Le rapport 2018 d’Unia épingle les dérives des discours politiques au cours d’une année riche en élections
La publication du rapport annuel d’Unia (le Centre interfédéral pour l’égalité des chances) est toujours l’occasion de faire un bilan sur l’évolution des « tendances » en matière de discriminations et surtout, sur l’état d’avancement des mesures, répressives et préventives, mises en place pour contrer efficacement ces discriminations. Petit panorama sur ce qui a animé l’année 2018, en termes de constats et de lutte, dans le secteur du racisme.
Cinq critères dit « raciaux » sont repris dans la loi antidiscrimination : pour rappel, ceux-ci sont la nationalité, la couleur de peau, l’ascendance et l’origine nationale ou ethnique. Depuis 2014, Unia forme notamment les agents immobiliers francophones aux lois Antiracisme et Antidiscrimination. Pour faire face à la demande croissante, le centre a décidé en 2018 de former de nouveaux formateurs pour assurer un effet multiplicateur. En ce qui concerne les gens du voyage, Namur, Ath et Bastogne sont toujours les trois seules communes à proposer une aire d’accueil temporaire aménagée. Huit autres communes mettent à disposition des terrains de passage. En 2018, la ministre wallonne en charge de cette matière a rédigé un nouveau projet de décret relatif à l’aide aux gens du voyage. Unia estime toutefois que l’approche incitative privilégiée par ce projet a montré ses limites par le passé et juge qu’une approche plus contraignante devrait être envisagée pour obliger les communes à aménager des terrains d’accueil. Le centre plaide également pour ne pas limiter l’obligation d’accueil à la seule période de séjour temporaire, mais à organiser aussi un accueil durant les mois d’hiver.
La poursuite du combat contre le profilage ethnique
Le rapport 2017 d’Unia faisait état d’une augmentation des dossiers individuels ouverts par Unia dans le secteur « police et justice », dont essentiellement des conflits avec la police. 2018 n’a pas prolongé ce mouvement, avec 72 dossiers individuels ouverts, soit un retour aux chiffres d’avant les attentats de 2016. Les dossiers impliquant la police visent surtout des contrôles d’identité, des violences policières, des insultes et des provocations ou le refus d’enregistrement de plaintes. Dans le contexte sociétal actuel, la question des mécanismes de sélectivité de la police se pose de manière plus aiguë qu’auparavant. Cette sélectivité devient abusive lorsque des contrôles se fondent quasi systématiquement sur l’origine ou la religion.
Une étude publiée en décembre 2017 citait des chiffres préoccupants pour la Belgique, avec notamment 13% de contrôles de personnes musulmanes d’origine nord-africaine vécus comme relevant du profilage ethnique. Pour Unia, le défi est triple : pouvoir mieux mesurer le phénomène de profilage ethnique, poursuivre les efforts de sensibilisation et de formation du personnel de police et contrer le sous-rapportage. La convention entre la police intégrée et Unia, initiée en 1996, a cédé la place en 2018 à une formule de collaboration plus souple s’inscrivant dans un calendrier plus réaliste. À côté des formations à l’intention des magistrats et des fonctionnaires de police de référence, Unia a organisé d’autres formations en 2018.
Durant cette année, Unia a, par exemple, formé 44 commissaires de la police fédérale sur des thèmes spécifiquement liés à la diversité, à la discrimination et au racisme. D’autre part, Unia a donné une formation sur la législation antidiscrimination et antiracisme à des aspirants inspecteurs et commissaires (à Etterbeek) et a formé des membres de la police locale (à Anvers) au cours d’une semaine de la diversité, un nouveau concept destiné à ouvrir des espaces d’interaction et de débat entre policiers.
Unia a aussi continué à participer au comité de pilotage du projet « Holocauste, police et droits humains » (HPDH). Ce projet vise à former des accompagnateurs(trices) internes à la police qui, à leur tour, accompagnent des groupes lors d’une journée de formation HPDH, ouverte à l’ensemble des membres de la police. L’impact est d’autant plus fort que le projet est porté par des policiers qui sensibilisent leurs collègues. L’année 2018 a également été marquée par la publication d’une étude mesurant notamment l’impact de cette formation sur les participants. Son résultat majeur est que la formation a indéniablement un effet sur les participants, mais surtout un effet durable, particulièrement en ce qui concerne les préjugés ethniques. Les participants se montrent disposés à passer à l’action, en sanctionnant des conduites répréhensibles ou en rendant compte du comportement d’un collègue.
