautaires et fédérales de 2024 ». Une manière de mettre la pression sur les futur.e.s élu.e.s à la veille de scrutins cruciaux.
La grande originalité du mémorandum cosigné par le DisCRI (Dispositif de concertation et d’appui aux Centres Régionaux d’Intégration) au nom des CRI est de constituer, pour la première fois, un document rédigé en commun par huit acteurs régionaux aux acronymes bien connus dans le secteur : outre le DisCRI, ce sont ALEAP, CAIPS, CODEF, COPILI, FDSS, Risome et Setisw. Ce geste fort marque une volonté collective d’unir les efforts pour impulser une énergie supplémentaire dans la mise en place d’un changement abordé plus globalement.
Un regard inédit sur les perceptions du parcours d’intégration
La conférence-débat de présentation du mémorandum organisée récemment et intitulée « Quel avenir pour les politiques régionales d’intégration après 2024 ? » s’est ouverte par la divulgation des résultats d’une étude menée par quatre chercheurs, Soha Abboud, Zacharia Bady et Antoine Roblain de l’ULB, et Emmanuele Politi de la KUL. Leur recherche intitulée « Migrant voices » vise à offrir un regard inédit sur l’expérience et les perceptions du parcours d’intégration en Région wallonne par celles et ceux qui y participent. Démarrée en 2019 avec les CRI, l’étude est basée sur un questionnaire distribué en deux temps, en septembre 2021, puis en janvier 2023, avant de fournir ses premiers résultats en octobre 2023.
Un total de 1171 participant.e.s ont pris part à cette enquête. Il s’agissait majoritairement de personnes de sexe féminin, essentiellement d’un niveau d’éducation secondaire (34%) et baccalauréat (29%), et issues des classes d’âge des 25-35 ans (35,8%) et 35-45 (34,7%). La principale raison évoquée pour l’obtention du permis de séjour était massivement, dans l’ordre, le regroupement familial (44%) et l’arrivée en tant que réfugié (32%). Leur participation au parcours d’intégration a eu lieu, à une écrasante majorité, en tant que volontaires (60,7%) ou primo-arrivants (36%). Sur le plan géographique, la plus grande proportion de ces personnes venait de la province de Liège (69,3%), suivie par celles de Hainaut (13,9%) et de Namur (5,7%). Les pays d’origine les plus présents dans l’échantillon étaient la Maroc (18,8%) et la Syrie (9,9%).
Une double approche empirique
L’évaluation du parcours d’intégration, vue à travers le regard des participant.e.s a été effectuée à travers une double approche empirique : d’abord, une approche sur le positionnement explicite des participant.e.s concernant les diverses utilités et difficultés rencontrées durant le parcours et ensuite, une approche comparative concernant les capacités perçues des participant.e.s à différents stades du parcours. Au niveau des difficultés rencontrées durant le parcours, celle qui est épinglée par les personnes interrogées comme la plus pénalisante est la difficulté à concilier le parcours avec l’activité professionnelle ou la recherche d’emploi. À l’opposé, celle qui est perçue comme la moins problématique est la difficulté de suivre le parcours à cause des problèmes de langue ou d’interprète. Les profils de participants qui expriment le plus de difficultés sont ceux qui se regroupent autour de trois critères : l’éducation et le niveau de maîtrise du français, la raison d’obtention du premier permis de séjour (l’asile face au regroupement familial) et le fait d’être une femme originaire de pays où les femmes sont fortement exclues de la vie publique.
Quelles sont les utilités perçues du parcours d’intégration ? Parmi les items existants, le plus plébiscité est le fait de permettre d’améliorer les conditions de vie. Il précède le fait d’informer sur les options informatives et éducatives, et l’acquisition de compétences linguistiques. À l’opposé, la variable qui rencontre le moins son objectif est le fait de rencontrer des personnes sur qui compter en cas de problèmes. Le profil des personnes qui affirment trouver le moins d’utilités au parcours sont celles ayant le plus faible niveau de maîtrise du français et le niveau d’éducation le plus bas, et ce, même quand il s’agit d’acquérir des compétences linguistiques.
