La mobilité, dilemme pour les personnes étrangères : différentes pistes pour franchir le pas de l’autonomie de déplacement en Hainaut
La mobilité est un obstacle important et récurrent chez les personnes étrangères ou d’origine étrangère établies dans notre pays, tant en ce qui concerne leur vie de tous les jours qu’au niveau de leur insertion socioprofessionnelle. C’est à cette thématique à la fois très présente et relativement complexe que le CeRAIC (Centre Régional d’Intégration de la région du Centre) et le CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage) ont consacré une visioconférence commune. L’opportunité pour eux de dresser un panorama général de l’état de la question et de la manière dont celle-ci est prise en charge dans la partie de la Wallonie où ils sont actifs.
La situation de mobilité des migrants dans les parties ouest et centre de la province de Hainaut couvertes par les deux centres régionaux d’intégration organisateurs de la visioconférence n’est sans doute guère différente de celle existant dans le reste de la Wallonie. La plupart du temps, pour ces personnes, le mot « mobilité » s’assimile à « difficultés de déplacement ». Plusieurs initiatives cohabitent, dès lors, dans ces zones et ailleurs pour donner à ce public particulier, en proie à des complications administratives, linguistiques, culturelles et personnelles, des clés et outils pour accéder à la sacro-sainte mobilité incarnée par le quasi-incontournable permis de conduire, mais pas uniquement.
Un dispositif de formation collaboratif
En Wallonie picarde, région couverte conjointement par les deux centres régionaux d’intégration, l’asbl Lire et Écrire défend un « dispositif de formation collaboratif à destination d’un public non-francophone ». Ce dispositif s’appuie sur un double constat. Le premier constat est celui de l’émergence d’une vague de restrictions relativement récente dans l’accès au permis de conduire pour les personnes étrangères, essentiellement au niveau des équivalences et de la mise à disposition d’interprètes. Il n’est, entre autres, plus possible, depuis janvier 2018, de passer l’examen théorique du permis de conduire dans une autre langue que les trois langues nationales et l’anglais, et donc, plus possible de faire appel à un interprète pour une autre langue. En parallèle, le deuxième constat est la volonté de ce public d’accéder au marché du travail et, pour ce faire, de disposer d’un permis de conduire.
Concrètement, deux asbl (Multimobil et CIEP) collaborent, depuis 2017, sur la région. Celles-ci ont mis sur pied neuf sessions de formation de 80 heures au permis théorique, complétées par un accompagnement et un suivi. Une centaine d’attestations ont été délivrées à ce jour par ce dispositif et chacun(e) des stagiaires a été inscrit(e) au moins une fois à l’examen du permis en session spéciale, une formule d’aménagement réservée au départ aux personnes en difficulté de lecture et d’écriture, mais accessibles aux personnes étrangères présentant des difficultés d’ordre linguistique. Les obstacles vécus par ces personnes pour décrocher le tant espéré permis de conduire font, pour l’instant, l’objet de tractations avec les cabinets ministériels concernés et l’administration SPW Mobilité afin de définir les contours de cette action et de lever les obstacles rencontrés dans cette démarche. S’y ajoute la volonté de mettre fin aux pratiques de discrimination observées dans certains centres d’examen et dénoncées par plusieurs dizaines de témoignages de candidats, avec procédure de signalement auprès d’Unia, l’ex-Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme.
In fine, les objectifs envisagés sont multiples. D’abord, la reconnaissance du lien entre insertion socioprofessionnelle (ISP) et intégration, d’une part, et mobilité, d’autre part. Ensuite, la nécessité de légiférer sur l’organisation de sessions spéciales pour le public des personnes étrangères actuellement classées « hors catégorie ». Enfin, les trois derniers objectifs sont les suivants : la rédaction d’un cadre pour cette passation des examens du permis théorique en session spéciale, la formation des examinateurs à cette formule et la mise en place d’un financement structurel de ces actions.
