Un réseau pour prendre en charge les extrémismes et les radicalismes violents : la voie douce vers un désengagement volontaire
Le radicalisme ne touche pas uniquement la mouvance tournant autour de l’extrémisme islamiste. Présents dans des sphères variées de la société, les multiples radicalismes font peser la menace de flambées de violence diverses sur de nombreux pays. En Belgique, la Fédération Wallonie-Bruxelles a créé, il y a quelques années, le CAPREV (Centre d’Aide et de Prise en charge de toute personne concernée par tout Radicalisme et Extrémisme Violents) pour accompagner les personnes détectées comme appartenant à cette frange de population. Un travail de fond auquel le CRIPEL (Centre régional d’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège) a récemment consacré une séance d’information appelant à la vigilance et rappelant la nécessité d’un encadrement particulier, sous l’intitulé « Ressources et appui pour la prévention des radicalismes violents ».
En 2018, le CAPREV définissait la radicalisation comme « un processus de développement de convictions idéologiques, politiques, religieuses, sociales, économiques ou personnelles extrêmes qui remettent en cause le statu quo et qui rejettent le compromis ». L’organisme succédait, à l’époque, au réseau de prise en charge du radicalisme et des extrémismes violents créé en janvier 2015, dans la foulée des attentats du Musée juif de Bruxelles et de Charlie Hebdo. Un an plus tard, en janvier 2016, ce réseau se voyait mué en deux organismes distincts et complémentaires : un service de ressources et d’appui, le CREA, et un service d’accompagnement individuel, le CAPREV dont l’ouverture effective au public se concrétisait, un an plus tard, le 25 janvier 2017.
Une polarisation enracinée dans plusieurs sources
Lorsqu’on évoque les questions du radicalisme, de l’extrémisme violent et du terrorisme, la première image qui vient généralement à l’esprit est celle de l’islamisme. Mais aux côtés de ce dernier, de multiples autres idéologies génèrent une expression violente mettant en péril les valeurs de l’État. Songeons aux chantres de l’idéologie néonazie dont la parole s’est progressivement libérée, au massacre perpétré en Norvège par Anders Brevik, à l’attaque du Capitole américain menée par les partisans de Donald Trump membres du QAnon (mouvance conspirationniste d’extrême droite), au procès à Liège d’un « suprémaciste masculin » de la sous-culture incel (pour involuntary celibate, désignant les personnes incapables de trouvant une partenaire), sans oublier les hétérosexistes, les anti-IVG violents, etc.
Pour Philippe Massay, directeur du CAPREV, tous ces extrémismes se caractérisent par une polarisation, avec une fermeture sur un « nous » antagoniste d’un « eux », sur un rejet de l’altérité perçue comme une menace. Cette polarisation peut s’enraciner dans plusieurs sources : la peur générée par des attentats (World Trade Center, Bataclan, Métro Maelbeek, etc.), une spirale initiée par les amalgames et les suspicions (la haine des Chinois après la pandémie de Covid-19), mais aussi une organisation sectaire nuisible sur base de 13 critères de nuisibilité, ou une violence de haine sur base de critères protégés (féminicide, homophobie, racisme, etc.)
Deux filières de réponse
Face à cet ensemble de menaces, la Fédération Wallonie-Bruxelles a décidé de mettre en place des structures. Celles-ci se sont orchestrées autour d’un numéro téléphonique d’appel (le 0800 111 72), avec deux filières de réponse distinctes. La première, le CREA, a pour vocation de traiter toute demande de nature collective avec une orientation de type « prévention générale » ; ces demandes émanent prioritairement des administrations, institutions, associations, etc. La deuxième structure, le CAPREV, s’occupe de toute demande de nature individuelle provenant des particuliers, que ce soient des parents, des proches, des personnes directement concernées, des professionnels de tout secteur, etc. À ces deux structures s’ajoute des services d’équipes mobiles chargés de répondre à chaque demande formulée par des écoles, que ce soit des directeurs d’écoles, des centres PMS, etc.
Les finalités du CREA sont essentiellement d’apporter un soutien aux secteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles, d’assurer le développement de la prévention générale et de fournir une réponse concrète à des demandes de nature collective ou institutionnelle. Les leviers qu’il actionne pour enclencher concrètement cette mission sont les formations, les outils pédagogiques, la mise à disposition d’une expertise et les connaissances mises à disposition. De son côté, la mission générale du CAPREV est d’assurer l’aide et l’accompagnement de toute personne concernée par les extrémismes et les radicalismes violents et ce, à travers une prise en charge individualisée et personnalisée, avec une volonté de confidentialité des échanges, d’anonymat et de transparence, en garantissant une gratuité des services sur l’ensemble du territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Une approche d’inclusion sociale et de réinsertion globale
Le principe clé de l’action du CAPREV est le désengagement et non la déradicalisation. Comme le stipulait, en 2016, la Conférence interministérielle Maison de Justice, « un parcours de désengagement de l’extrémisme violent visant la réinsertion sociale est une trajectoire individuelle sur mesure qui intervient dans l’ensemble des domaines de vie. Plusieurs acteurs sont d’office impliqués dans une telle trajectoire. Un accompagnement incluant des aspects liés à la sécurité et à la socio-prévention doit être mis en place dans une perspective à long terme et dans la continuité. En raison de l’importance que joue le milieu de vie, la trajectoire tiendra étroitement compte du contexte de vie de la personne et pourra s’appuyer sur les partenaires locaux. » Il s’agit donc clairement de s’inscrire dans une approche d’inclusion sociale et de réinsertion globale.
La mission générale du CAPREV se décline en actions de plusieurs types. La première est d’offrir un accueil et une écoute téléphonique assurés par un personnel formé à la problématique. La deuxième est d’informer et orienter une personne concernée, un membre de la famille, un proche, un professionnel. La troisième est de proposer un accompagnement personnalisé et individualisé partant de la situation et des demandes de la personne sur base volontaire, tant du côté des particuliers (majeurs et mineurs) que des professionnels. La quatrième est de mettre en œuvre un parcours de désengagement dans le cadre d’un mandat judiciaire (via les maisons de justice) ou d’une détention. La cinquième est de construire un réseau de partenaires sur l’ensemble du territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles et même au-delà (en France, au Canada, etc.) Enfin, la sixième et dernière est de développer une expertise scientifique sur les questions liées aux extrémismes menant à la violence et d’alimenter en retour les pratiques (méthodologie de la recherche-action).
Concrètement, avec les personnes directement concernées, il s’agit de partir de leur demande pour tisser un lien de confiance et travailler ensemble plus en profondeur. Il importe également d’opérer une analyse de la situation en équipe pluridisciplinaire, en dépassant les simples comportements, en agissant sur le passé, au présent et pour le futur, le tout dans une perspective de désengagement de la violence. Pour Philippe Massay, il est important de souligner que, même s’il prend corps au départ d’une ligne téléphonique, cet opérateur n’est ni un call center, ni une ligne de dénonciation. C’est un outil d’évaluation des ressources existant autour d’une personne en radicalisation violente, après analyse en équipe d’une situation.
Dominique Watrin
Pour tout contact : 0800 111 72 ou extremismes-violents@cfwb.be – Infos : www.extremismes-violents.be