Les effets contrastés des modules du parcours
Dans le domaine de la progression des capacités, les réponses des sondé.e.s mettent en exergue principalement trois indicateurs : dans l’ordre, les faits de comprendre le mode de vie et les coutumes belges, d’atteindre ses objectifs de vie et de rencontrer des nouvelles personnes habitant en Belgique. À l’inverse, l’item le moins rencontré par les personnes participantes interrogées est le fait de trouver ou changer d’emploi si elles le souhaitent. Le sentiment de culpabilité ressenti par le public du parcours d’intégration est, lui, lié à la maîtrise du français, à la différence entre primo-arrivant.e.s et volontaires, au contexte politique d’origine sur le plan démocratique, et à la question du genre.
De leur côté, les participantes originaires de pays où les femmes sont fortement exclues de la vie publique se sentent moins capables de trouver/changer d’emploi, d’atteindre leurs objectifs de vie, et de comprendre le mode de vie et les coutumes belges. L’effet général du parcours d’intégration observé établit que les participant.e.s ayant terminé le parcours se sentent plus capables en général et aussi, plus précisément, mieux à même de rencontrer de nouvelles personnes et d’atteindre leurs objectifs de vie. Et les effets des modules du parcours sont particulièrement appréciés. Le module de langue s’accompagne d’effets, une fois terminé. Le fait de participer au module d’insertion socioprofessionnelle s’accompagne d’une plus grande capacité à trouver ou changer d’emploi.
En revanche, le module de citoyenneté est, lui, perçu comme ne coïncidant qu’avec peu ou pas de changement pour le public pris dans sa globalité. À propos de ce dernier module, force est de constater que, si la participation à celui-ci ne s’accompagne pas de capabilités plus élevées pour tout le monde, elle semble particulièrement bénéfique pour le profil identifié précédemment, à savoir celui des femmes originaires de pays où les femmes sont fortement exclues de la vie publique.
La conclusion de l’enquête est, d’une part, qu’il y a une appropriation différente du parcours d’intégration par certains profils spécifiques, en fonction du genre et du niveau de langue préalable et, d’autre part, que les enjeux linguistiques jouent un rôle déterminant. Les perspectives scientifiques établies par les chercheurs sont de mener une approche longitudinale et de suivi des trajectoires de vie, pendant et après le parcours d’intégration, de procéder à une diversification géographique et de continuer à recueillir l’opinion des participant.e.s, notamment dans le pilotage du parcours.
L’accès aux droits fondamentaux comme priorité
Ça a toujours été le cas et c’est à nouveau confirmé noir sur blanc dans le mémorandum auquel ils ont donné vie, avec plusieurs autres acteurs régionaux : le projet porté par les centres régionaux réunis sous la coupole du DisCRI est celui d’une société interculturelle, assurant l’intégration des migrants dans un processus dynamique à double sens d’acceptation mutuelle. Cette société interculturelle est conçue comme luttant contre le racisme et toutes les formes de discrimination, veillant à l’inclusion numérique de tou.te.s et encourageant la participation politique des personnes étrangères.
Dans ce cadre, l’objectif fixé est l’accès des personnes étrangères aux droits fondamentaux. En matière d’intégration, cela se traduit dans trois secteurs. Le premier est le parcours d’intégration avec des visées de gratuité, d’offre de formation variée et répondant aux besoins, de système de défense pour les personnes obligées, de valorisation auprès des autres Régions, et d’adaptation dans le cadre de la demande de nationalité. Dans le deuxième secteur, l’interprétariat en milieu social, les termes voulus sont l’accès à l’interprétariat (gratuit ou abordable), l’offre de langues et la professionnalisation du secteur. Enfin, au niveau du troisième secteur, celui des MENA (Mineurs Étrangers Non Accompagnés), les critères sont des lieux d’accueil adaptés et de qualité, un soutien à la scolarité et aux projets alternatifs, un accompagnement au-delà de 18 ans, et un soutien des opérateurs MENA.