La médiation pénale peu utilisée
Dans un rapport publié en 2012 sur les mesures alternatives dans la lutte contre les discriminations et les délits de haine, Unia mettait déjà en avant la plus-value de la procédure de médiation pénale qui répond, dans certains cas, mieux aux attentes de réparation et de dialogue des victimes, tout en responsabilisant les auteurs. Malgré cela, les statistiques indiquent que cette procédure n’est appliquée que dans moins d’1% des dossiers et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, le fait qu’il n’existe pas de programmes de formations structurels qui tiennent pleinement compte de la spécificité des délits et des discours de haine ainsi que du profil des auteurs. Ensuite, le fait que la procédure et les mesures de médiation ne sont accessibles qu’aux auteurs qui reconnaissent les faits commis. Enfin, le fait que les maisons et assistants de justice ne disposent pas de moyens suffisants pour remplir correctement cette mission. En 2018, Unia a cependant continué de proposer une offre structurée et adaptée sur ce plan.
Unia enregistre, depuis quelques années, une augmentation du nombre de signalements de discriminations, ainsi que de discours et de délits de haine. Les statistiques annuelles révèlent toutefois un double phénomène : le nombre de dossiers qui parviennent aux parquets est extrêmement faible, et la plupart d’entre eux sont classés sans suite, principalement pour des raisons techniques. Il en résulte une impression générale d’impunité et, pour les victimes, un sentiment d’injustice.
Depuis les attentats commis en Belgique en 2016, Unia a ouvert plusieurs dossiers individuels de discrimination visant des personnes musulmanes, directement en lien avec le climat post-attentats. Il s’agit majoritairement de refus d’embauche, et de licenciements ou de harcèlements sur le lieu de travail. Unia a aussi ouvert des dossiers relatifs à des retraits et des refus d’habilitation de sécurité. Unia dit comprendre que le fichage des personnes soit une technique utilisée pour prévenir des actes terroristes. Il déplore néanmoins le manque de transparence quant aux raisons du fichage et aux possibilités de le contester. Unia estime, dès lors, nécessaire de réfléchir à la mise en place d’un contrôle objectif de ce fichage.
Un nouveau site Internet et un mémorandum
2018 et 2019 ont vu se dérouler des élections à tous les échelons de l’État belge, ainsi qu’au niveau européen. Ce calendrier a eu un impact sur le travail d’Unia qui, d’une part, a été sollicité quant à la teneur de propos tenus par des personnalités politiques dans le cadre des campagnes électorales, et, d’autre part, a mis en avant, au cours des deux scrutins, une approche à 360° de la promotion de l’égalité. Au niveau local, Unia a surtout promotionné une sélection de bonnes pratiques ponctuelles et structurelles. Au niveau fédéral, Unia a opté pour un mémorandum afin d’accentuer le caractère transversal de la lutte contre les discriminations.
Unia a ainsi lancé en 2018 un site Internet (www.lechoixegalite.be) destiné à donner un coup d’accélérateur à l’égalité des chances au niveau local. Unia y a rassemblé une centaine de bonnes pratiques dans lesquelles les (candidat-e-s) mandataires peuvent puiser des idées pour concrétiser leurs engagements en la matière. À côté des ces initiatives, Unia adresse également des recommandations et conseils pratiques aux communes pour les aider à adopter une vision globale et pratique de la promotion de l’égalité des chances et de la lutte contre les discriminations. Ce site continuera à être alimenté pendant la législature. Par ailleurs, Unia continue à suivre la problématique des partis liberticides et n’exclut pas une action en justice en cas d’infraction à la législation antiracisme et antidiscrimination. Le fait que le cadre juridique est aujourd’hui mieux « maîtrisé » par ce type de formation politique rend toutefois l’issue d’une action judiciaire plus incertaine.
De son côté, le mémorandum « S’engager pour les droits humains » rédigé par Unia à l’occasion des élections de 2019 porte 61 revendications. Y sont listées les pistes qu’Unia préconise en matière d’emploi, de logement, d’enseignement, d’accès aux biens et services dont les soins de santé, de police et justice, ainsi qu’une série de recommandations générales.