Interculturalité et mixité sociale
Dans le même ordre de préoccupation, le CeRAIC propose, lui, un projet baptisé « Ma mobilité » qui n’est rien d’autre qu’une « formation préparatoire à l’examen théorique du permis de conduire pour les personnes ayant des difficultés en français ». Il s’agit d’une formation d’une durée de 40 heures, étalées sur un mois, doublée d’un accompagnement à l’examen, d’un suivi des bénéficiaires et d’un accompagnement en ISP. Ce projet s’appuie sur quatre constats : la nécessité d’une autonomie en mobilité pour travailler, le rôle important de la mobilité dans la recherche d’emploi, la difficulté pour les demandeurs d’emploi sans permis de conduire de décrocher un emploi et l’obstacle majeur de la langue pour l’obtention du permis de conduire.
Les objectifs qui en découlent sont, dès lors, les suivants : faciliter l’insertion socioprofessionnelle des personnes étrangères, faciliter l’accès du public concerné à la formation théorique du permis de conduire, faciliter la mobilité de ce public et travailler sur son autonomie. Et le public spécifiquement visé est celui des personnes ayant des difficultés en français et des personnes possédant un permis de conduire non reconnu en Belgique. Les permis étrangers concernés doivent être reconnus dans le pays d’émission, en cours de validité, avoir été obtenus lorsque la personne n’était pas résidente en Belgique, afficher une nationalité identique du permis et de son titulaire, et évidemment être authentiques.
Les atouts de la formation orchestrée par le CeRAIC sont notamment qu’elle est adaptée à son public cible avec un formateur sensibilisé à l’interculturalité, qu’il existe une mixité sociale et de genre au sein du groupe de stagiaires, et qu’elle est assortie d’un examen final collectif qui permet de rester dans la dynamique du groupe. À l’opposé, ses faiblesses essentielles sont la barrière de langue à laquelle les personnes étrangères sont confrontées, le changement de législation déjà évoqué qui augmente le taux d’échec à l’examen théorique et l’absence de soutien financier du pouvoir subsidiant.
Auto-école sociale et mobilité douce
En Hainaut, il existe un autre acteur en matière d’accès à la mobilité pour les publics précarisés, c’est l’auto-école sociale basée à Charleroi. Celle-ci présente l’avantage d’offrir une formule encadrée par des professionnels qui fonctionne en marge du circuit commercial. Elle s’adresse aux personnes en demande d’emploi depuis au moins 12 mois et inscrites au FOREM (mais pas nécessairement comme chômeur complet indemnisé), aux bénéficiaires du revenu d’intégration sociale ou aux personnes atteintes d’un handicap chiffré à plus de 80%. Des facilités de paiement et l’appui possible d’organismes comme les CPAS rendent l’organisme attractif pour les personnes étrangères entrant dans les conditions décrites.
Enfin, aux côtés des pistes qui mènent au permis de conduire et, dans la foulée, à la possession d’une voiture qui reste un moyen de déplacement onéreux, il existe d’autres pistes en matière de mobilité. Hormis les transports en commun, la plus commune reste l’usage du vélo. Promoteur de ce moyen de transport, Pro Velo dispose de plusieurs antennes pour valoriser ce mode de déplacement auprès de tous les publics, y compris celui des personnes étrangères.
L’association argumente son approche avec des indicateurs connus. En premier lieu, le caractère sain du vélo en matière d’exercice, de diminution des risques de certaines pathologies (cancer, maladies cardio-vasculaires, diabète, etc.) et d’allongement de l’espérance de vie (environ deux ans, risques d’accidents inclus). En deuxième lieu, Pro Velo évoque la rapidité du vélo, essentiellement en zone urbaine, et sa sûreté comme moyen de locomotion au fil de l’augmentation de sa fréquence d’utilisation. Il conseille, dès lors, de favoriser ce mode de déplacement, en y contribuant lui-même à travers différentes actions destinées à lever les freins des personnes (via des formations, des constructions d’itinéraires, des partages d’expériences, des événements de sensibilisation, etc.), et en équipant et soutenant les personnes qui franchissent le pas (par la mise à disposition de vélos, des locations à long terme, des formations à la mécanique vélo, etc.).
Dominique Watrin