Une liste d’objectifs concrets
En matière d’emploi et de formation, les objectifs définis sont : un accès au marché du travail et aux formations, des dispositifs spécifiques pour l’emploi des personnes étrangères, une politique de diversité des employeurs, une formation sur le lieu de travail, et la thématique des freins d’accès à l’emploi et des stéréotypes réduits. En matière d’équivalence de diplômes et de validation des compétences, les axes épinglés sont l’accès aux dispositifs, et des procédures simplifiées, raccourcies et démocratisées. En matière de logement sont privilégiés l’offre de logements (sociaux), l’accès au logement, la lutte contre les discriminations, l’accompagnement pour la recherche de logement et le soutien aux expériences innovantes.
En matière de mobilité, les priorités sont l’accès à l’examen du permis B (théorique et pratique), l’usage de la voiture facilité, l’accès aux transports en commun, la soutien à la mobilité partagée et la politique de mobilité inclusive en Wallonie. En matière de santé physique et mentale, les actions pointées du doigt sont l’accès aux soins de santé, l’(in)formation des professionnel.le.s de la santé et les collaborations avec le secteur de l’intégration, ainsi que l’accès à l’aide médicale urgente.
En ce qui concerne les personnes sans titre de séjour et en migration de transit, les signataires du mémorandum épinglent l’obtention et la régularisation du titre de séjour sur le territoire, le respect des droits fondamentaux de toute personne, le soutien aux collectifs d’aide aux personnes en transit, ainsi que la prise en compte dans les politiques de lutte contre le sans-abrisme. Et enfin, en matière d’asile et d’accueil, le focus est mis sur des voies légales et sûres, un système d’accueil pérenne, digne et de qualité, la fin du traitement différencié (+ recours effectif), la facilitation du regroupement familial, et la régularisation avec des conditions et procédures révisées.
Des améliorations revendiquées à tous les niveaux
Pour atteindre ces objectifs à la fois généraux et précis, les signataires du mémorandum réclament un secteur fort, pour lequel ils énumèrent sept améliorations à réaliser. La première d’entre elles est de mieux articuler besoins et ressources grâce à trois pistes : une analyse rigoureuse de l’offre et de la demande (par territoire), un diagnostic régulièrement actualisé permettant de répondre aux besoins en évolution et un appui sur la diversité et la complémentarité des ILI. La deuxième amélioration est de renforcer des axes trop peu développés : l’incorporation de l’interculturalité dans l’agrément ILI, l’insertion socioprofessionnelle (actions concomitantes, passerelles) et une offre accrue d’interprétariat en milieu social.
La troisième amélioration est de garantir une reconnaissance structurelle par différents biais : d’abord, un agrément « ILI », attractif et à durée déterminée, devenant la norme, ensuite, la reconnaissance de services spécialisés en accompagnement des MENA et dans le domaine ethnopsychiatrique et enfin, une évaluation pluriannuelle assurant davantage de stabilité. La quatrième amélioration est de mieux financer les opérateurs. De quelle manière ? Par une augmentation de l’enveloppe budgétaire globale du secteur, une couverture des frais réels, une prévisibilité des subventions (forfaits garantis), une indexation automatique pour tous, et des dépenses éligibles concertées et formalisées.
La cinquième amélioration est d’améliorer la gouvernance avec, en priorité, des notifications et liquidations dans les délais impartis, des règles de fonctionnement transparentes et légitimes, une simplification administrative, des procédures de contrôle concertées et formalisées, et une clarté concernant les recours. La sixième amélioration est de soutenir l’autonomie professionnelle, avec une liberté pédagogique et organisationnelle effective, des critères de qualification du personnel inclusifs et cohérents (enjeu du recrutement), une formation continue structurelle, et une valorisation du personnel ILI. Enfin, la septième et dernière amélioration est de renforcer la concertation, avec une concertation mieux intégrée dans la réglementation et les pratiques, via une consultation plus effective des instances existantes et un dialogue, mais aussi la création d’une commission d’agrément et d’un conseil consultatif des migrant.e.s, sans oublier un soutien à la structuration du secteur, notamment des ILI.
Dominique Watrin
Le « Mémorandum pour l’intégration des personnes étrangères » est disponible sur le site du DisCRI, via le lien suivant : https://discri.be/memorandum/memorandum-pour-lintegration-des-personnes-etrangeres/