Un durcissement des discours politiques
Dans la sphère politique, la tendance est à un durcissement des discours. Les propos qui flirtent avec la liberté d’expression ne sont, la plupart du temps, pas condamnables juridiquement. Ils alimentent toutefois des représentations sociales pouvant conduire à des comportements discriminatoires. Ainsi, en 2018, Unia a enregistré 83 signalements relatifs à des propos tenus par des personnalités politiques et 185 signalements relatifs à des discours et campagnes de formations politiques. La tendance est clairement à la hausse. Étaient principalement visés le parti ISLAM, le Vlaams Belang, la N-Va et le Parti Populaire.
Certains signalements portaient aussi sur le caractère antisémite ou négationniste de discours politiques. Pour Unia, la question du racisme dans le discours politique est une question de responsabilité et d’éthique politique plutôt que de légalité. Le centre travaille actuellement à des outils non juridiques permettant de mieux décrypter le langage pour en déceler les intentions et/ou les effets.
Les affaires Schild en Vrienden et Cécile Djunga
En 2018, Unia a enregistré 7489 signalements individuels qui ont donné lieu à l’ouverture de 2192 dossiers. Unia s’est adressé à la justice à 33 reprises. Ce chiffre 2 à 3 fois plus élevé qu’à l’accoutumée s’explique en partie par une augmentation marquée et générale du nombre de dossiers en 2016 et 2017. Des dossiers qui n’ont pu être résolus par la conciliation au cours de ces deux années ont abouti devant les tribunaux en 2018. La meilleure application de la circulaire en vigueur et la médiatisation de certains dossiers ont également eu pour effet un accroissement des dossiers renvoyés devant le tribunal.
L’année 2018 a, par ailleurs, été émaillée de divers faits à connotation raciste et c’est surtout la conjugaison de deux événements qui a retenu l’attention d’Unia : en Flandre, un reportage dévoilant les contenus racistes, sexistes, homophobes, antisémites et pronazis échangés au sein du groupuscule « Schild en Vrienden » et, dans la partie francophone du pays, le coup de sang de la présentatrice météo Cécile Djunga, victime de commentaires racistes répétés de la part de téléspectateurs. Ces derniers s’inscrivent dans ce qu’on qualifie souvent de « racisme quotidien », qui n’est le plus souvent que la traduction au niveau individuel d’un racisme structurel, tandis que le phénomène « Schild en Vrienden » appartient, lui, au racisme organisé.
Unia estime que les responsables politiques devraient être à l’avant-poste du combat contre ces racismes. Et il juge qu’au contraire, ils sont très en retard, le pays s’étant engagé en 2001, lors de la conférence onusienne de Durban, à établir un plan d’action contre le racisme, plan qui n’a jamais été concrétisé. Pour le centre, l’affaire « Schild en Vrienden » est à analyser sous l’angle de l’apparition de mouvements dits « identitaires » qui ont la particularité d’attirer des publics jeunes et aisés, s’adonnant à un activisme anti-islam et anti-asile. Ces groupes s’appuient sans surprise sur les médias sociaux pour diffuser leur propagande.
Les actes d’antisémitisme toujours en progression
La vaste majorité des dossiers d’Unia fondés sur les cinq critères dits raciaux portent sur des faits de discrimination. Le logement et l’emploi sont les premiers concernés. En matière de logement, le centre constate avant tout des refus de visite ou de location. En ce qui concerne l’emploi, il s’agit essentiellement de refus d’embauche (30% des dossiers emploi/racisme), de harcèlement à caractère discriminatoire (12%), de problèmes liés aux conditions de travail (25%) ou encore de licenciements (20%). Il note aussi des cas d’insultes dans les commerces.
Unia note, par ailleurs, que la Belgique n’est pas épargnée par l’augmentation des actes d’antisémitisme relevés en Europe ces dernières années. Outre les agressions verbales, en augmentation en 2018, ainsi que les agressions physiques et les faits de harcèlement, le centre constate une augmentation des faits de dégradation de biens et symboles. Un rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne paru en 2018 établit que les auteurs de propos antisémites sont identifiés comme étant majoritairement de positions musulmanes extrémistes (60%) ou de positions politiques de gauche (58%). Ces chiffres contrastent avec les résultats d’une autre enquête, publiée aussi en 2018, qui place la Belgique parmi les pays les plus tolérants d’Europe par rapport aux personnes juives (et musulmanes).
Dominique Watrin